Stendhal et la chicane. « Manie conseillante », pamphlets, projets et procès - article ; n°99 ; vol.28, pg 11-25
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Description

Romantisme - Année 1998 - Volume 28 - Numéro 99 - Pages 11-25
Heir of the 18th century sensualist philosophy, deeply convinced that every judgement of value is individual, necessarily « uncommon », Beyle considers it is pointless, and always a bit ridiculous to want to « convert one's neighbour ». But the writer is torn between the desire of writing for himself or for « the happy few », and the will to impose his point of view, to convince the others. An irrepressible « advising way » urges him to prove to everyone (to his sister first, and then to all his readers) what seems true and fair to him. And noticing that the « present arrangement of society » does not give the possibility to aknowledge personnal merit, the Grenoblois brought up in a city of quibble will tirelessly put social sentences on trial, and imagine all sorts of proceedings, meticulous legislations to minimize the wrongdoing of the cliquishness, of the camaraderies, of the almighty charlatanism.
Héritier de la philosophie sensualiste du XVIIIe siècle, intimement convaincu que tout jugement de valeur est nécessairement « singulier », Beyle estime qu'il est inutile, et toujours un peu ridicule, de vouloir « convertir son voisin ». Mais l'écrivain est tiraillé entre le désir de n'écrire que pour soi, ou quelques happy few, et la volonté d'imposer son point de vue, de convaincre les autres. Une irrépressible « manie conseillante » le pousse à prouver à tous (à sa sœur Pauline d'abord, à tous ses lecteurs ensuite) ce qui lui semble juste et vrai. Et constatant que « l'arrangement actuel de la société » ne permet pas de reconnaître le mérite personnel, le Grenoblois élevé dans « une ville de chicane » va inlassablement instruire le procès des sentences sociales, et imaginer toutes sortes de procédures, de législations minutieuses pour minimiser les méfaits des coteries, des camaraderies, du tout-puissant charlatanisme.
15 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1998
Nombre de lectures 75
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

M. Yves Ancel
Stendhal et la chicane. « Manie conseillante », pamphlets,
projets et procès
In: Romantisme, 1998, n°99. pp. 11-25.
Résumé
Héritier de la philosophie sensualiste du XVIIIe siècle, intimement convaincu que tout jugement de valeur est nécessairement «
singulier », Beyle estime qu'il est inutile, et toujours un peu ridicule, de vouloir « convertir son voisin ». Mais l'écrivain est tiraillé
entre le désir de n'écrire que pour soi, ou quelques happy few, et la volonté d'imposer son point de vue, de convaincre les autres.
Une irrépressible « manie conseillante » le pousse à prouver à tous (à sa sœur Pauline d'abord, à tous ses lecteurs ensuite) ce
qui lui semble juste et vrai. Et constatant que « l'arrangement actuel de la société » ne permet pas de reconnaître le mérite
personnel, le Grenoblois élevé dans « une ville de chicane » va inlassablement instruire le procès des sentences sociales, et
imaginer toutes sortes de procédures, de législations minutieuses pour minimiser les méfaits des coteries, des camaraderies, du
tout-puissant charlatanisme.
Abstract
Heir of the 18th century sensualist philosophy, deeply convinced that every judgement of value is individual, necessarily «
uncommon », Beyle considers it is pointless, and always a bit ridiculous to want to « convert one's neighbour ». But the writer is
torn between the desire of writing for himself or for « the happy few », and the will to impose his point of view, to convince the
others. An irrepressible « advising way » urges him to prove to everyone (to his sister first, and then to all his readers) what
seems true and fair to him. And noticing that the « present arrangement of society » does not give the possibility to aknowledge
personnal merit, the Grenoblois brought up in a city of quibble will tirelessly put social sentences on trial, and imagine all sorts of
proceedings, meticulous legislations to minimize the wrongdoing of the cliquishness, of the camaraderies, of the almighty
charlatanism.
Citer ce document / Cite this document :
Ancel Yves. Stendhal et la chicane. « Manie conseillante », pamphlets, projets et procès. In: Romantisme, 1998, n°99. pp. 11-
25.
doi : 10.3406/roman.1998.3369
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/roman_0048-8593_1998_num_28_99_3369ANCEL Yves
Stendhal et la chicane
« Manie conseillante », pamphlets, projets et procès
Pour Philippe Régnier
Cette forme de raisonnement : Quel droit a-t-il ? fut
une habitude chez moi depuis les premiers actes arbi
traires qui suivirent la mort de ma mère, aigrirent mon
caractère et m'ont fait ce que je suis.
Vie de Henry Brulard, chapitre XI.
Je ne me rappelle plus l'origine du sentiment du
juste, qui est fort vif en moi.
Notice autobiographique, datée du 15 février 1832.
Pourquoi parler? pourquoi se mettre en communicat
ion avec cet éteignoir de tout enthousiasme et de toute
sensibilité ? Les autres.
Vie de Rossini, chapitre XXV.
De l'examen personnel et de l'incompatibilité des points de vue
Pour donner le ton de son second pamphlet romantique, Stendhal met en exergue
un très court échange de vues, qu'il intitule Dialogue :
Le vieillard. - « Continuons ».
Le jeune homme. - « Examinons ».
Voilà tout le XIXe siècle '.
Où apparaît clairement le rôle que se donne le défenseur de Shakespeare : celui
d'un « jeune homme » qui ne se sent pas tenu de respecter les traditions vénérées par
les anciens, qui même entend déchirer « le voile jeté par l'habitude » 2 et tout « exa
miner ». Attitude qui trahit le disciple des Lumières, le philosophe qui refuse de croi
re sur parole, pense et juge par lui-même « au lieu de suivre aveuglément l'autorité et
l'exemple » \ Faire table rase des idées reçues, « voir les choses par soi-même » 4 :
« l'intellectuel de l'an X » (M. Bardèche) fait siens les principes de la philosophie des
1. Racine et Shakespeare II (1825), dans Racine et Shakespeare, édition R. Fayolle, Garnier-
Flammarion, 1970, p. 79.
2. Racine et I (1823), éd. citée, p. 57.
3. « Vice énorme » dont se rend coupable Julien au séminaire {Le Rouge et le Noir, édition P.-G.
Castex, Garnier, 1973, p. 171).
4. Lettre à Pauline (juil. 1804), dans la Correspondance (abrégé : Corr.) de Stendhal, édition
H. Martineau et V. Del Litto, Gallimard, la Pléiade, 1968, tome I, p. 132.
ROMANTISME n° 99 (1998-1) .
12 Yves Ane el
Lumières, et, plus précisément, adopte le système d'Helvétius, abondamment cité,
constamment sollicité : « Tout homme regarde les actions d'un autre homme comme
vertueuses, vicieuses ou permises, selon qu'elles lui sont utiles, nuisibles ou indiffé
rentes. Cette vérité morale est générale et sans exception [...]. Applique ce raisonne
ment à tous les grands hommes, et tu verras combien il est vrai que chaque homme
juge tout par son intérêt » 5.
Cette « vérité morale » posée, entre les individus l'incompréhension est première,
les conflits inévitables. L'auteur du Journal n'est-il pas obscur, « inintelligible » 6,
« Chinois » 7 pour ses amis les plus proches ? Tirant les conséquences de sa Filosofia
nova empiriste, Stendhal récuse donc « toute universalité du vrai, du bien et du
beau » 8; s'ensuit un nombre considérable de citations, de développements, d'apo
logues 9, mettant l'accent, dans l'évolution des évaluations, sur l'importance des cl
imats, de la civilisation, de la mode, de l'histoire, etc., sur la spécificité, la subjectivité
des valeurs, sur « le rapport sous lequel » I0 le monde (la société, les hommes, les
opinions, les sentiments...) est appréhendé. Depuis les remarquables analyses de
G. Blin, ce « relativisme sensualiste » et individualiste est bien connu.
Ayant éprouvé dans son cœur, dans sa chair, dans son « âme », que les hommes
sont différents " et les « intérêts » divergents, Stendhal s'en tient à la partialité légit
ime de chaque point de vue : « L'idée que je rapporte de Paris, c'est que chacun a ra
ison dans son trou, et qu'il est absurde de vouloir être à la fois dans deux trous » l2.
« Manie conseillante », échanges de vues et dialogues de sourds
Si « chacun a raison dans son trou », il est vain de disputer, de chercher à
convaincre :
Tout le monde a raison dans son goût, quelque baroque qu'il soit, car on est appelé à
voter par tête. L'erreur arrive au moment où l'on dit : Mon goût est celui de la majorit
é, est le goût général, est le bon goût l\
Les raisons d' autrui sont toujours de mauvaises raisons. C'est ainsi qu'en 1805 Beyle,
arguant de sa singularité, conteste ceux, son père et son grand-père, qui s'opposent à
ses projets de « banque » à Marseille :
Que de pareilles gens, et en général des têtes stupides ou des cœurs froids, ou tous les
deux ensemble, influent sur mon bonheur, c'est une grande bêtise à moi. D'abord,
même en leur supposant de bonnes têtes, ils ne peuvent m' annoncer, pour telle situation
où ils se sont trouvés et où je dois passer, que les sensations qu'ils ont éprouvées; et
5. Lettre à Pauline (8 février 1803), Corr., I, p. 56-57.
6. Ibid., p. 85,90.
7. Voir la lettre de Félix Faure dans Corr., I, p. 1075-1077.
8. Georges Blin, Stendhal et les problèmes du roman, José Corti, 1954, p. 120.
9. Pour la plupart recensés et analysés par G. Blin, ouvr. cité, p. 119-136.
10. Journal, 9 décembre 1804, dans Oeuvres intimes (abrégé : OI), éd. V. Del Litto, Gallimard, la
Pléiade, t. I, 1981, p. 159.
1 1 On connaît la célèbre formule : différence engendre haine, prêtée par le narrateur au pauvre Julien
incapable de passer inaperçu au séminaire (Le Rouge et le Noir, ibid., p. 178).
12. Lettre à Adolphe de Mareste, 2 novembre 1819, Corr., I, p. 994.
13. Racine et Shakespeare, éd. citée, p. 210.
ROMANTISME n° 99 (1998-1) Stendhal et la chicane... 13
comme nos cœurs sont très différents, il est très probable que j'aurai des sensations
extrêmement différentes dans les mêmes positions. La preuve. est claire : si j'avais leur
position dans le monde, ne rendrais-je pas ma vie entièrement dif

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