Qu est-ce qui fait un père ? Illégitimité et paternité de l an II au Code civil - article ; n°4 ; vol.57, pg 935-964
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Qu'est-ce qui fait un père ? Illégitimité et paternité de l'an II au Code civil - article ; n°4 ; vol.57, pg 935-964

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Annales. Histoire, Sciences Sociales - Année 2002 - Volume 57 - Numéro 4 - Pages 935-964
À l'automne 1793, la Convention a essayé d'accorder aux enfants illégitimes, lorsqu'ils étaient reconnus par leurs parents, des droits successoraux égaux à ceux des enfants légitimes. Cet article explore le combat judiciaire sur cette politique familiale controversée et examine comment la négociation des pratiques sociales était imbriquée dans la convalescence politique consécutive à la Terreur. Les enfants naturels avaient du mal à faire valoir leurs droits au tribunal, non seulement en raison des pratiques d'Ancien Régime, mais aussi parce que la Terreur s'est efforcée plus encore de rétablir le pouvoir et la définition de la famille comme institution. Les descendants illégitimes ont, pour soutenir leurs demandes d'héritages, proposé le modèle d'une famille inclusive et perméable, unie par l'affection et les liens naturels. À l'inverse, leurs adversaires ont entretenu des angoisses d'après-Terreur sur les familles divisées, les émotions instables, la fragilité des pères et l'incertitude de la propriété. Dans ce climat conservateur, les juges, de plus en plus exigeants dans la recherche des preuves de la paternité, ont affaibli l'application de la loi de l'an II. Ces négociations populaires et judiciaires sur la paternité ont influencé les législateurs au moment où ils se dirigeaient vers le Code civil de 1804 et soutenaient un modèle familial fondé sur une paternité autoritaire, le droit positif et la propriété sûre et certaine.
What makes a father? Illegitimacy and paternity from the Year II to the Civil Code.
In the fall of 1793, the Convention attempted to endow illegitimate children, if recognized by their parents, with inheritance rights equivalent to those of legitimate children. This article explores judicial contestation over this controversial family policy and examines how negotiating social practices was intertwined with the political recovery from the Terror. Natural children had difficulty winning their rights in court, not only because of embedded Old Regime practices, but also because the Terror had heightened the perceived need to restore social order via strongly, bounded families and secure property. Illegitimate children supported their inheritance claims by invoking a fluid, inclusive family, bound together by affective freedom and natural bonds. In contrast, their opponents fomented post-Terror anxieties about the instability of property, broken families, untrustworthy emotions, and fragile fathers. Within this conservative climate, judges demanded increasingly stringent proofs of paternity and weakened the original law. These judicial and popular negotiations over family and fatherhood influenced lawmakers as they moved toward the Civil Code of 1804 and embraced a family model, rooted in strong fathers, positive law, and secure property.
30 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 2002
Nombre de lectures 20
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Extrait

Suzanne Desan
Qu'est-ce qui fait un père ? Illégitimité et paternité de l'an II au
Code civil
In: Annales. Histoire, Sciences Sociales. 57e année, N. 4, 2002. pp. 935-964.
Citer ce document / Cite this document :
Desan Suzanne. Qu'est-ce qui fait un père ? Illégitimité et paternité de l'an II au Code civil. In: Annales. Histoire, Sciences
Sociales. 57e année, N. 4, 2002. pp. 935-964.
doi : 10.3406/ahess.2002.280087
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_2002_num_57_4_280087Résumé
À l'automne 1793, la Convention a essayé d'accorder aux enfants illégitimes, lorsqu'ils étaient reconnus
par leurs parents, des droits successoraux égaux à ceux des enfants légitimes. Cet article explore le
combat judiciaire sur cette politique familiale controversée et examine comment la négociation des
pratiques sociales était imbriquée dans la convalescence politique consécutive à la Terreur. Les enfants
naturels avaient du mal à faire valoir leurs droits au tribunal, non seulement en raison des pratiques
d'Ancien Régime, mais aussi parce que la Terreur s'est efforcée plus encore de rétablir le pouvoir et la
définition de la famille comme institution. Les descendants illégitimes ont, pour soutenir leurs demandes
d'héritages, proposé le modèle d'une famille inclusive et perméable, unie par l'affection et les liens
naturels. À l'inverse, leurs adversaires ont entretenu des angoisses d'après-Terreur sur les familles
divisées, les émotions instables, la fragilité des pères et l'incertitude de la propriété. Dans ce climat
conservateur, les juges, de plus en plus exigeants dans la recherche des preuves de la paternité, ont
affaibli l'application de la loi de l'an II. Ces négociations populaires et judiciaires sur la paternité ont
influencé les législateurs au moment où ils se dirigeaient vers le Code civil de 1804 et soutenaient un
modèle familial fondé sur une paternité autoritaire, le droit positif et la propriété sûre et certaine.
Abstract
What makes a father? Illegitimacy and paternity from the Year II to the Civil Code.
In the fall of 1793, the Convention attempted to endow illegitimate children, if recognized by their
parents, with inheritance rights equivalent to those of legitimate children. This article explores judicial
contestation over this controversial family policy and examines how negotiating social practices was
intertwined with the political recovery from the Terror. Natural children had difficulty winning their rights
in court, not only because of embedded Old Regime practices, but also because the Terror had
heightened the perceived need to restore social order via strongly, bounded families and secure
property. Illegitimate children supported their inheritance claims by invoking a fluid, inclusive family,
bound together by affective freedom and natural bonds. In contrast, their opponents fomented post-
Terror anxieties about the instability of property, broken families, untrustworthy emotions, and fragile
fathers. Within this conservative climate, judges demanded increasingly stringent proofs of paternity and
weakened the original law. These judicial and popular negotiations over family and fatherhood
influenced lawmakers as they moved toward the Civil Code of 1804 and embraced a family model,
rooted in strong fathers, positive law, and secure property.Qu'est-ce qui fait un père?
Illégitimité et paternité de l'an II au Code civil
Suzanne Desan
Le 4 juillet 1793, un groupe d'enfants abandonnés, venant de l'hospice pour
enfants trouvés du faubourg Saint-Antoine, défilait devant la Convention nationale
afin de remercier les députés pour la loi récente qui promettait le principe des
droits successoraux aux enfants naturels. «Vous vous êtes montrés leurs pères
en rendant les droits qu'ils avaient perdus par une naissance que l'on a toujours
regardée comme illégitime », déclara l'instituteur des enfants. « Vous avez fait plus ;
vous les avez rendus membres du corps social. [...] Vous avez établi les bases du
gouvernement sur l'égalité ». En quelques mois, à sa façon, la Convention a donné
corps à sa promesse. La loi étonnante et controversée du 12 brumaire an II
(2 novembre 1793) a accordé aux enfants illégitimes, lorsqu'ils étaient reconnus
par leurs parents, des droits successoraux égaux à ceux des enfants légitimes. La
même loi supprimait implicitement le droit coutumier qui permettait aux mères
célibataires ou à leur progéniture d'intenter des actions en reconnaissance de pater
nité afin d'obtenir des pensions alimentaires1.
Dès l'origine, la loi a suscité des polémiques et des critiques. Le texte était
formulé de façon ambiguë et laissait une large place à des interprétations contradict
oires. De surcroît, comme les lois qui prescrivaient un partage successoral égal
1 - Archives parlementaires de 1787 à 1860 [APJ, première série, Paris, 1879, t. 68, pp. 256-
257, 4 juillet 1793; loi du 12 brumaire an II (2 novembre 1793), Jean-Baptiste
Duvergier, Collection complète des lois, ordonnances, réglemens, Paris, 1834-1838, t. 6,
pp. 269-271. yja
Annales HSS, juillet-août 2002, n°4,pp. 935-964. SUZANNE DESAN
entre les enfants légitimes2, celle du 12 brumaire allait à l'encontre de la répartition
traditionnelle de la propriété dans les familles au nom de l'égalité et des droits
naturels. Elle opposait les droits des individus nouvellement reconnus aux pra
tiques coutumières conçues pour promouvoir et protéger la ligne familiale. Aux
yeux de certains de ses adversaires, particulièrement au lendemain de la Terreur,
cette loi était entachée d'immoralité: non seulement elle était une menace pour
le mariage, en déstigmatisant l'illégitimité, mais elle symbolisait aussi le caractère
destructeur et intrusif des nouvelles politiques familiales. « Toutes les familles trem
blent », avertit un avocat qui défendait une famille contre un enfant naturel en
juillet 1795. Allant au-delà de la simple défense de la propriété de ses clients, il
demanda l'abrogation de la loi du 12 brumaire, associée à la Terreur et aux autres
« lois de la seconde année, les unes tyranniques, les autres sanguinaires, toutes
désorganisatrices, faites et promulguées sous la hache du bourreau». Les auteurs
du Gode civil se sont fait l'écho de cette accusation portée contre la loi pour atteinte
aux moeurs et à la propriété ; ils ont effacé la promesse d'héritage égalitaire pour
les enfants illégitimes contenue dans la loi, mais ont cependant conservé et clarifié
l'abolition des actions en recherche de paternité. Les juristes et les historiens du
XIXe siècle ont continué à dénoncer la loi pour son immoralité, ses liens avec la
Terreur et son manque de clarté juridique3.
Plus près de nous, les historiens qui ont étudié la genèse de la loi du 12 brumaire
ont situé ses racines non pas tant dans le radicalisme passionné de la Terreur qu'au
sein du programme plus large de réformes de la famille entamé avant l'an IL
Gomme le divorce, l'abolition de la primogeniture et l'affaiblissement de l'autorité
paternelle, cette loi cherchait à appliquer des droits naturels égaux à l'intérieur
de la famille et à reconnaître la liberté individuelle dans les choix affectifs. « La
nature [...] ne nous a pas fait un crime de naître », déclara Gambacérès lorsqu'il
dénonça la flétrissure qui frappait traditionnellement les enfants illégitimes. La
nouvelle loi allait de pair avec la redéfinition du mariage comme contrat librement
choisi. Les enfants ne devraient pas être pénalisés parce que leurs parents n'avaient
pas formé leurs liens dans le système marital rigide de l'Ancien Régime. En
défendant l'adoption de la loi, Berlier et Oudot ont affirmé que si le mariage était
essentiellement un contrat, un choix mutuel de se reproduire, alors il n'était nul
besoin d'une approbation officielle pour valider la naissance d'un enfant: l'enfant
2 - Les lois du 5 brumaire an II (26 octobre 1793) et du 17 nivôse an II (6 janvier 1793)
ordonnaient l'héritage égal entre frères et soeurs, sans considération de sexe ou de rang
de naissance (J.-B. DuvERGlER, Collection..., op. cit., pp. 256-257, 373-383).
3 -Aristide Douarche, Les tribunaux civils de Paris pendant la Révolution (1791-1800),
Paris, 1905, t.

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