Pourquoi les ménages pauvres paient-ils des loyers de plus en plus élevés ?
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Depuis la fin des années 1970, les aides directes à la personne sont devenues l'instrument majeur de la politique du logement au détriment des aides à la pierre, dont l'efficacité avait été remise en cause lors de la réforme de 1977. Les aides à la personne permettent, en théorie, de mieux cibler les populations pour qui le logement, qui demeure le premier poste de consommation des ménages, représente une charge jugée trop importante. Or le développement de ces aides s'est accompagné d'une augmentation du coût du logement pour les ménages locataires les plus défavorisés et l'on cherche à en évaluer l'impact sur l'augmentation des loyers des ménages à bas revenus. La réforme de l'extension des aides du début des années 1990 constitue une expérience naturelle qui permet d'isoler les effets des allocations logement, car elle s'est appliquée seulement à certains types de ménages et non à d'autres. On peut ainsi comparer l'évolution des loyers des ménages à bas revenus bénéficiaires de la réforme à celle des ménages qui n'ont pas été touchés et identifier les effets de la réforme pour les ménages concernés. À partir de données des enquêtes Logement de l'Insee, on montre que les aides pourraient bien être, pour une bonne partie, responsables de la hausse du loyer au mètre carré des ménages à bas revenus. D'après les estimations obtenues, entre 50 % et 80 % des allocations logement perçues par ces ménages auraient été absorbées par les augmentations de leurs loyers.

