Messaline décadente, ou la figure du sang - article ; n°31 ; vol.11, pg 209-228
21 pages
Français

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Messaline décadente, ou la figure du sang - article ; n°31 ; vol.11, pg 209-228

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
21 pages
Français
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Romantisme - Année 1981 - Volume 11 - Numéro 31 - Pages 209-228
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1981
Nombre de lectures 37
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M Jean de Palacio
Messaline décadente, ou la figure du sang
In: Romantisme, 1981, n°31. Sangs. pp. 209-228.
Citer ce document / Cite this document :
de Palacio Jean. Messaline décadente, ou la figure du sang. In: Romantisme, 1981, n°31. Sangs. pp. 209-228.
doi : 10.3406/roman.1981.4484
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1981_num_11_31_4484Jean de PALACIO
Messaline décadente, ou la figure du sang
«[...] rien que le vice inévitable, c'est-à-
dire [...] l'épaule de Messaline ».
Baudelaire
« Le sang, le beau sang, le cher sang,
l'adorable sang » .
Catulle Mendès
Le propre de la Décadence étant d'organiser son univers en espaces
privilégiés qui constituent comme autant de catégories de l'imaginaire,
toute approche critique de ce phénomène devrait, semble-t-il, prendre la
forme d'une topologie plutôt que d'une thématique. Jardin, serre, cir
que, cage, prison, cimetière délimitent et morcellent un univers obses
sionnel, plus effrayant que rassurant, où les espaces éternels sont soumis
à une triple loi de clôture, de fixation et de descente : loin d'être infinis,
ils sont soigneusement enclavés ; loin d'être dépouillés, ils sont le plus
souvent surchargés, fourmillants, saturés ; loin d'être naturels, ils sont
dénaturés, fiefs de la démesure, de la violence ou du carnage. L'éviction,
à tous les niveaux, de la nature au profit de l'artifice, met en œuvre tout
un système de substitutions, une esthétique du remplacement ou du pa
raître, qui constituent un univers du trompe-l'œil où l'œil est sommé de
prendre sa tromperie pour la vérité. Le corps humain fait tout naturell
ement les frais de cette démarche. Organisme en proie à de constantes
mutations, il devient comme un carrefour d'invasions, le lieu géométri
que de métamorphoses successives qui lui font traverser les trois règnes
de la nature, surtout le règne végétal, dans un constant chevauchement
de l'un sur l'autre. Les fleurs de Des Esseintes affectent « une apparen
ce de peau factice sillonnée de fausses veines » (1) ; et sur son épiderme
affiné par les fards, Madame de Spérande peindra « des veines que le
sang ne gonfle plus » (2).
Dans cette peinture d'un monde anémique ou exsangue, ces figu
res emblématiques de la Décadence que sont Cléopâtre ou Messaline
semblent donc en retrait : celle-ci, pour sacrifier encore, dans le soin de
sa parure, à des « moyens naturels » (3), celle-là, pour offrir au baiser
du messager ses « veines les plus bleues », passage shakespearien que
l'écriture fin-de-siècle reprend pourtant volontiers. Mais ce retour appa
rent à un univers pré-harveyen ne doit pas donner le change. Le sang
qu'elle paraissait avoir perdu, la Décadence, mettant la transfusion à
1. Huysmans, A Rebours (1884), chap. VIII. Toutes les citations renverront à
ce chapitre.
2. Catulle Mendès, Lila et Colette, Monnier, 1885, p. 5.
3. Ibid., p. 4. 21 0 Jean de Palacio
l'honneur, s'empresse de le récupérer par récriture, généralement sous
l'angle du symbolique et du factice. La circulation s'en rétablit, mais
par des voies détournées, comme celles du cœur de la Sphinge de Schuré
« où le sang sortait rouge de désir et rentrait bleu de trahison » (4). La
botanique apporte son concours, s'il est vrai que, « mieux qu'en aucun
temps », la femme, suivant l'expression de Paul Adam, « apparentée à
la plante, devient sa propre métaphore » (5). Il n'est guère de fleur de la
serre de Des Esseintes qui ne saigne à profusion comme une bouche ;
guère de corps féminin qui ne soit « riche plante humaine étalant [...]
une montée profonde du sang à la peau » (6). Le jeune homme qui a
commis l'imprudence d'apporter de vraies fleurs à Madame de Spérande
