Pour une archéologie du rite - article ; n°3 ; vol.55, pg 615-622

John Scheid

Description

Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2000 - Volume 55 - Numéro 3 - Pages 615-622
Pour une archéologie du rite (J. Scheid). L'étude des religions de l'Antiquité a exploité pendant des siècles les sources écrites, littéraires et épigraphiques. Même si des révisions sont possibles, les recherches paraissent stagner. Les documents écrits, en effet, n'évoquent qu'exceptionnellement ce qui constituait l'élément central des religions antiques : les rites. Les progrès accomplis par l'archéologie des sanctuaires et des nécropoles ouvrent une voie très prometteuse. En mettant au jour un certain nombre de traces des gestes rituels, ces recherches permettent de sortir de l'impasse et présagent la reconstruction de pans entiers des pratiques religieuses antiques.
Towards an archeology of ritual. History of Greek and Roman religions has been mainly a study of literary or epigraphical texts. Despite periodical revisions and progress there is a real danger of stagnation, because this kind of evidence only exceptionnally reveals the central feature of ancient religions: rituals. Now, recent progress made by the archeology of sanctuaries and of burial practices, eventually give the opportunity to analyze the remains of ritual gesture, and so open a new era in the history of the religions of Greece and Rome.
8 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Sujets

• Sociologie, société et politique

Informations

• Publié par: ANNALES_D-HISTOIRE_ECONOMIQUE_ET_SOCIALE
• Publié le: 01 janvier 2000
• Nombre de lectures: 31
• Langue: Français

Extrait

Monsieur John Scheid
Pour une archéologie du rite
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e année, N. 3, 2000. pp. 615-622.
Résumé
Pour une archéologie du rite (J. Scheid).
L'étude des religions de l'Antiquité a exploité pendant des siècles les sources écrites, littéraires et épigraphiques. Même si des
révisions sont possibles, les recherches paraissent stagner. Les documents écrits, en effet, n'évoquent qu'exceptionnellement ce
qui constituait l'élément central des religions antiques : les rites. Les progrès accomplis par l'archéologie des sanctuaires et des
nécropoles ouvrent une voie très prometteuse. En mettant au jour un certain nombre de traces des gestes rituels, ces recherches
permettent de sortir de l'impasse et présagent la reconstruction de pans entiers des pratiques religieuses antiques.
Abstract
Towards an archeology of ritual.
History of Greek and Roman religions has been mainly a study of literary or epigraphical texts. Despite periodical revisions and
progress there is a real danger of stagnation, because this kind of evidence only exceptionnally reveals the central feature of
ancient religions: rituals. Now, recent progress made by the archeology of sanctuaries and of burial practices, eventually give the
opportunity to analyze the remains of ritual gesture, and so open a new era in the history of the religions of Greece and Rome.
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Scheid John. Pour une archéologie du rite. In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 55e année, N. 3, 2000. pp. 615-622.
doi : 10.3406/ahess.2000.279867
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2000_num_55_3_279867POUR UNE ARCHEOLOGIE DU RITE
John Scheid
L'une des principales difficultés de l'histoire religieuse de l'Antiquité
classique réside dans l'insuffisance des sources. On dispose, certes, de
milliers d'inscriptions à sujet religieux, d'innombrables images, de lieux
de cultes identifiés par centaines et d'une série non négligeable de textes
littéraires traitant du religieux. Mais cette abondance est trompeuse car les
sources sont juste assez explicites pour révéler le caractère ritualiste de la
plupart des religions antiques, et insuffisantes pour nous faire connaître le
détail des rites. Les inscriptions sont laconiques et taisent l'essentiel : la
banale séquence des gestes rituels quotidiens, si quotidiens qu'on ne les
mentionne pas. Ainsi la porte est-elle grande ouverte aux interprétations
aventureuses qui transposent dans l'Antiquité des idées et des fantasmes
modernes. Les vestiges archéologiques disponibles sont rarement plus qu'un
ensemble de pièces vides ou de couches plus ou moins bien datées. Les textes
littéraires, quant à eux, livrent essentiellement des spéculations fondées sur
des éléments de la vie religieuse, dont l'objectif est le discours sur la
religion et le religieux plutôt que la pratique religieuse elle-même. Les
chances de voir apparaître des textes nouveaux qui combleraient ces lacunes
sont presque nulles, car les quelques inscriptions intéressantes qui sortent
du sol tous les vingt ou trente ans n'apporteront aucune lumière, puisque
la nature même des témoignages ne changera guère. La papyrologie permet
souvent de dépasser le type de documentation habituel, mais dans la mesure
où elle est surtout utilisable pour le contexte religieux égyptien, très spéci
fique, elle ne peut livrer qu'un point de comparaison.
Tous les espoirs se portent donc vers l'archéologie, seule susceptible,
si elle s'adapte à cette nouvelle perspective, d'apporter enfin des témoi
gnages neufs et consistants sur les ritualismes antiques. La preuve en est
donnée par un certain nombre de chantiers qui permettent d'ores et déjà
de renouveler notre approche et notre connaissance de ces religions.
C'est, de façon paradoxale, par la civilisation matérielle que passe le chemin
d'accès au ritualisme, à condition, toutefois, que l'on sache ce qu'il faut
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Annales HSS, mai-juin 2000, n° 3, pp. 615-622. L'HISTOIRE FACE A L'ARCHEOLOGIE
chercher (la théologie implicite d'une religion du rite), et que l'on travaille
avec la rigueur technique nécessaire pour identifier les témoignages de ce
type de religiosité. Il va de soi que pour comprendre l'intérêt d'une archéolo
gie du rituel et pour être en mesure de recueillir des données pertinentes,
il faut accepter que le ritualisme exprimant une théologie implicite n'est
pas seulement une forme très répandue de la pratique religieuse, dans le
monde antique comme dans le monde contemporain et dans toutes les
religions, mais qu'il est conciliable avec l'existence de spéculations philoso
phiques. Ceux qui doutent de la possibilité et de la dignité d'une attitude
religieuse fondée sur la tradition ritualiste et qui recourent à la spéculation
libre sur la religion, devraient relire les belles pages consacrées par Yesha-
yahou Leibowitz à la Foi de Maïmonide1.
L'archéologie a déjà produit, dans le passé, des informations importantes
sur les rites. Il suffit d'évoquer les nombreux témoignages sur les pratiques
funéraires ou les innombrables dépôts votifs. Mais ces découvertes étaient
occasionnelles et rarement contextuelles. C'étaient les objets eux-mêmes,
la structure archéologique elle-même plutôt que le contexte, en particulier
le contexte rituel, qui l'emportaient. L'interprétation religieuse était généra
lement plaquée de l'extérieur sur les données plutôt que produite par
l'analyse de celles-ci. Souvent même on ne comprenait pas ce qu'on mettait
au jour, même dans les nécropoles, car on ne peut fouiller correctement
que ce qu'on connaît : une tombe grecque, celtique ou romaine n'est pas
un caveau du Père-Lachaise.
Depuis une quinzaine d'années un nouveau type d'archéologie s'est
développé sous l'effet de quelques découvertes spectaculaires. Une équipe
d'archéologues travaillant en Picardie a, en effet, su mettre au jour et
publier un lieu de culte celtique, attestant clairement des rites sacrificiels
et des rites de découpe de corps humains2. D'autres recherches poursuivent
sur la même voie3. L'écho de ces travaux a été important, et actuellement
la communauté des celtisants et des historiens de la religion en général
1. Y. Leibowitz, The Faith of Maimonides, Tel Aviv, Mod Books, 1989. Trad, fr., Paris,
Éditions du Cerf, 1992.
2. J.-L. Brunaux, P. Méniel et F. Poplin, « Gournay I. Les fouilles sur le sanctuaire et
l'oppidum (1975-1984) », Revue archéologique de Picardie, 1985, numéro spécial, notamment
pp. 147-164.
3. Par exemple J.-L. Cadoux, «L'ossuaire gaulois de Ribemont-sur-Ancre (Somme) : pre
mières observations, premières questions », Gallia, 42, 1984, pp. 53-78 ; J.-L. Brunaux et
P. Méniel, « La résidence aristocratique de Montmaurin (Oise) du me au IIe siècle av. J.-C. »,
Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, « Documents d'archéologie française,
vol. 64», 1997 ; B. Lamb от et P. Méniel, «Le village gaulois d'Acy-Romance (Ardennes-
France). Morts et vivants, rites et sacrifices humains chez les Rèmes », in A. Mùller-Karpe
et alii (éds), Studien zur Archaologie der Kelten, Rômer und Germanen in Mittel- und
Westeuropa, Rahden, « Internationale Archàologie, Studia honoraria-4 », 1998, pp. 361-387 ;
B. Lambot, « De nouvelles momies inhumées à Асу-Romance (Ardennes) », Archiv fur Reli-
gionsgeschichte, 1, 1999, pp. 129-132.
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travaille toujours à l'évaluation et à l'interprétation de toutes ces découv
ertes4. La problématique du sacrifice humain est particulièrement spectacul
aire, mais ces fouilles ont apporté bien ď autres informations sur la religion
des Gaulois. Elles ont révélé, pour la première fois de manière scienti
fique, des lieux de culte gaulois, des informations sur leur organisation
spatiale, leur évolution et sur les modalités du culte. Des homologies avec
le monde méditerranéen, mais aussi des différences nettes sont apparues,
qui rendent désormais l'investigation comparative possible et fiable5. Car
avec ces fouilles, et toutes celles qu'elles ont suscitées à travers l'Europe
celtique, la religion dite gauloise quitte l'espace des débats de philologues
autou