Les « Solidarités » médiévales. Une société en transition : la Flandre en 1127-1128 - article ; n°4 ; vol.12, pg 529-560
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Les « Solidarités » médiévales. Une société en transition : la Flandre en 1127-1128 - article ; n°4 ; vol.12, pg 529-560

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Description

Annales. Économies, Sociétés, Civilisations - Année 1957 - Volume 12 - Numéro 4 - Pages 529-560
32 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1957
Nombre de lectures 41
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

J. Dhondt
Les « Solidarités » médiévales. Une société en transition : la
Flandre en 1127-1128
In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 12e année, N. 4, 1957. pp. 529-560.
Citer ce document / Cite this document :
Dhondt J. Les « Solidarités » médiévales. Une société en transition : la Flandre en 1127-1128. In: Annales. Économies,
Sociétés, Civilisations. 12e année, N. 4, 1957. pp. 529-560.
doi : 10.3406/ahess.1957.2674
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1957_num_12_4_2674ÉTUDES
Les « Solidarités » médiévales
Une société en transition : la Flandre en 1127-1128
Un prince assassiné : le fait, au moyen âge, est assez banal. Et si le
successeur désigné est en place, l'événement n'a que la portée d'un
incident ; il en va autrement si, à ce moment précis, manque l'indispen
sable et indiscutable successeur. Ce qui caractérise, en effet, les institu
tions gouvernementales du moyen âge, c'est que l'administration, la
bureaucratie si l'on veut, n'est pas encore cette puissance autonome
capable d'agir en vertu de sa force acquise, d'amortir les chocs et de
traverser sans dommage les époques d'intérim toujours dangereuses.
D'autre part, l'autorité suprême du vne au xine siècle, c'est bien,
— malgré la fugitive parenthèse carolingienne, — l'autorité proche du
prince territorial, cette complexe combinaison de pouvoirs régaliens,
personnels, domaniaux et autres qui pèse sur les conditions d'existence
des habitants d'une grande, mais non trop vaste région. Le cadre vivant
de la société du moyen âge est là : ce n'est ni le royaume, ni la seigneurie,
celui-là trop vaste, un peu irréel, celle-ci trop menue, mais bien cette
principauté régionale, organisée ou non. Question de dimensions : alors
la territoriale est l'entreprise politique de grandeur optima,
comme diraient les économistes.
En France et ailleurs, la mort du roi n'influe guère sur l'existence des
habitants du royaume (sauf justement dans la partie où il est avant tout
le « prince ») ; de même, la mort d'un petit chevalier ne touche qu'un
groupe restreint ; au contraire, la mort du prince « territorial » ouvre les
portes à l'anarchie, quand il n'y a pas de successeur, elle met violemment
en cause les conditions d'existence d'une population entière : le drame
passe de l'individu au groupe social. Une lutte s'engage, où tout ce que la
principauté compte de « puissances » г s'affronte durement ; toutes les
liaisons et structures se brisent, d'où, pour l'historien, une situation d'un
intérêt très rare, au plus près d'une expérience en laboratoire : sous nos
yeux, toutes les forces collectives entrent en jeu. Bien entendu, l'expé
rience n'est scientifiquement valable que si elle est minutieusement
observée et décrite, ce qui reste tout à fait exceptionnel. Mais le cas se
rencontre une fois, au moins, avec le meurtre du comte de Flandre Charles
1. Par puissances, j'entends les différentes forces sociales, plus ou moins perman
entes, à même d'agir d'une manière autonome dans la poursuite de leurs intérêts :
dynasties baronniales, villes, solidarités régionales, etc.
529
Annales (12* année, octobre-décembre 1957, n° 4) 1 ANNALES
le Bon, à Bruges, le 2 mars 1127 x. L'événement nous offre bien plus que
sa gerbe de lumières ; il éclaire tout un paysage.
Le complot et ses suites ont été souvent narrés *, sous la forme de
récits stéréotypés, moralisateurs, assez inutiles en vérité pour qui veut
saisir la réalité sociale. Mais un récit fait exception, celui de Galbert de
Bruges : il a noté les événements au jour le jour, s'appliquant comme il
le dit lui-même à ne tenir compte que des « faits généraux » 3. La mental