et croit ses espoirs condamnés, voit néanmoins, à l'issue d'une longue
réprimande, « s'approcher de ses lèvres le baiser d'une lèvre trop rou
ge » (7). Or, c'est bien là le trop-plein du sang, l'excès de la « rougeur
qu'on appelle chez les parfumeurs-chimistes : couleur morsure-de-bais
er » (8). Zola, Banville y voyaient déjà la marque de Messaline.
Si les espaces éternels de la Décadence effraient, c'est moins par
leur silence que par leur rougeur. A les bien considérer en effet, on s'
aperçoit très vite qu'ils présentent, en dépit de leur diversité, une parti
cularité commune qui est d'être sous-tendus ou irrigués par un fleuve de
sang. Avant même d'entrer dans le détail de la topologie décadente,
l'étude de ces espaces liminaires ou marginaux que sont le titre (d'un
livre, d'une nouvelle, d'un poème) ou le cadre (d'un tableau) est déjà
révélatrice. Mossa, dans une de ses œuvres les plus caractéristiques,
Elle, tache le bois du cadre d'un semis de macules rouges (9). Dans
l'écriture décadente, l'épanchement du sang jusque dans l'espace du titre
est un fait remarquable : outre Barrés, auquel fera écho Victorien du
Saussay (Rires, sang et volupté, 1901), on peut rappeler L'Amour qui
saigne (1882) de René Maizeroy et, du même, Des Baisers, du sang
(1898) ; deux romans intitulés Le Sang, l'un de Noël Kolbac (1888),
l'autre de Jane de la Vaudère (1898) ; L 'Or sanglant (1900) et Du Sang
dans les ténèbres (1910) de Daniel Lesueur ; le recueil Le Sang des
dieux (1882) de Lorrain, et sa nouvelle « Le Verre de sang » dansito-
veurs d'âme (1893) ; une autre nouvelle, de Rachilde cette fois, « La
4. Edouard Schuré, L 'Ange et la Sphinge, Perrin, 1897, p. 306.
5. Paul Adam, Le Triomphe des Médiocres, Ollendorff, 1898, p. 260.
6. Camille Lemonnier, Madame Lupar, Charpentier, 1888, p. 105.
1. Lila et Colette, p. 6.
8. Ibid., p. 5.
pi. 11. 9.Dans Gustav le plan Adolf de Mossa travail et en les dix symboles, chapitres, Nice, apparemment Galerie des rédigé Ponchettes, par le peintre 1978,
en 1906, Elle figure au chapitre II (« Les Monstres »). Le lien entre cette toile et
Messaline est fort probable. Une Messaline, non exécutée, était prévue au chapitre
III (justement intitulé « Elles ») qu'elle devait ouvrir. D'autre part, un titre de r
echange de Elle est constitué par le vers de Juvénal Hoc volo sic jubeo sit pro ratione
voluntas (Satires, VI, 223) où Messaline se lit en filigrane. C'est un des trois passages
de Juvénal (cf. ci-après, n. 35 et 122) qui servent d'assise au mythe. Camille Lemonn
ier dira par exemple d'Isidore Lupar, le faible mari de Madame Lupar : «[...] il
n'avait eu qu'à s'incliner devant le sic volo, sic jubeo de cette souveraineté souriante
et légère, qui l'absorbait aussi moelleusement que son giron de femelle deux fois
grande comme lui [...] » (Madame Lupar, p. 6). On verra que cette « souveraineté »
est en fait sanglante. Messaline décadente 211
Buveuse de sang ». {Contes et nouvelles, 1900) ;et d'innombrables poè
mes, de Swinburne (« Satia te sanguine »), Stanislas de Guaita (« Bains
de sang »), Jean Richepin («La Chanson du sang »), Edmond Harau-
court (« Sonnets de sang »), Jean Lorrain (« Cruore cincta »), Edouard
Dubus («Le sang des roses ») et ce titre rouge de Pierre Dévoluy publié
par les éditions de la Revue Blanche, Bois ton sang (1892) ; ou encore,
de Camille Mauclair, Le Sang parle (1904) et de Sébastien-Charles Le-
conte, Tannée suivante, Le Sang de Méduse, le plus caractéristique peut-
être, avec ses quatre sections intitulées respectivement «Le sang a jailli»,
« Le sang ruisselle », « Le sang se fige », « Le sang a tari ». Mais, non
content d'envahir la page de titre ou la table des matières, le sang fuse
au colophon avec une abondance et une complaisance tout chirurgical
es, comme dans ce roman de Maxime Formont intitulé Le Baiser rouge:
Des lèvres de Ramiro, un flot de sang jaillit, inonda la figure et le corsage
de sa maîtresse. Alors elle râla : « Felipe ... Felipe ... », et ceux qui étaient là
ne surent pas si c'était torture ou jouissance. [...] Se redressant alors, la marq
uise éclata de rire, folle, les lèvres ruisselantes du Baiser Rouge » (10).
En reprenant le ti

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents