Marx et Engels devant la marginalité : la découverte du lumpenproletariat - article ; n°59 ; vol.18, pg 5-17
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Description

Romantisme - Année 1988 - Volume 18 - Numéro 59 - Pages 5-17
13 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1988
Nombre de lectures 24
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Raymond Huard
Marx et Engels devant la marginalité : la découverte du
lumpenproletariat
In: Romantisme, 1988, n°59. pp. 5-17.
Citer ce document / Cite this document :
Huard Raymond. Marx et Engels devant la marginalité : la découverte du lumpenproletariat. In: Romantisme, 1988, n°59. pp. 5-
17.
doi : 10.3406/roman.1988.5472
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1988_num_18_59_5472Raymond HUARD
Marx et Engels devant la marginalité
la découverte du lumpenproletariat
Le marxisme est-il apte à saisir la marginalité ? C'est une idée reçue
qu'il ne l'est pas, précisément parce que les processus qu'il a mis en lumière
concernent plutôt les forces sociales et historiques principales et non les
éléments plus difficilement classables dans la société.
Idée reçue, mais néanmoins largement inexacte. Marx et Engels n'ont
pas été seulement des savants en chambre, mais des hommes d'action, des
militants plongés dans la réalité historique avec toutes ses facettes et ses
contradictions. Et du même coup, ils ont rencontré la marginalité, avec ses
aspects têtus, dérangeants parfois pour le théoricien, et pourtant explicables.
Le lumpenproletariat en fait partie. Pour Marx et Engels, c'est une
découverte précoce, qui date des années 1830, précisément au moment où
ils se lancent dans la vie politique et sociale, au moment aussi où, sortant
d'Allemagne, ils connaissent les grandes capitales que sont Londres et Paris,
villes sans équivalent en Europe à l'époque. Le lumpenproletariat, c'est tout
simplement le prolétariat en guenilles ou en haillons. Le mot a pris un sens
générique, est devenu synonyme d'une couche sociale, ce qui n'était sans
doute pas le cas au départ. Engels d'abord et Marx ensuite l'ont repéré
chacun de façon originale1. Mais pour apprécier la nouveauté de cette notion,
il faut la confronter d'abord à la vision courante qu'on a, à l'époque, des
milieux populaires.
Le point de départ, le diptyque peuple /populace
C'est presque un lieu commun chez les auteurs qui traitent de l'histoire
contemporaine et de la société au début du XIXe que de distinguer deux caté
gories dans le peuple. L'une qui correspond aux travailleurs ayant un emploi,
à peu près fixés, et qui sont vus avec une certaine sympathie, l'autre qui
est aux frontières de la délinquance qu'on appelle en général la populace.
Celle-ci suscite la crainte et fait l'objet de toutes les critiques, notamment
à cause de son instabilité et de la violence de ses interventions occasionn
elles. Les républicains eux-mêmes, en principe favorables au peuple, ne
nient pas l'existence de cette fraction instable du peuple et, en général, c'est
à elle qu'ils attribuent les débordements possibles qui ont pu être constatés 6 Raymond Huard
dans certaines circonstances historiques (massacres de septembre 1792 par
exemple) 2. Louis Chevalier a montré brillamment dans son livre Classes
laborieuses et classes dangereuses 3 , la prégnance de ces représentations et
leur force opératoire. Naturellement la frontière entre peuple et populace
est assez floue, mouvante même en fonction des conditions économiques.
Citons comme un bon exemple de vision de la populace, cette charge de
Thiers dans son Histoire de la Révolution française :
« Depuis ces temps où Tacite la vit applaudir aux crimes des Emper
eurs, la vile populace n'a pas changé. Toujours brusque en ses mouv
ements, tantôt elle élève l'autel de la patrie, tantôt elle dresse des
échafauds et n'est belle et noble à voir que lorsqu'entraînée par les
armées, elle se précipite sur les bataillons ennemis. Que le despotisme
n'impute pas ses crimes à la liberté car sous le despotisme, elle fut tou
jours aussi coupable que sous la république ; mais invoquons sans cesse
les lumières et l'instruction pour ces barbares pullulant au fond des
sociétés, toujours prêts à les souiller de tous les crimes à l'appel de tous
les pouvoirs et pour le déshonneur de toutes les causes » *.
C'est donc vraisemblablement ce lieu commun qui sert à Marx et
Engels de point de départ. Lieu commun propre surtout à la France et à
l'Angleterre car la société allemande à la fois moins avancée au plan éco
nomique, moins massive du fait du morcellement territorial, n'offre sans
doute pas de réalité vraiment comparable. N'oublions pas que Marx a lu
Les Mystères de Paris (1842-43), qu'il traite assez longuement dans La
Sainte Famille (rédigée en 1 844) 5. Or Les Mystères de Paris sont un
peu le roman -miroir de tout un tiers monde urbain. Ce qui conforte
aussi cette idée, c'est que, chez Marx et Engels, le mot lumpenproletariat
s'insère lui-même dans un champ de synonymes : « lazzaroni », « mob »,
« tag rag and bob tail », « stadtisch Pôbel », qui désignent précisément
cette populace. On considérera donc en première approche que le lumpenp
roletariat est au prolétariat ce que la populace est au peuple, et l'on peut
déjà remarquer que deux traits notés par Thiers comme caractéristiques de
la populace seront pour l'essentiel repris par Marx dans la définition du
lumpenproletariat, à savoir la versatilité politique et la propension à la
délinquance. Cependant il faut se souvenir que lorsque Marx et Engels
commencent à évoquer le lumpenproletariat, la notion de prolétariat au sens
moderne du terme est elle-même tout juste naissante, puisque c'est en 1837
seulement que Sismondi différencie clairement le prolétariat moderne du
prolétariat antique <!. Distinction fort pertinente que Marx et Engels n'oublie
ront pas. C'est donc par une démarche parallèle et même complémentaire
que le prolétariat et le lumpenproletariat vont prendre forme dans la pensée
de Marx et Engels.
L'émergence du mot et de la notion (1844-1848)
Si l'on suit leur démarche on s'aperçoit qu'ils viennent à l'idée de lum
penproletariat par deux voies différentes, l'une plutôt économique et socio
logique, l'autre plutôt historique et politique.
Engels est le premier à mettre en évidence dans La Situation de la
classe laborieuse en Angleterre (livre écrit en 1844-45) l'existence d'un
с sous-prolétariat » qui est en somme l'armée de réserve du capital. Dans Marx et Engels devant la marginalité 7
les deux chapitres assez truculents (le second surtout) intitulés respective
ment « La concurrence » et « L'immigration irlandaise », il décrit avec brio
d'une part la population des < superflus », des « excédentaires » sans travail
fixe, réduits à des occupations de fortune (colporteurs divers, ramasseurs de
crottin, « jobbers », c'est-à-dire travailleurs occasionnels, etc. 7) et surtout
les immigrés irlandais. La description qu'il donne de ces derniers est d'ail
leurs empruntées à Chartism de Carlyle (1839) ; dénuement, malpropreté,
insouciance, brutalité, alcoolisme, tels sont les caractères de la vie des Irlan
dais. Citons pour être plus démonstratif deux extraits significatifs :
« Ces travailleurs irlandais qui pour 4 pence (3 1/3 groschen d'ar
gent) font la traversée, serrés souvent comme du bétail sur le pont du
navire, s'installent partout. Les pires demeures sont assez bonnes pour
eux ; leurs vêtements les préoccupent peu tant qu'un seul fil les maint
ient ; ils ignorent l'usage des chaussures ; leur nourriture consiste uni
quement en pommes de terre. Ce qu'ils gagnent en plus, ils le boivent ;
pourquoi de tels êtres auraient-ils besoin d'un fort salaire ? Les pires
quartiers de toutes les grandes villes sont peuplés d'Irlandais ; partout
où un quartier se signale particulièrement par sa saleté et son délabre
ment, on peut s'attendre à apercevoir en majorité ces visages celtiques
qui, au premier coup d'oeil, se distinguent des physionomies saxonnes
des indigènes et à entendre cet accent irlandais chantant et aspiré que
l'Irlandais authentique ne perd jamais. »
Revenant ensuite sur l'alcoolisme des Irlandais dont il souligne fort
ement l'origine sociale, Engels écrit aussi :
« Le caractère méridional, frivole de l&#

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