Les sans-domicile aux États-Unis. Leçons tirées de quinze années de recherche - article ; n°1 ; vol.30, pg 35-66
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Sociétés contemporaines - Année 1998 - Volume 30 - Numéro 1 - Pages 35-66
Homeless in America: what we have learned from fifteen years of research
This paper summarizes fifteen years of research on the homeless. The new homeless are a diverse and heterogeneous group; they are disproportionately young, non-White, and extremely poor and in horrendous health. More than in the past, women and children also make up a sizeable portion of the homeless. Most homeless are episodically, rather than chronically homeless, a characteristic that contributes to the difficulty in counting the number of homeless people. Also contributing to the problem of enumerating the homeless are the divergent definitions of homelessness, the difference between point-prevalence and period prevalence estimates, and the efforts on the part of the homeless to avoid authorities. Just as controversial as counting the homeless are explanations for homelessness. The major explanations focus either on the characteristics of the individual or on structural determinants. Those who focus on individual-level explanations cite mental illness, drug and alcohol abuse. While we concur that those factors contribute to the risk of homelessness, this paper argues that the preponderance of evidence is on the confluence of rising poverty and decreased stock of low-income housing, both occurring in the context of economic crises, industrial restructuring, and the deep cuts in social programs. The structural changes have resulted in deepened poverty for more people and diminished affordable housing.
Cet article résume quinze ans de recherche sur les sans-domicile aux USA. Les nouveaux sans-domicile forment un groupe diversifié et hétérogène; y sont surreprésentées des personnes assez jeunes, très pauvres, appartenant aux minorités ethniques, et en très mauvaise santé. Plus que par le passé, les femmes et les enfants en constituent une part non négligeable. La plupart des sans-abri le sont seulement par épisodes, et non de façon chronique, ce qui aggrave la difficulté de les dénombrer. Cette difficulté tient aussi à la multiplicité des définitions de ces situations, aux différences entre estimation à une date donnée et sur une période donnée, aux efforts faits par les sans-domicile pour échapper aux autorités. Tout aussi controversées que le nombre de sans-domicile sont les raisons avancées pour ce phénomène. La plupart des explications sont centrées soit sur les facteurs structurels, soit sur les facteurs individuels. Ceux qui avancent des raisons individuelles citent la maladie mentale, la toxicomanie et l’alcoolisme. Quoique nous reconnaissions que ces facteurs contribuent au risque de se retrouver sans domicile, l’article soutient que la preuve est faite du rôle essentiel de la combinaison de l’augmentation de la pauvreté et de la diminution du stock de logements bon marché, dans un contexte de crise économique, de restructurations industrielles et de coupes dans les programmes sociaux. Les changements structurels ont eu pour conséquences l’aggravation de la pauvreté et son augmentation, ainsi que la diminution du nombre de logements abordables.
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Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 58
Langue Français

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       J A M E S D . W R I G H T       B E T H A . R U B I N 
LES SANS-DOMICILE AUX ETATS-UNIS LEÇONS TIREES DE QUINZE ANNEES DE RECHERCHE
RÉSUMÉ 1:Cet article résume quinze ans de recherche sur les sans-domicile aux USA. Les nouveaux sans-domicile forment un groupe diversifié et hétérogène ; y sont surreprésentées des personnes assez jeunes, très pauvres, appartenant aux minorités ethniques, et en très mauvaise santé. Plus que par le passé, les femmes et les enfants en constituent une part non négligeable. La plupart des sans-abri le sont seulement par épisodes, et non de façon chroni-que, ce qui aggrave la difficulté de les dénombrer. Cette difficulté tient aussi à la multiplicité des définitions de ces situations, aux différences entre estimation à une date donnée et sur une période donnée, aux efforts faits par les sans-domicile pour échapper aux autorités. Tout aus-si controversées que le nombre de sans-domicile sont les raisons avancées pour ce phéno-mène. La plupart des explications sont centrées soit sur les facteurs structurels, soit sur les facteurs individuels. Ceux qui avancent des raisons individuelles citent la maladie mentale, la toxicomanie et l’alcoolisme. Quoique nous reconnaissions que ces facteurs contribuent au risque de se retrouver sans domicile, l’article soutient que la preuve est faite du rôle essentiel de la combinaison de l’augmentation de la pauvreté et de la diminution du stock de logements bon marché, dans un contexte de crise économique, de restructurations industrielles et de coupes dans les programmes sociaux. Les changements structurels ont eu pour conséquences l’aggravation de la pauvreté et son augmentation, ainsi que la diminution du nombre de lo-gements abordables.  La véritable solution au problème des sans-domicile semble nous échapper au-tant aujourd’hui qu’au début des années 1980 lorsque ces derniers furent « redécouverts  dans les rues des villes américaines. Malgré quinze années de re-cherche de plus en plus approfondie sur ce sujet, deux points de désaccord fonda-mentaux demeurent au sein de la communauté des chercheurs : la définition et le mode de dénombrement des sans-domicile ; les circonstances qui provoquent et ac-compagnent ce phénomène. Nous passons ici en revue quinze années de recherche portant sur les sans-domicile aux États-Unis, nous recensons les conclusions sur les-quelles se dégage un très large accord, et commentons les points qui restent encore très controversés. Tous les chercheurs sont apparemment d’accord sur le fait que les clichés des dernières décennies sont dépassés. Les vagabonds romantiques de la Grande Dé- 1 .Nos remerciements à Lesley Williams-Reid et à Ye-Luo pour leur précieuse collaboration lors de la préparation de cet article. Sociétés Contemporaines (1998) n° 30 (p. 35-66)   
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J A M E S D . W R I G H T , B E T H A . R U B I N            pression et le clochard grincheux et titubant des années cinquante ont fait place à des images bien plus dérangeantes : des centres d’accueil remplis d’enfants et de fem-mes battues, des familles entières au bord des routes avec des pancartes proposant de travailler en échange de nourriture, des femmes âgées en haillons, grommelant entre leurs dents, qui déambulent dans les villes en poussant des chariots de supermarchés, des jeunes « punks  balafrés demandant l’aumône aux passants. Ces nouvelles figu-res de sans-abri illustrent une conclusion importante de ces quinze années de recher-che. Il s’agit d’un groupe diversifié et hétérogène : ce sont des hommes et des fem-mes, des enfants, des adultes et des vieillards, des Blancs, des Noirs et des Latino-américains, des alcooliques et des non-buveurs, des aliénés et des gens sains d’esprit. Le terme« les  sans-domicilesous-entend une unité de la catégorie que les travaux empiriques démentent. Cette diversité correspond bien entendu à une variété de problèmes, de circonstances, et de besoins relevant de l’aide sociale. 1.QUI SONT LES SANS-DOMICILE ? COMMENT LEURS CARACTERISTIQUES  ONT-ELLES EVOLUE ? 1. 1. LES CARACTERISTIQUES DEMOGRAPHIQUES ET SOCIALES Les caractéristiques démographiques et sociales des sans-domicile aux États-Unis sont assez bien connues, compte tenu des différences et des particularités loca-les. Shlay et Rossi (1992) ont fait une synthèse des résultats de soixante études aux niveaux local, régional et national : environ trois-quarts des sans-domicile adultes sont des hommes et un quart des femmes ; ils sont relativement jeunes et la plupart des études font ressortir une moyenne d’âge de trente-cinq ans. Les personnes qui ne sont pas de race blanche sont sur-représentées (la synthèse de cinquante-deux étu-des, effectuée par Shlay et Rossi, fait ressortir que le pourcentage moyen de Noirs est de 44 % et celui des Latino-américains de 12 %. Or les Africains-américains re-présentent seulement 12 % de la population). Les sans-domicile, dans leur diversité, sont donc souvent des Africains-américains relativement jeunes. Leurs caractéristi-ques démographiques sont de toute évidence très proches de celles d’autres popula-tions « à problèmes  (les personnes incarcérées, les utilisateurs de crack, par exem-ple). Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, un pourcentage non négligeable des sans-domicile d’aujourd’hui sont des femmes et en nombre moins élevé, mais néanmoins non négligeable lui aussi, des enfants d’adultes sans domicile (Bassuk, 1993 ; Brickneret al., 1990 ; Stefl, 1991 ; Burt et Cohen, 1989a, 1989b ; Burt, 1992 ; Ritcheyet al., 1991). La proportion de femmes varie d’environ un quart à un tiers, selon l’étude réalisée ; les enfants de moins de seize ans représentent environ dix autres pour cent. De nombreux défenseurs de la cause des sans-domicile affir-ment que les femmes et les enfants représentent le sous-groupe dont l’augmentation est la plus rapide. Cette tendance, avancée plus souvent qu’elle n’a été vérifiée scientifiquement, repose toutefois sur des éléments de preuve (Burt, 1992). Les femmes, comme l’ensemble des sans-domicile, ne forment pas un groupe homogène, ce qui a été établi dès le début des années 1980 (voir Stoner, 1983). Les femmes isolées, souffrant de troubles mentaux, qui représentent un sous-groupe im-
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         E C H E R C H E A U X E N N E E S D E R T A T S - U N I S A U I N Z E Q portant, ont donné naissance au cliché de labag lady2; une étude laisse à penser qu’elles forment un tiers seulement des femmes sans domicile (Wright, 1989a). Les mères avec enfants à charge en forment environ un quart ; les mères sans domicile ne sont pas affectées aussi souvent par l’alcool ou la toxicomanie que les autres femmes sans domicile, elles souffrent moins de troubles mentaux et se retrouvent plus souvent sans domicile pour des raisons d’ordre strictement économique. Les adolescentes sans domicile ont souvent fugué ou été mises à la porte après avoir connu des situations familiales intolérables (Wright, 1991 ; Yateset al., 1988). La composition raciale et ethnique des sans-domicile reflète étroitement celle de la population vivant à la limite du seuil de pauvreté dans la ville où ils se trouvent. Ceci étant, les minorités raciales et ethniques sont en surnombre parmi les sans-domicile (Firstet al.,1988). Une étude importante,The 19 City Health Care for the Homeless – étude portant sur les programmes de soins réservés aux sans-domicile dans 19 villes des États-Unis – (Wright et Weber, 1987), révèle que 45 % des sans-domicile sont de race blanche, 40 % de race noire, 11 % d’origine latino-américaine, 2 % Indo-américains et 1 % d’origine asiatique, le pourcentage restant figurant dans la catégorie « autre . Une étude au niveau national révèle que, sur un échantillon représentatif de sans-domicile fréquentant les soupes populaires et les centres d’accueil, 58 % ne sont pas de race blanche (Burt et Cohen, 1989b), ce qui confirme les résultats de l’étude citée plus haut (The 19 City Health Care for the Homeless). Les résultats de l’analyse globale de Shlay et Rossi, fondée sur plus de cinquante études, ont été relatés plus haut. Dans des villes à forte présence noire, (telles que Washington, la Nouvelle-Orléans et Détroit), la proportion d’Africains-américains parmi les sans-domicile dépasse, bien entendu, 80 %. Le facteur le plus surprenant au niveau démographique, sans compter une pro-portion non négligeable de femmes (un quart à un tiers), porte sur le fait que les sans-domicile sont relativement jeunes ; dans la plupart des études réalisées, les adultes ont de trente à trente-cinq ans en moyenne. Contrairement aux idées reçues, les personnes âgées sontsous-représentées chez les sans-domicile : elles sont moins de 5 % dans la plupart des enquêtes effectuées (les personnes de plus de 65 ans re-présentent environ 12 % de la population des États-Unis). Deux facteurs sont à prendre en considération pour expliquer cette faible propor-tion : l’aide sociale réservée aux personnes de plus de 65 ans ainsi que le taux de mortalité élevé observé chez les sans-domicile. En effet, diverses études réalisées récemment laissent apparaître que l’âge moyen au décès chez les sans-domicile aux États-Unis ne dépasse pas cinquante ans (Wright et Weber, 1987 ; Hibbset al., 1994 ; O’Connellet al,1990) ; il serait même de quarante et un ans selon une en-quête réalisée à San Francisco (MMWR, 1991). Reste à déterminer si le nombre peu élevé de personnes âgées parmi les sans-domicile va se confirmer ; deux études récentes (Tully et Jacobson, 1994 ; Richet al.,à penser que les changements socioculturels vont faire augmenter1995) laissent le nombre de personnes âgées chez les sans-domicile ces dix prochaines années. Bien entendu, le vieillissement de la population américaine est un facteur non négli-geable déjà connu.  2 .elle des sacs en plastique contenant toutes ses possessions (N.d.T.).« Clocharde  portant avec
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J A M E S D . W R I G H T , B E T H A . R U B I N            Autres dénominateurs communs aux sans-domicile à prendre en considération : — Un tiers des sans-domicile de sexe masculin sont des anciens combattants de l’armée américaine (Robertson, 1987). Il est totalement faux de croire que la prise en charge et les aides financières destinées aux anciens combattants empêchent ces der-niers de se retrouver à la rue. — La proportion de sans-domicile recevant une aide sociale quelconque est sou-vent bien moins élevée que celledes ayant-droits (voir Shlay et Rossi, 1992 ; Ta-bleau 2) ; ceci différencie largement les sans-domicile aux États-Unis et en Europe, et ce n’est pas une coïncidence (Daly, 1992 ; 1993 ;CDPS, 1993). — On a tendance à croire que les sans-domicile se déplacent beaucoup, voyagent souvent dans tout le pays pour trouver un climat plus hospitalier ou une aide sociale plus avantageuse. Ceci est quasiment impossible à prouver et, contrairement aux idées reçues, la plupart des sans-domicile sont originaires de l’État où on les trouve (70 % et plus dans la plupart des études). — Enfin, même si la plupart des sans-domicile ont un casier judiciaire, un quart seulement des hommes ont été condamnés à des emprisonnements supérieurs à un an pour délits majeurs, ce qui est nettement moins élevé que prévu (Gelberget al., 1988 ; Snowet al.,1989). Selon les chiffres parus dans l’étude de Wright (Wrightet al.1993), les sans-domicile sont bien plus souvent victimes de crimes qu’ils ne sont eux-mêmes des criminels. 1. 2.LA SITUATION SOCIO-ECONOMIQUE La plupart des enquêtes réalisées auprès des sans-domicile comportent des ques-tions sur l’âge, la race et le sexe, facteurs faciles à déterminer. C’est pourquoi c’est sur la démographie des sans-domicile que notre connaissance est, de loin, la plus approfondie. De nombreuses études (voir Wright, 1989a) mentionnent également le niveau scolaire : la moitié des sans-domicile sont titulaires du diplôme de fin d’étu-des secondaires (il s’agit de données brutes ne tenant pas compte de la structure par âge). Ce niveau d’études est, bien entendu, beaucoup moins élevé que pour la plu-part des adultes aux États-Unis, même s’il s’agit d’un niveau courant dans les cou-ches sociales les plus défavorisées. Ces résultats sont identiques chez les hommes et chez les femmes. Il ressort clairement de ces études que les trajectoires professionnelles des sans-domicile sont irrégulières et discontinues. Selon l’analyse de Shlay et Rossi, 81 % des sans-domicile en moyenne sont au chômage (sur N = 42 études où figure l’information). Des données plus récentes et plus détaillées démontrent que, sur un échantillon de sans-domicile toxicomanes de la Nouvelle-Orléans (Devine et Wright, 1997), seulement dix pour cent ont travaillé régulièrement, dans la même profession, à l’âge adulte. Le profil-type fait ressortir qu’ils ont occupé différents emplois de courte durée. La durée moyenne de la période d’emploi à plein temps la plus longue était de 3,6 ans chez les hommes et de 2,4 ans chez les femmes. Seule-ment un quart des hommes et 14 % des femmes avaient travaillé à temps complet de façon régulière l’année précédente. Le travail irrégulier (petits boulots, emplois journaliers, etc.) représente le profil d’emploi le plus fréquent pour les hommes (dans 34 % des cas) ; le suivant correspond à une situation de chômage (dans 29 % des cas) ; en ce qui concerne les femmes, plus de la moitié (52 %) étaient sans em-
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         E T A T S - U N I S A N N E E S D E R E C H E R C H E A U X U I N Z E Q ploi pendant la majeure partie de l’année. La semaine précédant l’enquête, 42 % des hommes et 61 % des femmes ont affirmé avoir vécu « au jour le jour . Seulement 10 % avaient travaillé à temps complet. Malgré leur diversité, les sans-domicile proviennent de façon massive des cou-ches les plus défavorisées de la population. Sur quatorze études comportant des données sur les revenus des sans-domicile, le revenu mensuel médian est de 104 dol-lars (Shlay et Rossi, 1992 : 136), ce qui représente une proportion infime du seuil de pauvreté. Il est vrai, certains sans-domicilesurtout ceux impliqués dans des trafics de drogue – ont des revenus étonnamment élevés ; au sein du groupe de sans-domicile toxicomanes de la Nouvelle-Orléans, mentionné plus haut (Devine et Wright, 1997), le revenu moyen du mois précédent, toutes sources confondues, était de 922 dollars chez les hommes et de 836 dollars chez les femmes, ce qui est bien supérieur au seuil de pauvreté par personne. Le pourcentage le plus important de ces revenus provenait d’activités illégales, petite délinquance, vol, trafic de drogue et prostitution chez les femmes. Mises à part les sources de revenus illicites auxquelles les sans-domicile ont parfois recours, il est clair que la plupart des sans-domicile sont nés pauvres et ont été pauvreset même, parmi les plus pauvres des pauvres – toute leur vie. 1. 3.LES DIFFERENCES VILLES-CAMPAGNES D’une manière générale, le phénomène des sans-domicile aux États-Unis est un phénomène urbain. C’est pourquoi, les recherches ont été effectuées principalement dans les plus grandes métropoles. Quelques études très intéressantes réalisées dans les soupes populaires et les programmes d’aide impulsés par les associations reli-gieuses portent néanmoins sur les sans-domicile en milieu rural (voir Firstet al., 1988 ; 1994 ; Fitchen, 1991, 1992 ; Nord et Luloff, 1995). L’existence de sans-domicile en milieu rural en représente le résultat le plus important, révélant que l’Amérique profonde ne se compose pas uniquement de communautés traditionnel-les pittoresques qui « prennent soin des leurs . Bien au contraire, être sans domicile est devenu une réalité pour bon nombre d’Américains vivant en milieu rural ; en Ohio, par exemple, le taux estimé de sans-domicile pour 10 000 habitants était iden-tique, voire même plus élevé en milieu rural qu’en milieu urbain. Autres distinctions ville-campagne à souligner : — Les sans-domicile vivant en milieu rural sont moins visibles qu’en milieu ur-bain car les services sociaux ou les centres d’accueil permettant de répondre à leurs besoins y sont plus rares. C’est pourquoi les sans-domicile vivant en milieu rural doivent compter davantage sur leur famille et amis et instaurer un système plus tra-ditionnel de « débrouillardise . — Alors que les sans-domicile des villes sont plus souvent des hommes, les sans-domicile des campagnes représentent 50% d’hommes et 50 % de femmes. De plus, les sans-domicile des campagnes, contrairement à ceux des villes, sont souvent mariés. Le phénomène des sans-domicile en milieu rural tend à être une « affaire de famille  alors qu’en ville ces derniers sont plutôt « non affiliés . — Les sans-domicile des campagnes se retrouvent plus souvent dans cette situa-tion pour des raisons purement économiques (perte d’emploi, expulsion, etc.) et non à cause de difficultés personnelles telles que troubles mentaux ou toxicomanie. Dans
