Les Tharu et le royaume hindou de Dang (Népal). Souveraineté divine et endogamie ethnique - article ; n°116 ; vol.30, pg 30-54
26 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Les Tharu et le royaume hindou de Dang (Népal). Souveraineté divine et endogamie ethnique - article ; n°116 ; vol.30, pg 30-54

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
26 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

L'Homme - Année 1990 - Volume 30 - Numéro 116 - Pages 30-54
25 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1990
Nombre de lectures 22
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Gisèle Krauskopff
Les Tharu et le royaume hindou de Dang (Népal). Souveraineté
divine et endogamie ethnique
In: L'Homme, 1990, tome 30 n°116. pp. 30-54.
Citer ce document / Cite this document :
Krauskopff Gisèle. Les Tharu et le royaume hindou de Dang (Népal). Souveraineté divine et endogamie ethnique. In: L'Homme,
1990, tome 30 n°116. pp. 30-54.
doi : 10.3406/hom.1990.369307
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1990_num_30_116_369307Gisèle Krauskopff
Les Tharu et le royaume hindou
de Dang (Népal)
Souveraineté divine et endogamie ethnique*
Gisèle Krauskopff, Les Tharu et le royaume hindou de Dang (Népal). Souveraineté
divine et endogamie ethnique. Cet article vise d'une part à définir l'espace où s'exerçait
la tutelle de l'ancienne principauté hindoue de Dang, d'autre part à montrer comment
les unités sociales dangaura tharu, originellement instables, se sont soudées et moulées
dans ce cadre. L'unité du royaume était fondée sur les droits inaliénables d'un dieu,
Ratannâth, sur le « pays ». Les dynasties successives, dont les possessions territoriales
étaient fragiles, ne furent que des serviteurs éphémères du dieu, seul « maître »
permanent du royaume. Il régnait sur un espace sans limite territoriale définie, centré
sur les sanctuaires et les réseaux rituels les unissant, à l'image d'un mándala.
Les Tharu conçoivent la filiation comme un héritage divin qui les relie aux dieux
tutélaires des chef feries locales et indirectement à Ratannâth. Ces dieux du sol régissent
les relations entre les groupes de filiation et leur intégration au « pays ». Qu'un espace
rituel, celui du royaume hindou de Dang, ait été le support de l'aire d' endogamie
dangaura Tharu contredit une conception substantialiste de l'ethnie basée sur des
critères linguistiques et incite à traiter sur le même plan deux ensembles que la tradition
universitaire oppose, une communauté dite « tribale » et un royaume hindou
— approche qui conduit à redéfinir la notion d'« hindouisation ».
La jungle insalubre du Térai, « séjour de pestilence et de mort »! séparant
le Massif himalayen de la plaine du Gange, a inspiré l'inquiétude aux voyageurs
qui la traversaient et nimbé de mystère ses habitants, les Tharu. Dans son chef-
d'œuvre sur le Népal, Sylvain Lévi évoque ces « énigmatiques » Tharu
« enfermés dans leur retraite que nul ne peut leur disputer [...] ils vivent entre
eux, cachant jusqu'au secret de leur langue, ne s 'adressant aux étrangers qu'en
hindoustani »2. On retrouve une interrogation similaire chez les premiers
observateurs britanniques du xixe siècle : à la poursuite d'une entité tharu fal
lacieuse, ils dressent un catalogue hétéroclite de leurs traits ethniques ou
raciaux sans réussir à l'unifier, offrant des reconstructions imaginaires de cette
« tribu démembrée » (broken tribe)3.
Sur le terrain, on est d'emblée confronté à l'extrême diversité des groupes
appelés tharu, répartis sur les mille kilomètres de la plaine du Térai en isolats
endogames de culture différente. Ils parlent des dialectes de langues d'Inde du
L'Homme 116, oct.-déc. 1990, XXX (4), pp. 30-54. Tharu 31 Les
Nord (hindi, bhojpuri, maithili) variant suivant les régions et partagent ce ter
roir avec d'autres communautés marginales, comme les pêcheurs et passeurs de
fleuves (Bote, Mahji, Raji...), les potiers Kumhar ou les éleveurs Ahir4.
Les Dangaura Tharu, c'est-à-dire les « Tharu de Dang », usent d'un idiome
dérivé du bhojpuri et ont une culture originale. Ils vivent à l'ouest du Térai
népalais, dans les vallées de Dang et de Déokhuri. Contrairement au reste du
