Notes d ethnographie huichol : la notion de ma ive et la nosologie  ; n°1 ; vol.80, pg 195-206
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Notes d'ethnographie huichol : la notion de ma'ive et la nosologie ; n°1 ; vol.80, pg 195-206

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Journal de la Société des Américanistes - Année 1994 - Volume 80 - Numéro 1 - Pages 195-206
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Publié le 01 janvier 1994
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Langue Français
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Michel Perrin
Notes d'ethnographie huichol : la notion de ma'ive et la
nosologie
In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 80, 1994. pp. 195-206.
Citer ce document / Cite this document :
Perrin Michel. Notes d'ethnographie huichol : la notion de ma'ive et la nosologie. In: Journal de la Société des Américanistes.
Tome 80, 1994. pp. 195-206.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1994_num_80_1_1534NOTES D'ETHNOGRAPHIE HUICHOL :
LA NOTION DE M AWE ET LA NOSOLOGIE
Michel PERRIN *
Ayant mené durant plusieurs mois une enquête ethnographique chez les Indiens
huichol du Mexique, en 1988, 1989 et 1990, je me suis résolu à réunir ici des
données concernant la notion de ma'ive et les catégories étiologiques. Malgré des
manques et des imperfections manifestes, elles peuvent tenir lieu d'hypothèses et
stimuler la recherche sur le terrain.
Complétant mes travaux sur les urukame — ces petits cristaux de roche qui ont
la fascinante propriété d'être associés par les Huichol à la quête de la connaissance
mythique, à la fidélité au rituel, à une conception originale du vieillissement et de
la mémoire, à la maladie et à une volonté implicite d'envisager comme graduel le
passage de la vie à la mort (Perrin 1992b et 1993b) — , ces quelques notes mettent
un point final à une recherche que j'ai dû malheureusement arrêter en raison d'une
incompatibilité entre la pratique ethnographique et le pouvoir tatillon, coercitif et
souvent arbitraire exercé à l'époque par l'administration indigène.
La notion huichol de ma'ive
La plupart des auteurs qui ont étudié la société huichol — tels Lumholtz (1900,
1902), Zingg (1938), Benzi (1972), Negrin (1985) —, et les Huichol eux-mêmes,
lorsqu'ils s'expriment en espagnol, emploient divers qualificatifs pour définir des
êtres, des actions ou des objets touchant au domaine du religieux. Ce sont, en
langue espagnole, « prohibido » (interdit, tabou), « delicado » (fragile, « délicat »),
« sagrado » (sacré), « peligroso » (dangereux), ou « intocable » (intouchable). Mais
aucun auteur ne cite les mots huichol auxquels ces différentes notions feraient
référence. Mon enquête permet de supposer qu'ils ont rendu par ce vocabulaire
varié un seul mot huichol : ma'ive (ou ma'ibé) l.
À un moment où une discussion au sujet du « sacré » s'engage de nouveau dans
la communauté anthropologique, il n'est pas inutile de montrer comment les
Huichol instaurent une coupure entre leur « monde-autre » 2 et le monde du banal,
de l'ordinaire.
Ma'ive est une notion huichol essentielle. Elle dénote l'appartenance au
* Laboratoire d'Anthropologie Sociale (CNRS), Collège de France, 52, rue du Cardinal Lemoine,
75005, Paris.
Journal de la Société des Américanistes 1994, 80 : p. 195 à 206. Copyright ©, Société des Américanistes. 196 JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
monde-autre. Elle désigne aussi tout être, toute chose ou tout acte de ce monde-ci
censé être soumis à l'autorité du monde-autre, à son contrôle. Elle indique
également qu'une limite implicite entre le profane et le « sacré » a été franchie.
D'un lieu d'offrande, sorte d'oratoire appelé rixiki, on dira qu'il est ma'ive.
C'est un lieu « sacré » où se manifeste le monde-autre et d'où l'on peut communiq
uer avec les êtres ou les forces qui le peuplent. Il faut le respecter.
Des courges, des épis de maïs, de l'amarante, on affirme qu'ils sont ma'ive avant
qu'ils aient été « désacralisés » (pireerriya, nepinawa'ilû), c'est-à-dire avant qu'on
leur ait « quitté le ma'ive » {ma'ive pinawailiyane) par des rites appropriés. Car les
aliments les plus importants sont associés au monde-autre par le biais de
« maîtres » des animaux. Ils peuvent donc être pathogènes ou contaminants et en
conséquence interdits; en huichol : ma'ive. On dira par exemple : ikuli pûma'ive
pù'kamaawalia : « le maïs est tabou tant qu'il n'a pas été l'objetd'une offrande, d'un
rite » (maawalira). Pour les Huichol, il faut donc « adorer » (púíítimave lù'wane) les
aliments avant de pouvoir les manger sans crainte de tomber malade. Ma'ive'tsitya
(«qui est dû au ma'ive») qualifie les maladies liées à la consommation de
nourriture non « désacralisée », maladies tellement courantes que cette expression
peut tout simplement être entendue comme « être malade ».
Les rites une fois accomplis, les aliments deviennent kama'ive, littéralement
« non ma'ive », non « sacrés », et donc consommables. Comme si les offrandes des
chamanes pour compenser les déprédations causées par les humains aux êtres du
monde-autre suffisaient pour que ces derniers acceptent de « neutraliser » les
aliments, c'est-à-dire d'en retirer le pouvoir ma'ive. Mais lorsque les végétaux
renaissent, chaque année, le rituel doit être renouvelé, comme s'il fallait de nouveau
désamorcer une force originelle.
La notion d'origine est d'ailleurs indirectement associée à celle de ma'ive. On
peut devenir ma'ive lorsqu'on se rapproche des lieux originaires. On l'est au retour
d'une pérégrination à Wirikuta, la terre où l'on cueille le peyotl — le cactus
psychotrope, lui-même ma'ive — et l'un des lieux d'où semble se «développer»
tout l'univers mythique huichol. Me mûma'ive hikuritame, « ceux du peyotl (hikuri)
sont ma'ive » : on ne peut pas les toucher car ils sont dangereux, pathogènes. Les
chamanes doivent les « désacraliser », comme ils le font du maïs. D'une manière
peut-être comparable, la femme et l'enfant à qui elle vient de donner naissance sont
considérés comme ma'ive : non seulement fragiles, mais aussi empreints d'une force
originelle. Selon Zingg (938 : 510, t. II éd. esp.), ceux qui viennent de mourir
seraient également ma'ive.
Par extension, le terme ma'ive peut aussi qualifier une expérience humaine ou
une personne qui relève d'une catégorie protégée, tenue en conséquence comme
«sacrée». Par exemple, sont ma'ive, m'a-t-on affirmé, ceux qui sont vierges,
« authentiques », tels la jeune fille ou le jeune homme qui n'ont « pas été touchés »
(kamayù'iya) et sont restés « purs ». Comme si la virginité était une force liée à un
état originaire que neutralisera la socialisation figurée par l'accouplement.
D'ailleurs, la limite entre « ce qui est ma'ive» (pûma'ive) et ce qui ne l'est pas
(pù'kama'ive) est relative. Par exemple, ce qui est ma'ive pour un enfant ne l'est pas
forcément pour un adulte. Il en est ainsi, dit-on, de Yurukame, le cristal de roche.
Un adulte peut le manipuler. Car son pouvoir ma'ive est intermédiaire ou faible — NOTES ET COMPTES RENDUS DE RECHERCHE 197
et ce pouvoir lui-même dépend de la qualité de l'individu dont il provient 3. Mais
si un enfant touche un urukame, il tombera malade.
La séparation entre ce monde-ci et le monde-autre est également relative. Par
exemple, pour arriver à ses fins, un émissaire du monde-autre, ma'ive par essence,
peut transformer le regard des hommes ou changer d'apparence {pù'kuûlike,
pukujuliké), prenant celle d'un être ou d'un objet banal (kama'ive), ou bien celle
d'un être humain, apparence qualifiée de tem y aie. Son pouvoir ma'ive ne sera alors
découvert qu'a posteriori, lorsque ses effets ne seront fait sentir, à moins qu'un
chamane ou un devin ne l'ait décelé auparavant.
Ces quelques remarques montrent que les Huichol accordent à la notion de
ma 'ive une valeur absolue ou bien une valeur relative. Dans le premier cas, ce serait
une force propre à certains êtres ou à certaines choses qui peut être transmise par
contact, par « contamination ». Dans le second cas, elle est définie par les relations
d'opposition, explicites ou implicites, entre ma'ive et son contraire, kama'ive. Et ces
relations sont multiples. Elles peuvent être celles entre interd

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