Pékin et l'Asie centrale après la fin de l'URSS - article ; n°1 ; vol.44, pg 10-21

Nicolas Becquelin

Description

Perspectives chinoises - Année 1997 - Volume 44 - Numéro 1 - Pages 10-21
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: PERSPECTIVES_CHINOISES
• Publié le: 01 janvier 1997
• Nombre de lectures: 25
• Langue: Français
• Poids de l'ouvrage: 2 Mo

Extrait

Nicolas Becquelin
Pékin et l'Asie centrale après la fin de l'URSS
In: Perspectives chinoises. N°44, 1997. pp. 10-21.
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Becquelin Nicolas. Pékin et l'Asie centrale après la fin de l'URSS. In: Perspectives chinoises. N°44, 1997. pp. 10-21.
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Pékin et l'Asie centrale
après la fin de l'URSS
NICOLAS BECQUELIN
EN décembre 1986 de violentes émeutes ant ment trois états activement impliqués dans la géostraté
isoviétiques secouent Alma-Ata, déclenchées par gie de la région, la Russie, le Pakistan et l'Afghanistan.
la décision de Gorbatchev de remplacer le gou Et les dirigeants chinois sont devenus de plus en plus
verneur kazakh par un Russe. C'est le début d'un pro préoccupés par la stabilité de la province, qui a été
cessus qui aboutira cinq ans plus tard à la dissolution de secouée par des incidents répétés depuis l'apparition de
l'Union Soviétique, et à l'émergence de cinq nouveaux ces nouveaux Etats (2).
Etats en Asie centrale: le Kazakhstan (16,9 millions Comment la Chine a-t-elle réagi face à ce nouveau
d'habitants), l'Ouzbékistan (22 millions), le Turkmén contexte, et quels objectifs a-t-elle poursuivis ? A-t-elle
istan (4 millions), le Tadjikistan (5 et le Kir réussi une quelconque percée dans la région ? Et quelles
ghizstan (4,5 millions). Cette région de près de 50 mil répercussions ces transformations ont-elles eues sur la
lions de km2 s'étend d'ouest en est de la mer Caspienne région du Xinjiang ? La complexité des nouvelles inter
aux frontières de la province chinoise du Xinjiang ; et du actions qui traversent l'Asie centrale, alliée à la spécifi
nord au sud entre les steppes méridionales de la Russie cité du Xinjiang — interface obligée entre les deux
et les chaînes montagneuses de l'Afghanistan (carte 1). mondes — exigent une analyse qui ne dissocie pas la
Pour les dirigeants chinois, ce bouleversement de l'e lecture géostratégique de la région d'une approche poli
nvironnement géopolitique a été perçu à la fois comme un tique de la Chine.
risque et comme une occasion. Le risque d'une déstabi
La nouvelle Asie centrale lisation concernait particulièrement le Xinjiang, l'ancien
« Turkestan chinois », un territoire tampon entre la La réémergence de l'Asie centrale après la période de
Chine et l'Asie centrale. Cette province reculée, qui domination soviétique a donné lieu à des jeux d'in
appartient culturellement et géographiquement à l'Asie fluences byzantins, axés autour des ressources en hydro
centrale et au monde islamique, a en effet une longue carbures, des besoins vitaux de trouver des routes comm
histoire de révoltes contre la Chine, et est régulièrement erciales pour des Etats privés d'accès aux mers libres,
sujette à des troubles ethniques depuis les années 1980. et du désir des pays avoisinants de se constituer une
L'attraction du nationalisme ethnique, dans une zone qui sphère d'influence et de soutien international (en pre
ne comporte que 36 % de Hans, majoritairement instal mier lieu l'Iran, la Turquie, le Pakistan, mais également
lés depuis l'avènement de la République populaire, face l'Arabie Saoudite ou Israël). Cette situation a amené
à une mosaïque de nationalités minoritaires turcophones nombre d'observateurs à caractériser la actuell
et musulmanes, dont 40 % de Ouïghours, avait indénia e de nouveau « Grand jeu », en référence à la période
blement de quoi inquiéter Pékin. Mais l'effondrement de éponyme du XIXème siècle, où les empires russes et br
l'empire soviétique a également présenté une occasion itanniques cherchaient à s'étendre dans la zone et à
inédite pour la Chine d'étendre sa sphère d'influence sur consolider les limites respectives de leurs possessions,
