Tradition et innovation dans le chant VI de l Enéide de Virgile - article ; n°1 ; vol.3, pg 193-210
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Tradition et innovation dans le chant VI de l'Enéide de Virgile - article ; n°1 ; vol.3, pg 193-210

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Description

Journal des savants - Année 1980 - Volume 3 - Numéro 1 - Pages 193-210
18 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

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Publié par
Publié le 01 janvier 1980
Nombre de lectures 70
Langue Français
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Extrait

Monsieur Robert Schilling
Tradition et innovation dans le chant VI de l'Enéide de Virgile
In: Journal des savants. 1980, N°3. pp. 193-210.
Citer ce document / Cite this document :
Schilling Robert. Tradition et innovation dans le chant VI de l'Enéide de Virgile. In: Journal des savants. 1980, N°3. pp. 193-210.
doi : 10.3406/jds.1980.1412
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1980_num_3_1_1412ET INNOVATION DANS LE CHANT VI TRADITION
DE L'ENÉIDE DE VIRGILE
Commençons par une déclaration de principe. Le chant VI de l'Enéide
a fourni naguère l'occasion à certains éditeurs, tels Goelzer et Bellessort
dans la Collection des Universités de France, d'opérer des transpositions de
vers, en particulier dans le passage relatif aux damnés du Tartare (v. 585-
621). Leur intention était d'adapter la version du poète à 1' « orthodoxie
de la vulgate légendaire » : ainsi selon le texte des manuscrits, Ixion et Piri-
thous, respectivement fils et petit-fils de Phlégyas, sont menacés de la chute
d'un rocher suspendu au-dessus de leur tête et soumis à la tentation de goûter
à des mets succulents qui échappent chaque fois à leur prise (v. 601-607),
— supplices que la vulgate applique de préférence à Tantale (cf. Pindare,
01. 1, 55 s. pour la menace du rocher et Homère, Od., 11, 582 s. pour le sup
plice de la faim et de la soif) .
Cette attitude est symptomatique : d'emblée ou refusait au poète le
droit de prendre des libertés avec la légende courante. Il serait trop long de
commenter le caractère arbitraire de ces transpositions : qu'il nous suffise
de constater que les éditeurs les plus récents (Jacques Perret dans la nou
velle édition de la Collection des Universités de France (1978) et Ettore Para
tore dans l'édition Arnoldo Mondadori, 1979) sont revenus à l'ordre de la
tradition manuscrite. Avec raison, à notre sens.
Toutefois ce ne sont pas des « nouveautés » mineures de ce genre qui vont
solliciter notre réflexion. Le chant VI de Y Enéide soulève une question de
plus grande portée : en quoi Virgile a-t-il vraiment innové ? Et, s'il est vrai
qu'il a innové, comment a-t-il réussi à sertir ces innovations dans le tissu
traditionnel, de manière à les proposer sans heurt aux esprits de son temps ?
Avant de nous engager dans cet examen, il convient toutefois de dire
un mot des discordances internes qui, selon certains, entacheraient le chant VI :
on cite en général trois exemples. Tout d'abord la & contradiction » qui exis- ■
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terait à propos de Thésée. Ce personnage est mentionné par Énée (VI, 122)
parmi les autres vainqueurs des Enfers — Orphée, Pollux, Hercule — qui
sont remontés victorieusement à la lumière du jour. Plus loin, au contraire
(VI, 617-618), « l'infortuné Thésée » est localisé par la Sibylle dans le Tar
tare : il y est assigné à résidence pour l'éternité : sedei aeternumque sedebit j
infelix Theseus. Il n'est pas sûr qu'il y ait ici contradiction. Déjà E. Norden
(Aeneis Buch VI, Leipzig, 1903, p. 284) avait observé que le second passage
constitue plutôt un rectificatif du premier : à la croyance générale de Thésée
libéré des Enfers (par Héraklès), exprimée par Énée, s'opposerait l'autre
version, accréditée par la Sibylle, d'un Thésée éternellement condamné. En
effet, Pausanias (I, 17, 4), de son côté, avait remarqué que nombreuses et
contradictoires étaient les versions relatives à la fin de Thésée (cf. H. Herter,
R.E., Suppl. XIII, s.v. Theseus, 1197 s.).
Le second exemple concerne la description de la dernière nuit de Troie
dans le chant VI, qui divergerait de la version du chant IL Dans le chant VI,
elle est faite par Déiphobe que rencontre Énée aux Enfers. Le second époux
de la « Lacédémonienne » (VI, 511) raconte à Énée, entre autres péripéties,
que « cette femme feignait de conduire, aux cris d'évohé, un chœur orgias-
tique de Phrygiennes ; elle brandissait, elle-même au milieu d'elles, une torche
immense et du haut de la citadelle appelait les Danaens » (VI, 517-519).
Dans le chant II, le propre récit d'Énée à Didon semble présenter une
version divergente. Il n'y est pas question de danses orgiastiques dirigées
par Hélène, mais du chœur sacré des jeunes gens et des jeunes filles qui
accompagnèrent solennellement le cheval de Troie à l'intérieur de la cité
(II, 237-239). Et ce n'est pas Hélène qui y est dénoncée comme coupable
de trahison (au contraire, plus tard — selon certains manuscrits — Énée la
trouvera cachée dans le sanctuaire de Vesta : II, 567 s.), mais le transfuge
Sinon, qui libérera les Grecs enfermés dans les flancs du cheval de Troie, au
signal lumineux lancé par la nef royale de la flotte grecque (II, 256-259).
Certes, les deux récits ne sont pas en contradiction formelle. On peut
noter que la procession solennelle du chant II a lieu de jour, tandis que le
chœur bachique du chant VI se déchaîne de nuit. On peut ajouter qu'à la
rigueur la torche brandie par Hélène (VI) aurait pu déclencher le fanal-signal
donné à Sinon par le navire grec (II). A supposer même qu'on fût prêt à
accorder toutes ces concessions, il faut reconnaître qu'il resterait une diff
iculté : le silence général de la nuit (II, 253-254) cadre mal avec la ronde
bruyante des Phrygiennes (VI, 317-318).
Il est donc vraisemblable que le poète eût procédé, en l'espèce, à quelque SUR LE CHANT VI DE L'ENÉIDE 195
retouche, s'il avait pu revoir son poème. Est-il besoin de rappeler que Virgile,
soucieux de perfection, avait ordonné à ses exécuteurs testamentaires de
détruire l'Enéide ? (Cf. Vita Vergiliana, p. 20 D.)
C'est dans le même sens que peut se résoudre l'aporie présentée par le
troisième exemple : il s'agit du premier héritier d'Énée. Quand Anchise passe
en revue la lignée des âmes destinées à se réincarner pour illustrer le nom
Troyen (VI, 758 : illustris animas nostrumque in notnen ituras), il cite à son
fils le nom de Silvius qui naîtra au héros, « le tout dernier, sur le tard » de son
épouse Lavinia (VI, 763-764). Cette présentation généalogique est en contra
diction avec l'annonce faite à Vénus par Jupiter (I, 267-271) : « mais Ascagne,
l'enfant qui est maintenant surnommé Iule (c'était Ilus, tant que subsis
tait le royaume d' Ilium) accomplira, au cours des mois, un long règne de
trente ans ; il transférera son royaume du siège de Lavinium à Albe la Longue
qu'il fortifiera puissamment ».
Que répondre à cette critique ? Si on prend la peine de confronter les
vers de Virgile avec le livre I de Tite-Live, on constate que, contrairement
au poète, l'historien imagine une régence de Lavinia entre le règne d'Énée
et son premier successeur mâle et que celui-ci est nommé Ascagne. Il est vrai
que, si cet Ascagne (Tite-Live, I, 1, 11 le déclare d'abord né du mariage d'Énée
avec Lavinia ; puis, se ravisant, I, 3, 3, ajoute ne pas savoir s'il s'agit du fils
de Creuse ou de Lavinia et refuse finalement de s'engager dans cette discus
sion, en tenant pour suffisant qu'Ascagne est sans aucun doute le fils d'Énée)
passe pour l'héritier direct d'Énée, il a chez l'historien (I, 3, 6) Silvius pour
fils et successeur.
On le voit : tout se passe comme si dans la présentation du Chant VI
un maillon avait sauté dans la chaîne généalogique. Il eût été aisé au poète
d'effacer la disparate qui existe entre le chant I et le chant VI pour la succes
sion d'Énée : il lui aurait suffi, de faire, à l'instar de Tite-Live, de Silvius,
signalé au chant VI, le fils d' Ascagne, nommé au chant I.
Les observations précédentes n'étaient peut-être pas inutiles. Il fallait
tenir compte d'un besoin de mise au point ; il fallait lever les hypothèques
qui pouvaient peser sur le chant VI et empêcher en quelque sorte le lecteur
d'être accessible à l'apport original du poète. Nous voici à même de perce
voir l'innovation essentielle : Virgile propose aux esprits de son temp

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