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J A M E S D . W R I G H T , B E T H A . R U B I N            l’Ohio, le taux estimé de malades mentaux chez les sans-domicile en milieu rural était environ la moitié de celui estimé en milieu urbain. — Enfin, les sans-domicile vivant en milieu rural évitent les centres d’accueil et  préfèrent répondre à leurs problèmes temporaires d’hébergement en séjournant dans leur famille, chez des amis, en logeant en motel ou dans une voiture. Cette tendance à éviter l’aide sociale cache l’étendue réelle du problème des sans-domicile en mi-lieu rural. 1. 4. DYNAMIQUE DU PHENOMENE DES SANS-DOMICILE LA Les recherches effectuées ces quinze dernières années font ressortir un élément tout aussi important qu’inattendu : relativement peu de sans-domicile le sont de ma-nièrechronique(Wright et Weber, 1987 ; Sosinet al.,1990 ; Linket al., 1995). En fait, seulement un quart à un tiers peuvent être considérés comme sans domicile de façon chronique ou permanente au sens où ils le deviendraient à un moment donné de leur vie et le demeureraient éternellement ensuite. La majorité d’entre eux se re-trouve sans domicilepar épisodes; ils le sont de temps à autre durant des périodes de vie errante ponctuées par des périodes où ils sont logés de façon plus ou moins stable (Piliavin et Sosin, 1987-88). De plus, durant une nuit donnée, certains sans-domicile le sont depuis peu et pour la première fois, de telle sorte qu’on ne peut en-core connaître l’aspect chronique ou non que prendra leur situation. Ces résultats ont des implications majeures sur le dénombrement des sans-domicile. Étant donné que la situation de sans-domicilen’est ni statique ni chroni-que, de grandes disparités peuvent apparaître entre le nombre de sans-domicile à un moment précis (c’est-à-dire si on compte les sans-domicile un jour donné ; voir Culhaneet al.,1994) et le nombre de sans-domicile durant une période donnée (par exemple, si on compte les sans-domicile sur une période d’un mois) ; il va sans dire que plus la « période  donnée est longue, plus la différence est grande. Par exem-ple, le nombre d’Américains destinés à se retrouver sans domicile au moins une fois dans l’année est trois à cinq fois plus élevé que le nombre de sans-domicile un soir donné (Rossiet al.,1987). Le fait qu’à notre époque, la plupart des sans-domicile se retrouvent dans ce genre de situation de manière épisodique, et non chronique, influence grandement les mesures envisageables. La solution consiste principalement à éviter que la popu-lation à risque se retrouve sans domicile, ce qui est bien différent des mesures desti-nées à résoudre les problèmes multiples et souvent graves des sans-domicile chroni-ques. Par définition, les sans-domicile temporaires disposent au moins de temps à autre d’un logement acceptable. Un objectif important de la politique sociale devrait donc être de prolonger le temps qu’ils y passent. 1. 5.LES SANS-DOMICILE D’HIER ET D’AUJOURD’HUI : LA TENDANCE Rossi (1989, 1990b) propose une comparaison détaillée entre les sans-domicile d’hier et ceux d’aujourd’hui. Il faut souligner un contraste important qui réside dans le fait qu’aujourd’hui, les sans-domicile souffrent apparemment beaucoup plus d’être privés de logement que ceux que l’on appelait ainsi, vingt ou trente ans plus tôt. L’étude de Bogue réalisée à Chicago en 1958 avait révélé que, sur environ
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         A U X E T A T S - U N I S Q U I N Z E A N N E E S D E R E C H E R C H E 12 000 sans-domicile, seulement une centaine dormait dans la rue, alors que les au-tres passaient la nuit dans des sortes de meublés bon marché. Selon l’étude de Rossi effectuée à Chicago en 1986, la moitié environ des sans-domicile dormait dehors. Enfin, les sans-domicile d’autrefois trouvaient quasiment tous un abri pour la nuit, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. La revue des caractéristiques démographiques des sans-domicile faite plus haut suggère un fait nouveau des plus frappants : la présence non négligeable de femmes et d’enfants parmi la population des sans-domicile d’aujourd’hui (McChesney, 1990, Kryder-Coeet al.,l’étude de Bogue (Bogue, 1963), en 1958 les1990). Selon femmes représentaient seulement 3% de la communauté des clochards de Chicago. Aujourd’hui, un tiers des sans-domicile sont des femmes adultes et 10 à 15 % des enfants et des jeunes de moins de dix-huit ans. On a également noté ci-dessus que les plus âgés ne figurent quasiment plus dans la catégorie des sans-domicile. Les études réalisées dans les années cinquante et soixante ont régulièrement démontré que l’âge des sans-domicile était de cinquante-cinq ans en moyenne, alors qu’aujourd’hui, ces derniers ont de trente à quarante ans environ. Deux autres différences majeures apparaissent entre les sans-domicile d’hier et ceux d’aujourd’hui. Tout d’abord, les sans-domicile d’aujourd’hui sont bien plus désavantagés économiquement. En 1958, Bogue estimait que le revenu annuel moyen d’un sans-domicile de Chicago était d’environ 1 058 dollars. En 1986, l’esti-mation de Rossi indiquait environ 1 198 dollars. Ce revenu moyen, converti en dol-lars constants, équivaut à peine à un tiers du revenu des sans-domicile de 1958. En-suite, la plupart des sans-domicile d’autrefois étaient de race blanche : 70 % selon Bahr et Caplow et 82 % d’après l’étude de Bogue réalisée à Chicago. Les minorités ethniques et raciales sont fortement surreprésentées chez les sans-domicile d’aujourd’hui. Apparemment, ces transformations de la situation des sans-domicile aux États-Unis sont relativement récentes. Au milieu des années 1980, Wright et son équipe ont consulté les fichiers médicaux de sans-domicile de sexe masculin ayant fréquen-té la clinique d’un centre d’accueil de la ville de New York, située au cœur du quar-tier duBowery, entre 1969 et 1984 (Wrightet al.,1987). La moitié des hommes ayant consulté au début de la période considérée (1969-1972) étaient de race blanche (49 %), environ autant (49 %) étaient répertoriés comme toxicomanes ou alcooli-ques, et la moyenne d’âge était de 44 ans ; ce qui confirme que les caractéristiques des « anciens sans-domicile  ont perduré jusque dans les années soixante-dix.  la fin de la période considérée (1981-1984), 15 % seulement étaient de race blanche, 28 % seulement déclarés sous la dépendance de l’alcool ou de la drogue et la moyenne d’âge était de 36 ans. Cela signifie que pendant la période donnée, la moyenne d’âge des sans-domicile de sexe masculin a baissé de six mois par an, ce qui représente un changement d’une rapidité très surprenante. 2. COMBIEN Y A T-IL DE SANS-DOMICILE ? Le dénombrement des sans-domicile aux États-Unis peut sembler d’une grande simplicité, alors qu’il s’est avéré incroyablement difficile. Malgré quinze années de recherche, des points de désaccord importants demeurent sur le nombre de sans-domicile. Comme nous l’avons déjà souligné, le problème vient en partie de la di-
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J A M E S D . W R I G H T , B E T H A . R U B I N            vergence sur la composition de la population sans domicile (Cordray et Pion, 1991) ainsi que de l’incapacité à différencier les estimations relatives à un moment donné et celles relatives à une période donnée (Culhaneet al., aspect du 1994) ; un autre problème vient de la difficulté qu’il y a toujours à dénombrer des groupes de per-sonnes mobiles, sans domicile, et souvent désaffiliées. Enfin, il faut tenir compte du contexte politique global dans lequel ces estimations sont faites. Les difficultés majeures portant sur les points de définition sont les suivantes : il est bien connu que beaucoup de personnes et de ménages résident provisoirement dans leur famille et chez des amis entre leur dernier logement et le suivant (« en si-tuation double 3). Ce groupe doit-il être inclus ou non dans la catégorie des sans-domicile ? Une personne récemment expulsée, qui réside provisoirement chez des amis, n’est pas véritablement sans abri mais elle n’a pas non plus vraiment de domi-cile. Les personnes « en situation double  représentent une partie d’une catégorie bien plus grande d’individus en situation de logement précaire et dont le statut de sans-domicile est par conséquent très ambigu : il s’agit d’individus résidant dans des chambres meublées pour une personne (louées à la semaine ou au mois dans de vieux hôtels), en institution ou en prison, de personnes vivant dans des logements insalubres, de squatters, de mauvais payeurs en retard de loyer et sur le point d’être condamnés par un tribunal, et la liste est encore longue. La décision d’inclure ou non tel ou tel groupe dans la catégorie des sans-domicile a des conséquences majeures sur le décompte qui en découle. Afin d’assurer la crédibilité et la validité de leurs observations, les chercheurs ont besoin de définitions précises. Ce n’est pas le cas des défenseurs de la cause des sans-domicile, qui utilisent leur nombre comme indi-cateur global de pauvreté urbaine, et par conséquent comme argument politique. Les ambiguïtés inhérentes à la définition et au dénombrement des sans-domicile ont engendré la notion de « sans-domicile cachés , c’est-à-dire ceux qui sont « dehors quelque part  mais que personne ne parvient à dénicher. La notion de « sans-domicile cachés  rend toute comptabilisation définitive impossible puis-qu’aucun chercheur ne peut prétendre les avoirtous On a pris l’habitude recensés. de considérer les chiffres relatifs aux sans-domicile comme des estimations limite à la baisse et d’effectuer des ajustements statistiques à la hausse afin d’évaluer « au mieux  des estimations approchées. Les chercheurs peuvent donc dire (et ils ne s’en privent certes pas) qu’il y a au moins X sans-domicile (dans telle ville, tel État ou dans l’ensemble du pays), voire plus ; les défenseurs des sans-domicile font de même et disent à juste titre que l’estimation X n’exclut pas un chiffre réel bien plus grand que X.  la fin des années 1980, plusieurs enquêtes ont convergé vers un chiffre X por-tant sur l’ensemble du pays, qui variait de quelques centaines de milliers, soit entre un demi-million et un million de sans-domicile au sens restreint4 États-Unis, aux une nuit donnée (voir Burt, 1992 ; Kondratas, 1991 ; Wright, 1989a pour une vision globale de la recherche sur ce sujet). L’étude réalisée par l’Urban Institute(Burt et Cohen, 1989a) estimait qu’il y avait entre 567 000 et 600 000 sans-domicile, tout en  3. Traduction littérale du terme américain «doubled up pour lequel il n’existe pas d’équivalent fran-çais, le plus proche étant « hébergés  (N.d.T.). 4 .Traduction deliterally homeless, c’est-à-dire dormant dans la rue, un lieu impropre à l’habitation comme une gare, un parking ou dans un centre d’hébergement (N.d.T.). 
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         U I N Z E Q N N E E S A E D E C H E R C H E R A U X E T A T S - U N I S considérant cette estimation comme « un peu élevée, en raison de notre souhait d’aller dans le sens de la générosité... afin d’éviter les difficultés rencontrées aupara-vant par leHUD(Housing & Urban Development Department)  (cité dans Kondra-tas, 1991 : 7). William Tucker, analyste conservateur, avançait un chiffre approxi-matif de 700 000 dans un article important (1987). En 1990, l’estimation de la Direction du Budget du Congrès américain (Congressional Budget Office) portait également sur un chiffre de 700 000.  la fin de cette même décennie, les chercheurs étaient d’accord sur « plus d’un demi-million mais moins d’un million , ce qui re-présentait quand même beaucoup moins de sans-domicile que ce que beaucoup pen-saient, mais c’était un chiffre qu’au moins quelques défenseurs de leur cause (voir Dolbeare, 1991) et la plupart des membres de la communauté des chercheurs avaient plus ou moins accepté. La nuit du recensement de 1990 (The 1990 Census and S-Night)5  des fins de dénombrement, les sans-domicile peuvent être divisés en trois groupes : — les sans-domicile hébergés en centres d’accueil, faciles à dénombrer, — les sans-domicile vivant dans la rue, très difficiles à dénombrer, les sans-domicile « cachés , impossibles à dénombrer. Jusqu’à aujourd’hui, la tentative la plus importante pour dénombrer les deux premiers groupes, et à un moindre degré le troisième, a été réalisée à l’occasion du recensement de la population de 1990, qui a tenté de compter, au moins en partie, les sans-domicile d’un certain nombre de villes dans une opération connue sous le nom deS-night. Le 20 mars 1990, entre 18h et minuit, des équipes d’agents recenseurs ont visité tous les centres d’accueil connus des villes sélectionnées et ont comptabilisé les per-sonnes qui y passaient la nuit ou qui se trouvaient à l’intérieur. De 2h à 4h du matin le jour suivant, ils ont essayé de dénombrer les sans-domicile vivant dans la rue. Puis, en fin de matinée, les mêmes agents recenseurs ont tenté de localiser les per-sonnes occupant des bâtiments à l’abandon. Le but du recensement dans les centres d’accueil, dans la rue et les locaux désaffectés était d’obtenir des données empiri-ques sur lesquelles s’appuyer pour construire une estimation (Taeuber et Spiegel, 1991). Les résultats du recensement furent publiés en 1991 : la nuit du recensement avait permis de dénombrer seulement 228 372 personnes sans domicile, ce qui re-présente moins de la moitié des estimations « au mieux  devenues couramment admises à la fin des années quatre-vingt. Doit-on prendre les chiffres de la nuit du recensement au sérieux et les considé-rer comme l’estimation la plus plausible du nombre de sans-domicile ? Les réserves qui figurent dans toutes les publications du recensement concernant cette opération laissent à penser que l’équipe de chercheurs du Bureau du Recensement ne prend pas ces chiffres très au sérieux, contrairement à certains. Jusqu’à quel point peut-on considérer ce recensement complet et crédible ? Afin de répondre de façon précise à ces questions, des chercheurs ont conduit des expérimentations dans cinq métropoles : Chicago (Edin, 1992), New York  5. S-Night: S =Shelter & Street(dans les centres d’hébergement et dans la rue) (N.d.T.).
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J A M E S D . W R I G H T , B E T H A . R U B I N            (Hopper, 1992), Los Angeles (Cousineau et Ward, 1992), Phoenix (Stark, 1992) et la Nouvelle-Orléans (Devine et Wright, 1992). Il s’agissait de placer de « faux  sans-domicile dans des périmètres préétablis de chaque ville sélectionnée. Comme les agents recenseurs exploraient les périmètres qui leur avaient été assignés, ils de-vaient rencontrer les « vrais  sans-domicile aussi bien que les « faux . Ils avaient reçu pour mission d’aborder et de comptabiliser toutes les personnes rencontrées dans la rue entre 2h et 4h du matin. Comme les responsables de l’expérimentation savaient qui étaient les « faux  sans-domicile et dans quelle proportion ils se trou-vaient, il ne leur restait plus qu’à soustraire les « faux  des « vrais . En effet, puis-que les « faux  avaient été déployés dans des zones où les agents recenseurs étaient à la recherche des sans-domicile pendant que le décompte avait lieu, le nombre de « faux  sans-domicile effectivement dénombré permettait de voir à quel point le recensement effectué était exact. Les résultats de ces cinq expérimentations laissent à penser que les données de la nuit du recensement de 1990 concernant lescentres d’hébergement satisfai- sont santes. Ils conduisent cependant aussi à penser qu’environ trois-quarts des personnes peuplant lesruesconsidérées manquaient à l’appel. Le meilleur résultat pour la nuit du recensement indique un taux de couverture record de 66 % à la Nouvelle-Orléans (les agents recenseurs y dénombrèrent 66 % des « faux  sans-domicile). Lors de l’expérimentation effectuée à Chicago, les observateurs ont repéré des agents recen-seurs dans un tiers seulement des lieux sélectionnés et, sur 18 sans-domicile inter-viewés le matin suivant l’enquête, seulement 5 d’entre eux (28 %) pensaient avoir été recensés (Edin, 1992 : 365).  Los Angeles, les chiffres de la nuit du recense-ment indiquaient que les agents recenseurs auraient omis de 59 % à 70 % de la po-pulation considérée (Cousineau et Ward, 1992 : 389) ; à Phoenix, seulement 30 % des « faux  sans-domicile en place pensaient avoir été recensés. Donc, à l’exception des résultats de la Nouvelle-Orléans, les chiffres concernant les autres villes où une expérimentation avait eu lieu sont compatibles avec la conclusion que les équipes du Bureau du Recensement ont peut-être « omis  les trois-quarts des sans-domicile dé-nombrables. Que signifie le chiffre de 228 372 sans-domicile établi pendant la nuit du recen-sement par rapport au nombre réel de sans-domicile « dénombrables  dans le pays ? Si le recensement effectué dans les centres d’accueil est complet à 90 %, on peut es-timer le nombre de sans-domicile hébergés en centres d’accueil à 178 638/0,9 = 198 500, ce qui correspond à peu près à 200 000 sans-domicile. S’il y a autant de sans-domicile vivant dans la rue qu’en centres d’accueil (c’est-à-dire, si la nuit du recensement des sans-domicile vivant dans la rue sous-estime autant la réalité que le sous-entendent les données expérimentales), le nombre total de sans-domicile « dénombrables  est deux fois plus élevé que le nombre de sans-domicile hébergés en centres d’accueil, soit de l’ordre de 400 000. Cette conclusion est cohérente non seulement avec les résultats obtenus sur le terrain lors de la nuit du recensement mais aussi avec les recherches indépendantes sur la proportion de sans-domicile hé-bergés en centres d’accueil par rapport à ceux de la rue. Les chiffres obtenus lors de l’expérimentation effectuée à la Nouvelle-Orléans (Devine et Wright, 1992 ; Wright et Devine, 1997) donnent une estimation allant de 600 000 à 900 000 sans-domicilenon dénombrables, c’est-à-dire ceux qui ne se-ront inclus dans aucune statistique une nuit donnée, même s’ils sont recherchés par
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         U X E E C H E R C H E A E R N N E E S D T A T S - U N I S A U I N Z E Q les enquêteurs avec la dernière énergie. Ce chiffre dépend bien sûr des hypothèses que l’on avance sur la généralisation des données de la Nouvelle-Orléans. En résumé, la population des sans-domicile au sens restreint, en particulier ceux qui le sont de façon épisodique, passe relativement peu de nuits dans des centres d’accueil, des lieux publics ou des endroits dans la rue qui permettraient, théorique-ment, de les recenser. La plupart d’entre eux errent d’un endroit à l’autre, et passent respectivement quelques nuits en centres d’accueil, dans la rue, dans leur famille et chez des amis, ce qui rend tout dénombrement précis et exhaustif quasiment impos-sible. En ce qui concerne les sans-domicile au sens restreint une nuit donnée, la nuit du recensement a permis d’en identifier moins de un sur trois, voire même de un sur cinq. 3.L’AUGMENTATION DU NOMBRE DE SANS-DOMICILE : POURQUOI ? Les recherches ont porté sur deux types d’approche principaux visant à expliquer l’existence du phénomène des sans-domicile ainsi que leur augmentation ces quinze dernières années. Pour simplifier, nous avons baptisé ces deux types d’approche « l’approche structurelle  et « l’approche individuelle . Les chercheurs qui consi-dèrent que l’état de sans-domicile est le résultat de troubles du comportement ou de « handicaps  peuvent facilement prouver que ces handicaps, principalement la toxi- comanie et les maladies mentales, sont beaucoup plus répandus chez les sans-domicile que chez ceux ayant un logement stable. Il faut néanmoins reconnaître que beaucoup des chercheurs en question admettent que les troubles du comportement résultent parfois de la situation de sans-domicile autant qu’elles peuvent en être la cause. Par ailleurs, il est évident que des facteurs d’origine socio-structurelle in-fluent aussi sur l’augmentation du nombre de sans-domicile. Il serait naïf de croire qu’il s’agit, soit du premier cas de figure, soit du deuxième, comme si l’état de sans-domicile était exclusivement d’origine individuelle ou d’origine socio-structurelle. Une synthèse facile de ces deux points de vue est d’affirmer que la structure sociale favorise l’augmentation du nombre de personnes susceptibles de se retrouver sans domicile et que les handicaps individuels déterminent quelles personnes, au sein de la population à risque, se retrouvent dans ce genre de situation. 3. 1.LES FACTEURS D’ORIGINE INDIVIDUELLE Les principales causes du phénomène des sans-domicile au niveau individuel restent la toxicomanie et les maladies mentales (ces deux facteurs sont souvent liés). On peut affirmer sans trop de risque que ces handicaps sont très répandus chez les sans-domicile et représentent même, dans de nombreux cas, la cause de leur situa-tionà première vueanalyses du type de celle de Baum. Mais, contrairement à des et Burnes (1993), les caractéristiques d’un individu n’expliquent pas, en dernier res-sort, pour quelle raison il se retrouve sans domicile. Dans beaucoup de cas, l’alcoolisme est une cause intermédiaire. Une étude por-tant sur des sans-domicile alcooliques de Baltimore, de sexe masculin, révèle que 59 % d’entre eux ont reconnu être devenus sans-domicile à cause de l’alcool (Fis-cher et Breakley, 1991). La boisson peut également être une forme d’adaptation à la situation de sans-domicile (Shandler et Shipley, 1987 ; Wright, 1989b). On peut af-firmer d’une manière générale que le pourcentage de sans-domicile victimes de
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