Paul Ier, l ordre de Malte et l Église romaine - article ; n°2 ; vol.70, pg 411-430
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Description

Revue des études slaves - Année 1998 - Volume 70 - Numéro 2 - Pages 411-430
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 36
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Alain Blondy
Paul Ier, l'ordre de Malte et l'Église romaine
In: Revue des études slaves, Tome 70, fascicule 2, 1998. pp. 411-430.
Citer ce document / Cite this document :
Blondy Alain. Paul Ier, l'ordre de Malte et l'Église romaine. In: Revue des études slaves, Tome 70, fascicule 2, 1998. pp. 411-
430.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/slave_0080-2557_1998_num_70_2_6512PAUL 1er, L'ORDRE DE MALTE
ET L'ÉGLISE ROMAINE
PAR
ALAIN BLONDY
II semble inutile de revenir sur les difficiles relations entre Paul et sa mère,
la Grande Catherine. Mais on ne peut occulter la puissance du ressentiment (et
le mot est sans doute faible) du prince à l'encontre de l'impératrice lorsque l'on
veut essayer d'expliquer certains des choix politiques de Paul. En ce qui
concerne l'ordre de Malte et, à un moindre degré, l'Église de Rome, les analyses
ou les pulsions naturelles de l'empereur ont, sans nul doute, été induites ou
amplifiées par sa volonté de prendre le contre-pied de la politique de sa mère.
La difficulté d'une telle étude vient donc, non d'une absence de sources et de
témoignages, mais, au contraire du recours obligé, et malheureusement unique, à
ces documents qui permettent seulement de narrer et difficilement d'expliquer,
tant les décisions de Paul étaient les résultantes d'une alchimie psychologique
pour le moins complexe.
DANS L'OMBRE DU TRÔNE
L'enfant frustré d'amour maternel, meurtri par les ragots sur sa bâtardise1,
plein de haine pour celle et ceux qui avaient perpétré le meurtre de son père
(18 juillet 1762), toujours à la limite de connaître un sort identique et de surcroît
affecté d'un physique chétif et disgracieux, avait toutes les raisons d'avoir un
équilibre psychologique fragile. Paul se rebella violemment, mais il fut un
insurgé « du dedans ». Sachant que le moindre faux pas lui serait fatal, il attendit
sournoisement son temps, pesant, jaugeant et jugeant chacun, se réservant pour
lui-même la sublimité de ses rêves et projets. Ainsi que le montre Waliszewski2,
ses précepteurs le gavèrent d'une nourriture morale ou intellectuelle trop import
ante et inadaptée à son jeune cerveau. Les uns le traitaient en homme adulte,
mais en homme unique, appelé à devenir souverain ; d'autres, tel l'archiman-
1. Golovkin raconte que Catherine II elle-même n'aurait pas dédaigné de faire infor
mer directement à Paul sur l'illégitimité de sa naissance pour qu'il ne s'imaginât pas qu'il eût
des droits naturels à lui succéder, mais qu'au contraire il n'était tsarévich que du fait de sa
seule bonté (Golovkin 1905 : 103).
2. Waliszewski 1912 : 8-9.
Rev. Étud. slaves, Paris, LXX/2, 1998, p. 411-430. 412 ALAIN BLONDY
drite Platon, l'imprégnaient de la conscience de ses devoirs et du sublime de sa
vocation : « Ce fut la destinée de Paul de mettre toujours dans sa tête plus de
choses qu'elle ne pouvait en contenir. » II prit ainsi l'habitude de répondre,
comme un enfant, par l'imaginaire à toutes les sollicitations du réel. Dans une
atmosphère de cour plus que leste, où rien de ce qui était scabreux ne lui était
volontairement caché, Paul ne trouva de réponse au besoin de pureté naturel à
tout enfant qu'en s 'imaginant pouvoir réincarner les princes du Moyen Âge, à la
fois souverains, en raison de leur naissance, et défenseurs de la foi chrétienne,
en raison de leur devoir.
Le même grand-duc qui s'endormit sur son cahier d'étude en murmurant :
« Je règne »3, fut très tôt fasciné par la chevalerie des Croisades et plus spécia
lement des Hospitaliers de Saint- Jean-de- Jérusalem :
Le 28 février [1765]. Lundi. [...] Je lus au tsarévitch l'histoire des chevaliers de
l'ordre de Malte de Vertot4. Ensuite il se mit à jouer : paré de toutes ses décorations, il
s'imaginait être un chevalier de l'ordre de Malte. À neuf heures nous dînâmes. [. . .]5.
Il déguisait ses chambellans en chevaliers des Croisades et organisait des tour
nois, les hommes en cottes de mailles et les chevaux caparaçonnés6. S'il fut un
domaine qui contredit le prince de Ligne dans l'excellent portrait qu'il a laissé
de Paul Petrovič : « II est extrêmement mobile, mais pendant le peu de temps
qu'il veut une chose dans son intérieur, ou qu'il aime, ou qu'il hait, c'est avec
violence et entêtement7 », ce fut bien l'ordre de Malte dont il ne se désintéressa
jamais.
Avec l'adolescence et la jeunesse adulte, l'âme épique de Paul le conduisit
à porter sa curiosité tourmentée sur les expériences mystiques ou, au moins,
mystérieuses. Lors du voyage qu'il fit en Europe de septembre 1781 à novembre
1782, avec la grande-duchesse Maria Fedorovna8, les rencontres et les événe
ments qui le marquèrent le plus furent les baisers9 que lui donna le pape Pie VI10
3. Ibid.
4. Aubert René, abbé de Vertot (1655-1735). Capucin, puis prémontré, il se livra très
tôt à l'étude, publiant Histoire des révolutions de Portugal (1689) et Histoire des révolutions
de Suède (1696) qui lui valurent d'entrer, en 1705, à l'Académie des Inscriptions. Devenu
secrétaire de la duchesse d'Orléans, ses derniers ouvrages furent Histoire des
romaines (1719) et Histoire de l'ordre de Malte (1726), rédigée à la demande des Chevaliers.
Écrivain au style élégant et facile, sachant « mettre en scène » ses récits, il fut, en réalité, un
piètre historien, restant au niveau superficiel des connaissances.
5. Semon Andreevič Porošin, Записки, служащие к истории Его Императорс
кого Высочества Благоверного Государя Цесаревича и Великого Князя Павла
Петровича наследника Российского, SPb., 1844, р. 289. Extrait cité dans Peskov 1996 :
45. En 1797, le nonce, М§г Litta, écrivait au cardinal Secrétaire d'Etat, M£r Doria : « Depuis
sa plus tendre enfance, il a eu pour cet ordre un respect et un attachement particuliers »
(Archivio Segreto, Vaticano [A.S.V., Polonia], 344, 1).
6. Morane 1907 : 192.
7. Cité dans Waliszewski 1893 : 531.
8. Née Sophie-Dorothée de Wurtemberg-Montbéliard.
9. Catherine en félicita Paul en termes ironiques, l'assurant que peu de catholiques
avaient ramené de telles raretés de leur passage à Rome {Сборник русского исторического
общества, t. IX, SPb., 1867л?., р. 121).
10. L'abbé Ciofani écrivait au roi de Prusse, le 7 février 1782 : « LL. AA. II. ont été
enchantées du Pape, très satisfaites de son humanité ; elles ne se sont pas rassasiées de le
voir » (Archives de Berlin, dans Morane 1907 : 230). PAUL Ier, L'ORDRE DE MALTE ET L'ÉGLISE ROMAINE 413
lorsqu'il reçut le couple en audience, et les fastes de la liturgie pontificale à
Saint-Pierre11, la réception des chevaliers du Saint-Esprit à laquelle il assista,
émerveillé, à Versailles, et sa rencontre avec Lavater, à Zurich12. Paul exigea de
ce dernier qu'il lui expliquât ses idées par le menu et il l'écouta avec avidité. En
effet, le grand-duc avait eu, peu auparavant, une « révélation » qui en dit long
sur son introversion et ses frustrations. Arrivé à Montbéliard, il avait séjourné
dans la petite cour provinciale des parents de la grande-duchesse, petits princes
allemands rousseauistes qui l'accueillirent avec affection et sans étiquette. Ce
mode de vie, nouveau pour lui, lui fit découvrir le monde de l'affectif et il
écrivit au comte Rumjancev : « Nous vivons depuis huit jours de la vie de
famille ; ce que j'éprouve est tout nouveau pour moi ; c'est un bonheur dont le
cœur est la source, et non l'esprit13. » Aussi bien, sa rencontre avec Lavater ne
pouvait tomber à un moment plus propice. Son éducation, tout intellectuelle, qui
lui avait inculqué la supériorité de sa mission et la hauteur de ses devoirs de
chrétien, n'avait trouvé jusqu'alors, comme exutoire dans le domaine du sen
sible, que l'exaltation de son imagination. Lavater lui offrit une nouvelle possib
ilité, l'expérience mystique14. Mais le grand-duc ne fit qu'un demi-parcours : il
était trop cérébral15 et avait banni depuis trop longtemps tout sentiment, pour
que sa foi, sincère mais point dogmatique, ne limitât ses nouvelles effusions à
une

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