Parodie, nostalgie de l immortalité : destin des automates et des cyborgs occidentaux - article ; n°1 ; vol.40, pg 153-164
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Parodie, nostalgie de l'immortalité : destin des automates et des cyborgs occidentaux - article ; n°1 ; vol.40, pg 153-164

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Description

Ebisu - Année 2008 - Volume 40 - Numéro 1 - Pages 153-164
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2008
Nombre de lectures 45
Langue Français

Extrait

Michel Tibon-Cornillot
Augustin Berque
Britta Boutry-Stadelmann
Nathalie Frogneux
Suzuki Sadami
Parodie, nostalgie de l'immortalité : destin des automates et des
cyborgs occidentaux
In: Ebisu, N. 40-41, 2008. Actes du colloque de Cerisy. "Être vers la vie. Ontologie, biologie, éthique de l'existence
humaine". pp. 153-164.
Citer ce document / Cite this document :
Tibon-Cornillot Michel, Berque Augustin, Boutry-Stadelmann Britta, Frogneux Nathalie, Sadami Suzuki. Parodie, nostalgie de
l'immortalité : destin des automates et des cyborgs occidentaux. In: Ebisu, N. 40-41, 2008. Actes du colloque de Cerisy. "Être
vers la vie. Ontologie, biologie, éthique de l'existence humaine". pp. 153-164.
doi : 10.3406/ebisu.2008.1529
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ebisu_1340-3656_2008_num_40_1_1529n" 40-41, Automne 2008 - Été 2009 Ebisu
ARODIE, NOSTALGIE DE L'IMMORTALITE
Destin des automates et des cyborgs occidentaux
Michel TIBON-CORNILLOT
EHESS
Les productions artificielles telles que les automates et les cyborgs1 ont
un étrange statut temporel, bien différent du temps des hommes, ces fra
giles mammifères, ces improbables « sacs de peaux, d'os et d'humeurs2 ».
L'omniprésence de ces êtres autonomes invulnérables révèle l'importance
de la quête occidentale engagée dans leur production/amélioration et la
puissance des analyses centrées sur ce thème, analyses menées pour la pre
mière fois par les fondateurs de la pensée romantique allemande, à la char
nière des xviiic et xixe siècles. C'est donc vers eux que je conduirai ma
première enquête.
Les sources magiques des golems et des robots
En 1816, paraît le récit d'Ernst Theodor Amadeus Hoffmann,
L'Homme au sable (Der SandmannY . Bon connaisseur de la cabale4 et de
1 Le terme de cyborg est un néologisme d'origine anglo-saxonne formé à partir des
termes cybernetic et organism, désignant ainsi la formation d'organismes vivants compre
nant des parties artificielles de type informatique ou mécanique.
: «[...] Zeus coupa les hommes en deux [. . .] et chaque fois qu'il en avait coupé un,
il ordonnait à Apollon de retourner le visage et la moitié du cou du côté de la coupure, afin
qu'en voyant sa coupure, l'homme devint plus modeste. [...] Apollon retournait donc le
visage et ramassant de partout la peau sur ce qu'on appelle à présent le ventre comme on fait
des bourses à courroie, il ne laissait qu'un orifice et liait la peau au milieu du ventre : c'est ce
qu'on appelle le nombril. », dans Platon, Le Banquet, Paris, Flammarion, 1992, p. 55.
1 Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, L'Homme au sable, Paris, Aubier-
Flammarion, éd. bilingue, traduit par Geneviève Bianquis, 1968, p. 67 ; p. 69.
4 Sur le thème cabaliste du golem, on lira l'ouvrage de Moshe Idel, Le Golem, Paris,
Cerf, 1993 ; et à propos de l'influence de la cabale (particulièrement au XVIe siècle) sur 154 Michel TIBON-CORNILLOT
l'alchimie5, l'auteur retrace le parcours de son jeune héros, Nathanaël,
confronté à ses délires, et met en valeur les liens unissant ses « hallucina
tions » et la présence d'une femme-automate, la fameuse Olympia, dont
il tombe éperdument amoureux. Ce texte extraordinaire inspira des music
iens, des poètes, des philosophes et fut longuement commenté par Freud,
cent ans après, dans son texte L'inquiétante étrangeté (Das Unheimlichê)
paru en 1919.
Cent autres années se sont écoulées depuis la parution de ces appro
ches psychanalytiques, laps de temps au cours duquel les affirmations
freudiennes ont perdu une bonne part de leur légitimité. Par contre, le
récit de L 'Homme au sable reste toujours aussi étrange, pour nous lecteurs
actuels ; il nous faut reconnaître que Hoffmann est plus que jamais notre
contemporain.
Freud commentant le conte d'Hoffmann L 'Homme au sable ne voyait
dans le personnage d'Olympia qu'un agréable divertissement incapa
ble d'entraîner ce sentiment d'inquiétante étrangeté6 : « Je dois cepen
dant dire — et j'espère avoir l'assentiment de la plupart des lecteurs du
conte - que le thème de la poupée Olympia, en apparence animée, ne peut
nullement être considéré comme seul responsable de l'impression incom
parable d'inquiétante étrangeté que produit ce conte... avec la poupée
vivante, il n'est plus ici question de peur7 ». Qui pourrait avoir peur d'une
« poupée vivante » ? Freud neutralise en quelques mots l'objet auquel la
présence d'Olympia est censée renvoyer dans ce conte, la présence d'une
femme-automate capable de susciter le désir de Nathanaël. Freud n'a ni vu
ni compris le cœur du message envoyé vers le futur par Ernst Hoffmann
par l'intermédiaire d'Olympia : la mise en place littéraire de cet automate
(dans le conte) n'est pas seulement une construction « fantastique » mais
exprime une intuition remarquable des orientations que prendront les
productions scientifiques et techniques modernes.
Hoffmann est notre contemporain parce qu'il fut le premier à expli
citer l'engagement « mystique » des hommes d'Occident dans la fabrica
tion des automates et des cyborgs. Il sut démontrer clairement que leur
volonté collective de remettre leurs destins aux machines et aux cyborgs est
l'ensemble des milieux intellectuels européens, le livre de Frances Yates, Giordano Bruno
et la tradition hermétiste, Paris, Dervy livres, 1988.
1 II est important de distinguer les deux traditions, alchimiste et cabaliste, ainsi que
l'indique André Neher dans son ouvrage, Faust et le Maharalde Prague. Le mythe et le réel,
Paris, PUF, 1987.
'' Sigmund Freud, « L'inquiétante étrangeté », dans Essais de psychanalyse appliquée,
Paris, Gallimard, 1975. "
p. 176. Ibid, nostalgie de l'immortalité 1 55 Parodie,
le prix à payer pour accéder à l'immortalité. Nous tous, contemporains de
Hoffmann, frères et sœurs de Nathanaël, nous pouvons prononcer après
lui ces mots que Nathanaël adresse à son ami Siegmund : « Olympia parle
peu, c'est vrai, mais ses rares paroles sont comme les hiéroglyphes d'un
monde intérieur où régnent l'amour et la connaissance de la vie spirituelle,
dans la contemplation d'un éternel au-delà...8 ». Olympia, l'automate, est
d'essence divine, elle est originaire de l'Olympe ; elle appelle Nathanaël
vers ce destin immortel.
Tirer quelques fils de la trame du conte
L'histoire rapportée par E.T. A. Hoffmann est écrite sous la forme d'une
correspondance entre Nathanaël et son ami Lothaire, le frère de Clara qui
est la fiancée de Nathanaël. Dès la première lettre, Nathanaël lui avoue
que malgré son bonheur présent, il ne peut s'empêcher de se remémorer
les circonstances dans lesquelles il fut mêlé, tout jeune enfant, aux événe
ments menant à la mort de son père. Il rappelle à son ami que de temps en
temps, sa mère envoyait les enfants au lit beaucoup plus tôt car, disait-elle
« l'homme au sable » allait venir voir leur père ; du reste, à chacune de ces
soirées, Nathanaël entendait le pas lourd d'un visiteur monter l'escalier.
D'autre part, la « bonne d'enfant » dûment interrogée sur l'identité de
l'homme au sable, lui avait raconté que « c'était un méchant homme qui
vient chez les enfants qui ne veulent pas aller au lit, jette des poignées de
sable dans leurs yeux ce qui fait sauter ceux-ci, tout sanglant hors de la tête
[. . .] ». Voulant en avoir le cœur net, le petit Nathanaël se cacha de façon à
voir qui était l'homme au sable. Il reconnût alors en ce personnage l'avocat
Coppélius, un homme répugnant, effrayant. Nathanaël raconte à Lothaire
qu'il (se cacha et) assista à une séance au cours de laquelle Coppélius et
son père tentèrent de fabriquer un être vivant. S 'évanouissant de peur dans
le laboratoire, l'enfant tomba entre les mains de Coppélius qui voulut lui
prendre ses yeux ; l'avocat sembla y renoncer sur la demande du père de
Nathanaël mais en profita « pour observer de près le mécanisme des mains
et des pieds. Sur quoi, il m'empoigna violemment, me faisant craquer les
articulations, il me dévissa les mains et les pieds et les revissa tantôt d

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