ité de l'auteur, son sens aigu du concret, le fait que, pour des raisons
mystérieuses, il n'a pas remanié son récit après coup pour le rendre
cohérent et par suite assez faux, toutes ces circonstances nous valent un
témoignage unique sur les rouages d'une société médiévale aux prises
avec une crise puissante, capable de la secouer jusque dans ses assises.
Trop souvent, nos travaux d'histoire médiévale 4 laissent une impress
ion d'irréel. S'agirait-il d'hommes autres que nous ? Cette impression
vient sans doute de nos sources, plus encore de l'emploi que, de Sidoine
Appolinaire à Suger, en font les historiens.
La documentation est d'une pauvreté insigne 5, même dans les cas
les plus favorables, celui, par exemple, d'un souverain dont nous possé
dons une biographie ; nous connaissons seulement quelques rares événe
ment!?, mal choisis, pour chaque année de sa vie. La situation est pire
si l'on veut étudier un groupe social. Régulièrement, nous en sommes
réduits à lier entre elles des données séparées, en fait, par des semaines,
des mois, voire des années. Jamais entre nos doigts ne se reconstitue
l'écheveau continu et multiple de la vie. Or l'histoire humaine ne se
déroule pas selon une ligne abstraite entièrement reconstruite ; l'histoire
est la totalité de fils entremêlés.
1. La grande majorité de nos références viennent du récit de Galbert, dont il existe
deux éditions principales, celle des Monumenta Germaniae Historica (SS, XII, p. 561-
619), et celle de Pirenne (dans la « Collection Picard », 1891). La division en chapitres
de ces deux éditions étant la même, nous renvoyons aux chapitres et non aux pages
Malheureusement, au paragraphe 59 de son édition, Langebek (l'éditeur des Monum
enta) s'est trompé dans sa numérotation : il a sauté le numéro 59. A partir de ce cha
pitre, il faut donc, pour retrouver nos références, retrancher une unité de nos indications
de chapitre. Autres sources importantes auxquelles nous renvoyons : La vie du comte
Charles, par Gauthier de Thérouanne (MGH, SS, XII, p. 537-561) et le texte de
V Enquête (désigné ci-après par « Enquête ») menée pour la punition des meurtriers et
qui est inséré dans la chronique de Baudouin d'Avesnes (MGH, SS, XXV, p. 441-442).
2. En dehors de Galbert, il s'agit de Gauthier de Thérouanne (MGH, SS, XI,
p. 537, sq.), de Herman de Tournai (SS, XIV, p. 285-286) et de Suger {Vie de Louis
le Gros, éd. Waquet, Paris, 1929).
3. Galbert, Histoire du meurtre de Charles le Bon, ch. 35, p. 58.
4. Par moyen âge, j'entends dans cet exposé la période qui s'étend approxima
tivement de l'an 600 à l'an 1200. Pour la justification de cette conception, cf. infra,
p. 532.
5. Cette pauvreté est encore plus marquée qualitativement que quantitativement :
les données des sources narratives se rapportent essentiellement à l'histoire politique
et individuelle des souverains et des princes, ou à l'histoire semi-collective des commun
autés religieuses. Les autres groupes sociaux apparaissent beaucoup moins.
530 « SOLIDARITÉS » MÉDIÉVALES
Pour le haut moyen âge, nous pouvons nous estimer heureux quand
nous parvenons à reconstituer une simple ligne, faite en réalité de petits
segments de fils très différents, qui, dans la réalité, s'entrecroisent et ne
se prolongent pas. A partir du xuie siècle, et de plus en plus à mesure que
nous avançons vers les temps actuels, les faisceaux de fils de nos docu
ments deviennent épais et touffus. A tel point que la tâche de l'historien
consiste dès lors à les démêler pour détacher les plus épais et en faire
une trame.
Si je me livre à ces considérations trop générales et faciles, c'est que
le récit de Galbert, par une fortune exceptionnelle, nous livre un gros
faisceau de fils, document à vrai dire unique pour l'intelligence de la
société médiévale. Sa date, 1127-1128, accroît encore sa valeur : le dou
zième siècle est le siècle-charnière autour duquel le monde occidental
s'est comme retourné : disons, avec de vieux mots, qu'alors se termine
le moyen âge et s'amorce l'époque moderne. Cette évolution, je le sais
bien, ne se produit pas partout en même temps, au même rythme, selon
les mêmes processus. Je connais bien aussi la

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