une région extrêmement riche en hydrocarbures, straté- essayant de capter à leur profit les marchés et les routes
giquement située au carrefour entre le Moyen orient, commerciales de l'Asie centrale tout en contrôlant la
l'Asie, et la Russie ; et ce, au moment où elle aspire à porte de l'empire des Qing (3).
devenir une grande puissance régionale et à jouer un rôle La configuration actuelle est pourtant bien plus com
de plus en plus important sur la scène internationale. plexe qu'à l'époque du « Grand jeu », ne serait ce que
Le Xinjiang constitue la tête de pont de la politique par le nombre d'acteurs impliqués, et par les imbricat
chinoise dans la zone, et reste bien le « pivot de l'Asie », ions dans d'autres tensions périphériques : Afghanistan,
selon l'expression forgée au début du siècle par Owen Pakistan, Iran, Azerbaïdjan, Tchétchénie... La différen
Lattimore, explorateur et premier analyste moderne de la ce fondamentale repose surtout sur le fait que pour la
région (1). Sa frontière jouxte non seulement le première fois il s'agit en Asie centrale d'Etats souver
Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan, mais ains. Certes, ces derniers sont des créations artificielles
10 PERSPECTIVES CHINOISES V44 NOVEMBRE/ DECEMBRE 1997 :
:
CHINE / GEOPOLITIQUE
CARTE 1 Les nouvelles républiques d'Asie centrale et leurs voisins de l'époque soviétique ils ont héri
té de l'URSS leurs frontières
comme leurs classifications eth
niques, leur histoire, leur appareil R U S 0 250 km d'Etat, et même leurs dirigeants
(puisque les présidents commun
istes des anciennes républiques de
l'Union sont pratiquement tous res
tés à la tête de leurs Etats) ; mais il
n'en demeure pas moins que ce sont
désormais des Etats indépen
dants (4). Et c'est précisément ce
statut qui leur a permis de s'affi
rmer sur la scène internationale, et
de mener un habile jeu de balance
entre les différentes puissances en
présence.
La lecture de l'histoire politique
des nouvelles républiques depuis
l'indépendance est rendue particu
lièrement complexe par un enche
vêtrement de contradictions.
Premièrement, elles doivent concil
ier la réalité de la structure des flux
économiques drainant les produits
République Populaire de Chine Nouvelles républiques d'Asie centrale O Capitales • Capitales régionales vers la Russie, à défaut de voies
commerciales alternatives, et
dépendre de la coopération de Moscou pour maintenir milieu de forces dont le contrôle échappe à ces nouvelles
les complexes industriels en fonctionnement. Mais l'a nations ? Ce n'est qu'en partie vrai, car au prisme d'une
ttraction des investissements étrangers nécessaire à la analyse géopolitique, un certain nombre de facteurs
structurels émergent. Et c'est fondamentalement sur mise en exploitation de leurs richesses et à leur dévelop
pement économique demande parallèlement l'émancipat ceux-ci que semble s'appuyer la Chine dans la conduite
ion de cette sphère russe. Deuxième contradiction, les de sa politique étrangère, et non dans un interventionnis
dirigeants sont soucieux de maintenir une opinion me inconsidéré dans les affaires de la région. Ces fac
publique favorable et de renforcer leur légitimité, fondée teurs majeurs sont l'héritage économique de la période
sur leur statut de pères de l'indépendance et de la nation, soviétique, la compétition pour l'exploitation et la comm
en attaquant « le néo-impérialisme russe » ; mais ce pro ercialisation des ressources en hydrocarbures, la lutte
cessus de genèse identitaire de l'Etat se fait tout à la fois interne pour le leadership régional, et la politique étran
sur la base de l'héritage de l'empire soviétique et en gère russe en vue de maintenir la région sous une stricte
opposition à cette période. Troisième contradiction, la sphère d'influence, tout en garantissant ses objectifs
politique diplomatique de ces pays est fondée sur le mul stratégiques de sécurité à court et à long terme.
tilatéralisme (5), mais les antagonismes entre des voisins Une fois proclamée l'indépendance, les dirigeants ont
frontaliers très différents (Turquie. Iran. Pakistan. d'abord paré au plus pressé