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Langue Français

Extrait

LOGEMENT
Pourquoi les ménages à bas revenus
paient-ils des loyers
de plus en plus élevés ?
L’incidence des aides au logement en France (1973-2002)
Gabrielle Fack*
Depuis la fin des années 1970, les aides directes à la personne sont devenues l’instrument
majeur de la politique du logement au détriment des aides à la pierre, dont l’efficacité
avait été remise en cause lors de la réforme de 1977. Les aides à la personne permettent,
en théorie, de mieux cibler les populations pour qui le logement, qui demeure le premier
poste de consommation des ménages, représente une charge jugée trop importante. Or le
développement de ces aides s’est accompagné d’une augmentation du coût du logement
pour les ménages locataires les plus défavorisés. L’objet de cette étude est d’évaluer leur
impact sur l’augmentation des loyers des ménages à bas revenus.
La réforme de l’extension des aides du début des années 1990 constitue une expérience
naturelle qui permet d’isoler les effets des allocations logement, car elle s’est appliquée
seulement à certains types de ménages et non à d’autres. On peut ainsi comparer
l’évolution des loyers des ménages à bas revenus bénéficiaires de la réforme à celle des
ménages qui n’ont pas été touchés et identifier les effets de la réforme pour les ménages
concernés. À partir de données des enquêtes Logement de l’Insee, on montre que les
aides pourraient bien être, pour une bonne partie, responsables de la hausse du loyer au
mètre carré des ménages à bas revenus. D’après les estimations obtenues, entre 50 % et
80 % des allocations logement perçues par ces ménages auraient été absorbées par les
augmentations de leurs loyers.
Si ces allocations ont pu entraîner une certaine amélioration du confort de l’habitat, cet
effet semble bien trop faible pour suffire à expliquer la hausse des loyers, du moins à
partir des mesures possibles d’après les enquêtes Logement. La hausse de la demande des
locataires provoquée par les aides semble s’être heurtée à une offre de logement trop
inélastique de la part des bailleurs, entraînant ainsi une forte hausse des loyers. Cet effet
a pu être renforcé par l’arrivée massive des étudiants sur le marché du logement à la suite
de la réforme de ces aides.
* Gabrielle Fack appartient au PSE Paris Jourdan Sciences Économiques, unité mixte de recherche CNRS – EHESS –
ENPC – ENS.
Les idées et opinions exprimées dans cet article sont de la responsabilité de l’auteur qui tient à remercier particulièrement
Thomas Piketty pour son soutien tout au long de ce travail, ainsi qu’Esther Duflo, Alain Jacquot, Françoise Maurel, Cyrille
Hagneré et deux rapporteurs anonymes pour leurs remarques constructives.
Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.
ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 381-382, 2005 17i les recherches empiriques sur les différents logement est indispensable pour évaluer l’effi-
effets des aides au logement se sont déve- cacité de ce type de programme.S
loppées depuis les années 1970, les études de
l’impact des aides personnelles sur les loyers
sont très récentes. Un premier article de Susin
Loyers et aides au logement (2002) évalue un programme d’aides person-
nelles au logement distribuées sous formes de des ménages à bas revenus
bons aux États-Unis, le Section 8 Voucher pro-
gram. Susin utilise des données par aire urbaine
es sept enquêtes Logement réalisées depour estimer l’impact de la proportion de béné-
1973 à 2002 permettent d’étudier l’évolu-Lficiaires d’aides dans une aire sur les loyers. Il
2tion des loyers au m en fonction du revenu desexploite le fait qu’aux États-Unis, seulement
ménages sur longue période. Elles ont l’avan-10 % des ménages pauvres éligibles pour les
tage de comporter des données sur les caracté-aides en reçoivent et que leur proportion varie
ristiques des logements mais aussi sur celles desconsidérablement d’une aire urbaine à l’autre. Il
ménages, notamment le revenu. Pour chaqueconclut que le Section 8 program a entraîné une
année d’enquête, on dispose d’un grand nombreaugmentation des loyers pour tous les ménages
d’observations (entre 20 000 et 45 000 ménagespauvres, affectant particulièrement les ménages
selon les années, dont un peu moins de la moitiééligibles qui ne reçoivent pas d’aides. Ainsi,
de locataires). On peut ainsi calculer l’évolutiond’après les calculs de l’auteur, les hausses de
2des loyers au m par décile de revenu sur laloyers payées par l’ensemble des locataires à
période 1973-2002. On a pris en compte lesbas revenus ont été supérieures au montant total
revenus tels qu’ils sont mesurés dans cesdes aides versées, conduisant à un transfert net
enquêtes, c’est-à-dire les revenus avant impôts.des locataires à bas revenus vers les proprié-
On utilise les revenus par ménage et non partaires. Cependant, il apparaît que l’allocation
unité de consommation. Ce choix est guidé pardes aides est en grande partie endogène à la
le fait que l’on n’étudie pas les ménages à bashausse des loyers, et il n’est pas sûr que les
revenus en tant que tels, mais qu’on cherche àméthodes employées par Susin permettent de
estimer les effets des aides au logement sur lescorriger parfaitement ce problème.
loyers : l’objectif est donc d’identifier les prin-
cipaux bénéficiaires de la réforme de 1991-L’étude sur données françaises de Laferrère et
1993, à savoir les petits ménages à faibles reve-Le Blanc (2002) conclut aussi à un effet des
nus. Or il est plus facile de repérer ces derniersaides sur les loyers. Les auteurs exploitent la
avec une distribution des revenus bruts qu’avecstructure de panel de l’enquête Loyer et Charges,
une distribution des revenus par unité de con-où un logement est suivi pendant plusieurs
sommation, où ils seraient mêlés davantagetrimestres : ils comparent l’évolution des loyers
avec les autres types de ménages. Ce choix, quides logements dont les locataires ont commencé
nous permet d’étudier précisément l’évolution– ou arrêté – de recevoir des aides sur la période
des loyers et des aides aux ménages les plusà celle des loyers de logements dont les locatai-
concernés par la réforme des aides, impliqueres n’ont pas changé de statut sur la période. Ils
aussi que les analyses menées ici ne sont pastrouvent un effet significatif des aides sur les
directement comparables avec les études quiloyers, mais leur méthode ne leur permet pas
mesurent la pauvreté et qui prennent en compted’en donner une mesure précise.
pour cela des échelles d’équivalence. La situa-
tion des petits ménages à bas revenus par rap-Enfin, une étude anglaise de Gibbons et Manning
port au logement présentée ici ne prétend pas(2003) estime l’impact d’une réforme à la baisse
décrire celle de tous les ménages modestes endu système d’aides au logement sur les loyers.
2France. L’évolution des loyers au m par décileLes auteurs identifient un effet substantiel sur la
pour tous les locataires, en euros constants debaisse des loyers, mais son amplitude varie du
2002, est retracée dans le graphique I.simple au double suivant les données utilisées.
Toutes ces études vont dans le même sens, sug-
gérant une très faible élasticité de l’offre de Sur la période retenue (1973-2002), les loyers
2logement ainsi qu’un confinement des ménages au m ont tous augmenté plus vite que l’indice
à bas revenus dans certaines catégories de loge- des prix, mais la hausse est beaucoup plus forte
ment. Cependant, elles ne donnent pas une pour les ménages des deux premiers déciles que
mesure précise de la part des aides qui est absor- pour les autres ménages. La chronologie de
bée par la hausse de loyer. Or une estimation cette augmentation est intéressante. Les loyers
2chiffrée de ce coût « indirect » des aides au au m des ménages des premiers déciles, nette-
18 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 381-382, 2005ment plus faibles que ceux des autres déciles en Une méthode pour prendre en compte les effets
1973 et 1978, les rattrapent dans les années de ces évolutions socio-démographiques sur les
1980 puis connaissent encore une forte augmen- loyers consiste à régresser, pour chaque année,
2tation dans les années 1990. En 1996 et 2002, les loyers au m sur les variables socio-démo-
les ménag

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