Térai qui forme un continuum avec la plaine indo-gangétique, ces basses val
lées, appelées en népali « Térai intérieur », sont creusées dans les premiers
contreforts himalayens. Dang est un bassin (600 m), bordé au nord par le
massif du Mahabharat et au sud par la chaîne des Siwalik, au pied de laquelle
coule la Babaï. Au sud de ces collines, se trouve la vallée de Déokhuri (300 m),
arrosée par le fleuve Rapti et limitée au sud par un plissement montagneux de
faible altitude (1 000 m) qui constitue depuis 1860 la frontière avec l'Inde. Un
petit nombre de Dangaura Tharu habitent du côté indien de la frontière dans le
district de Tulsipur. Avant la guerre anglo-népalaise de 1816 qui aboutit à la
fixation des frontières actuelles entre l'Inde et le Népal, cette région était sous
la même tutelle politique que les vallées de Dang et de Déokhuri.
Les Tharu de Dang et ceux de Déokhuri présentent quelques différences
dans le costume, les noms de clans, certains traits de l'organisation rituelle,
mais ils forment une unité endogame, refusant de s'intermarier avec d'autres
communautés tharu du Térai. L'« énigme » qui s'offre à nous n'est ni celle des
origines ni celle poétiquement évoquée par Sylvain Lévi. Il s'agit de la relative
homologie entre l'aire d'endogamie dangaura tharu et l'aire de tutelle de
l'ancienne principauté hindoue de Dang, telle qu'elle était définie au
xvme siècle et a survécu, quoique dépendant d'autres états, jusqu'au xxe siècle.
C'est la question que je vais tenter de résoudre, tout en la considérant comme
l'illustration d'une autre voie d'approche dans la définition des « catégories
ethniques ».
Le problème est celui du lien entre des unités sociales périphériques et un
centre de pouvoir exogène. Les faits m'imposent de traiter sur le même plan
deux ensembles que la tradition universitaire disjoint ou oppose : d'un côté une
société' dite « tribale » selon l'usage hérité des Britanniques, de l'autre une
royauté hindoue. En formalisant leur lien, j'espère montrer qu'une définition
substantialiste de l'ethnie n'est pas appropriée dans ces régions de carrefour
culturel. La réflexion sur les frontières d'un réseau d'appartenance doit en cer
tains cas — c'est celui du royaume de Dang et des Tharu — passer par la défi
nition de son centre.
CATEGORIES LINGUISTIQUES ET LABELS ETHNIQUES
La conception substantialiste de l'ethnie, comme la quête des origines chez
les observateurs britanniques, repose sur l'importance donnée au critère li
nguistique dans la classification des populations. Cette conception amalgame 32 GISÈLE KRAUSKOPFF
souvent deux ordres de faits différents, le partage d'une langue et l'utilisation
d'un même ethnonyme. Comme Leach l'a remarqué à propos des populations
de Birmanie, « la plupart des auteurs souscrivent au dogme selon lequel ceux
qui parlent une langue particulière constituent une entité unique et définissable,
et que le groupe ainsi formé a toujours une culture et une histoire bien à lui.
Ainsi, en retraçant l'histoire d'une langue, nous retraçons celle du groupe qui,
aujourd'hui, parle cette langue. C'est à ce genre de groupe que l'on fait allu
sion lorsqu'on parle de ' races ' et de ' tribus ' de Birmanie » (1972 : 74).
Au Népal, il existe deux grandes familles linguistiques : les langues indo
européennes, parlées par les gens du Térai et les Parbatya de l'Himalaya, popul
ations dominantes de culture hindoue qui ont fondé l'État moderne du Népal ;
les langues tibéto-birmanes, parlées par des communautés rattachées aux
régions du nord et de l'est qu'on unifie parfois sous la catégorie de « Tibéto-
Birmans » ou de « tribus tibéto-birmanes », pour les opposer aux Parbatya
organisés en castes5.
Dans un tel cadre, les groupes Tharu, autochtones du Térai, sont difficil
ement classables. Leurs divers dialectes indo-européens ont été considérés
comme le signe d'une acculturation et de l'éclatement d'une tribu originelle6.
Dans une région du monde où les échanges sont des facteurs constitutifs de
l'originalité culturelle, c'était en quelque sorte prendre le problème à l'envers.
Autant parce qu'une origine unique est peu probable que parce que la genèse et

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents