Sociologue parce que linguiste - article ; n°10 ; vol.10, pg 40-50
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Description

Journal de la Société des océanistes - Année 1954 - Volume 10 - Numéro 10 - Pages 40-50
11 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1954
Nombre de lectures 14
Langue Français

Extrait

Pierre Métais
Sociologue parce que linguiste
In: Journal de la Société des océanistes. Tome 10, 1954. pp. 40-50.
Citer ce document / Cite this document :
Métais Pierre. Sociologue parce que linguiste. In: Journal de la Société des océanistes. Tome 10, 1954. pp. 40-50.
doi : 10.3406/jso.1954.1809
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jso_0300-953X_1954_num_10_10_180940 SOCIÉTÉ DES OCÉAMISTES.
Société des Études mélanésiennes, à Nouméa, en 1946 la Société
des Océanistes ici, et de nouvelles sociétés pour étudier sur un plan
plus large les langues de l'Indo-Pacifique, et percer les mystères de
l'Histoire tout en amenant les hommes à se mieux connaître.
Non, cet homme qui a réuni des documents linguistiques de si
grande valeur n'était pas un linguiste...
Il était, d'abord et toujours, missionnaire.
Le missionnaire est l'homme qui a été envoyé dans le monde pour
y porter la vie. Non pas la doctrine ou les intérêts de telle faction ou
de telle institution, mais la lumière du Dieu qui aime le Monde et veut
le sauver. C'est à cette hauteur, dans cette perspective constante, que
se situent toute la vie, la vocation, l'étude et l'action de Maurice Leen-
hardt. L'oublier un seul instant, c'est trahir sa pensée, c'est ramener
à des dimensions mesquines l'effort de sa vie et la réalisation de sa
personnalité.
R.-H. LEENHARDT.
SOCIOLOGUE PARCE QUE LINGUISTE
Nous juxtaposons volontairement les deux vocables, car sauf peut-
être dans lés Dialectes austro-mélanésiens, Maurice Leenhardt n'a
jamais eu l'intention de faire œuvre linguistique. Il appartiendra aux
spécialistes de cette discipline, comme à ceux de la phonologie, de faire
le bilan de ses apports en les comparant surtout aux travaux des
devanciers dans la même aire culturelle. C'est la nécessité de l'œuvre
missionnaire, de l'apprentissage de la leGture, de l'écriture, de la diffu
sion du christianisme, de sa transmission aux générations, qui a
contraint l'auteur, comme les premiers missionnaires catholiques de
l'île, à enregistrer la langue, avec des moyens de fortune et la science de
leur époque, que limitait considérablement leur solitude. C'est dans
ce but et cet esprit qu'après de multiples refontes, retouches, est
apparu ce qu'on pourrait appeler le premier monument littéraire
moderne néo-calédonien : le Nouveau Testament en langue de
Houaïlou. Certes, on peut objecter que la notation, l'enregistrement ne
sont pas particulièrement scientifiques, et qu'il n'est guère possible
de le lire convenablement si, préalablement, on ne connaît pas la
langue. On pourrait dire encore que le texte laisse transpirer Fin- MAURICB LEENHARDT. k{
fluence du style du missionnaire de sa pensée occidentale, qu'il figure
le niveau intellectuel ^d'élèves de tDo (Néva, (donc fcd'une élite ayant
atteint un degré d'instruction déterminé qui n'est pas celui du peuple.
Ces reproches seraient et sont certes fondés. Mais un fait est irréfu
table. Actuellement, le « Peci arii », en houaïlou surtout, puis en lifou,
a atteint un degré considérable d'extension, chez les autochtones
protestants comme chez les catholiques. Il est le livre de chevet, le
livre d'heures souvent, du croyant et les chants religieux écrits de la
même langue sont appris par les jeunes, copiés par eux, d'autres
mêmes, composés par eux, sont présentés aux tournois des « Mai ». Il
suit que le houaïlou du Nouveau Testament devient, chez les jeunes,
la langue parlée et écrite, le cadre de leur pensée. Leur prononciation
. se règle sur celle du pasteur autochtone, qui n'est pas nécessairement
Houaïlou. Modifier la notation adoptée est donc chose impossible
sinon pour quelques érudits. Bientôt il ne sera plus possible de retrouver
la matière sonore, linguistique originelle. Le Nouveau Testament
traduit, à l'aide de disciples, il y a une trentaine d'années, révèle une
méthode et fournit de riches données à l'ethnologie, à l'acculturation
religieuse et à l'histoire des religions autochtones qui s'intéressent à
la langue. L'ethnographe, missionnaire ou laïque, ne se limite pas à
l'observation passive ou provoquée des faits. Il doit posséder le voca
bulaire, la sémantique de la culture étudiée, penser, rédiger, construire
dans la langue autochtone. Ainsi se révèle à lui, par l'analyse, l'usage,
l'intuition, la vie totale de la société, celle surtout qui échappe au regard,
ce tréfonds vivant de la pensée, de l'affectivité qu'il désirait comprendre,
expliquer ou faire évoluer. Il participe à ses expériences, à sa vision du
monde, au travail de son intelligence, de ses catégories, à ses valeurs.
Il recrée en lui et socialement la civilisation autochtone, comme
celle-ci doit recréer ou réinterpréter celle qu'on lui propose.
Cette inspiration, qui est une méthode et que le précepte de Pascal
cité dans la préface des Gens de la Grande Terre éclaire, permet à
M. Leenhardt de découvrir la structure religieuse néo-calédo
nienne et son vocabulaire, et de les convertir, c'est-à-dire « insuffler »
en eux pour employer une image, un « esprit », une signification chré
tiennes. Il avait « éprouvé », dès le début de ce siècle, que les religions
autochtones, si elles ne constituent pas nécessairement ce qu'on appel
lera plus tard une « attente » du christianisme, impliquent tout au
moins des expressions et une vision du monde qui préparent sa pénét
ration. Il savait, non encore sous forme doctrinale ou systématique,
mais par la connaissance acquise au cours de l'expérience coutumière,
par l'observation de la culture de la terre, des sacrifices, des paroles des
RBVDE DIS OCÉAN1STES. TOME X. 2 A SOCIÉTÉ DES OCÉANISTES. 42
convertis, que le totémisme constituait une « genèse », le « totem »,
une cause, une source de vie animant par la femme, êtres et choses,
circulant avec elle et servait de fondement, de garant à la discipline
sexuelle et sociale. De fait, la lecture du Nouveau Testament corrobore
cette impression. Les vocables religieux du totémisme s'y trouvent,
dont voici quelques-uns :
a = parler, la prière;
poaero — faire la marmite, le sacrifice;
rhewa .= se mettre, par les observances, dans un état qui plaît
-au totem et permet son action; observer un interdit
totémique.
rhevana = le totem en marche, action des totems;
rhe (de rhe «totem») r observance pour l'efficacité d'une médecine
totémique ou autre; -
rhe = action bénéfique du totem dans l'être;
de . = état d'adhérence du à soi, à la suite d'une faute;.
seri = sensation d'anéantissement, consécutif à une malédiction
ou à une sanction totémique ou maléfique;
co = idée de délier, d'effacement de la faute, etc.
M. Lcenhardt savait également que le Néo-Calédonien appréhendait
son existence sous forme d'un cycle : naissance, initiation, mariage,
accomplissement du rôle social, passage dans l'au-delà à l'état de
Bao, "présence près des vivants et entr'aide dans le champ, la forêt;
ce Bao était source de puissance, non de vie. Il avait appris aussi,
de ceux qui désiraient se faire convertir, des paroles étonnantes et
d'une éloquence suggestive :
« Donne-nous la Parole de vie »,
ou encore : v
« Je veux de la vie jusqu'à la mort »,
ou encore :
« Je ne commettrai plus d'adultère, je ne boirai plus, je veux
vivre ».
II avait compris le drame que recelait ces paroles. La société néo
calédonienne perdait la foi en la source totémique qui la vivifiait,
assurait son ordre, et se sentait socialement sans vie. Elle attendait du
nouveau venu, du kamo ka arii («l'homme sacré»), une autre foi; elle MAURICE LEËNHARDT. 43
l'appelait. C'est en fonction de ces expériences qu'a été élaboré le
Nouveau Testament et qu'il doit être étudié dans son vocabulaire et
l'esprit qui l'anime. En ce sens, il constitue le premier travail d'accul
turation et de linguistiqu

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