Subdivision cognitive - article ; n°1 ; vol.53, pg 229-248
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Description

Communications - Année 1991 - Volume 53 - Numéro 1 - Pages 229-248
20 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1991
Nombre de lectures 23
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Monsieur Gilles Fauconnier
Subdivision cognitive
In: Communications, 53, 1991. pp. 229-248.
Citer ce document / Cite this document :
Fauconnier Gilles. Subdivision cognitive. In: Communications, 53, 1991. pp. 229-248.
doi : 10.3406/comm.1991.1808
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1991_num_53_1_1808Gilles Fauconnier
Subdivision cognitive
C'est un des grands mérites de la recherche moderne sur le langage
d'avoir pris au sérieux l'organisation formellement complexe et abs
traite qui sous-tend un usage quotidien en apparence bien moins
mystérieux. Il fallait pour cela surmonter certaines habitudes de pens
ée, caricaturables de la façon suivante :
Parmi les processus intellectuels, certains sont difficiles (mathémat
iques, échecs...), demandent un long apprentissage, et ne sont
accessibles qu'à une minorité. D'autres (langage, bon sens, schémas
culturels...) sont acquis par tous, sans apprentissage autre que l'im
mersion dans la vie quotidienne. Il est naturel d'en déduire que les
premiers processus (les « difficiles ») ont une structure complexe, et
que les seconds ont au contraire une structure relativement simple.
Cette manière de voir est bien sûr fallacieuse. Nos capacités ne
sont pas plus simples parce qu'elles sont largement partagées, ou
parce qu'elles sont plus rapidement ou plus facilement acquises par
certains types de cerveaux. Il n'en reste pas moins que l'illusion est
tenace. La grammaire, aujourd'hui comme par le passé, est vue
comme une fantaisie relativement superficielle des langues parti
culières, un domaine somme toute assez arbitraire. Les grammairiens
ont rarement eu l'impression d'être compris et appréciés à leur juste
valeur ! Au sixième siècle déjà, le linguiste Cassiodorus se plaignait :
Le Grammairien est un homme pour qui chaque heure sans travail
est une torture, et c'est une honte qu'un tel homme doive attendre
les caprices d'un fonctionnaire public avant d'être payé. [...1 De tels
hommes forment le style et le caractère de notre jeunesse .
Le développement des études formelles sur la grammaire (syntaxe)
à partir du travail de Z. Harris - poursuivi sous différentes formes
par N. Chomsky, P. Postal et D. Perlmutter, C. Gazdar, J. Bresnan -
229 Gilles Fauconnier
a certainement permis de faire mieux saisir le caractère abstrait de la
grammaire universelle et a montré comment une grande rigueur
scientifique pouvait être associée à une observation empirique extr
êmement détaillée dans l'étude de phénomènes considérés comme
banals dans la vie quotidienne (la production et la compréhension de
phrases ordinaires). Le philosophe H. Putnam écrit à ce sujet :
Le langage est le premier champ majeur de la capacité cognitive de
l'homme pour lequel nous parvenons à l'ébauche d'une description,
évitant les pièges d'une simplification à outrance. Grâce aux tr
avaux des linguistes transformationnels contemporains, nous assis
tons à l'élaboration d'une description subtile de certains langages
humains2.
Pourtant, malgré cette mise en évidence indispensable de l'abs
traction et de la profondeur du domaine, les sciences modernes du
langage ont fait fausse route à plusieurs reprises. L'idée curieuse
(héritée du structuralisme bloomfieldien) d'étudier la combinatoire
des mots (syntaxe) sans se soucier du sens, de la fonction ou de
l'usage, a fait pas mal de dégâts en grammaire generative et trans-
formationnelle . Plus grave encore sans doute a été l'orientation don
née à la sémantique, en grande partie par la faute de philosophes
souvent perspicaces, mais enfermés dans un carcan de réalisme
logique sans espoir4.
La recherche s'est fourvoyée parce qu'elle était incapable de
remettre en question les dogmes ou préjugés suivants :
- les phrases d'une langue naturelle expriment (moyennant la spé
cification de quelques paramètres pragmatiques) des propositions (au
sens de la logique classique) ;
- une phrase isolée, en dehors de tout contexte, possède un
« sens », analysable en termes de conditions de vérité ;
- ces conditions de vérité mettent directement en rapport des
expressions linguistiques et des états (réels ou virtuels) du monde ;
- les propriétés cognitives particulières de l'appareil mental
humain ne sont pas pertinentes structuralement ; elles interviennent
au mieux dans la mise en application du système, pas dans son orga
nisation ;
- On distingue artificiellement phrase et discours, sémantique et
pragmatique, sens littéral et sens dérivé ; c'est un peu comme si un
chimiste espérait connaître la structure des éléments sans s'occuper
de leur combinaison, ou des conditions (pression, volume, températ
ure, par exemple) dans lesquelles se font les observations ;
- une autre source de déboires pour cette démarche, dite classique,
230 Subdivision cognitive
a des origines méthodologiques : la variété, la richesse et la subtilité
des phénomènes sémantiques sont sous-estimés ; on croit avoir une
compréhension au moins intuitive des phénomènes, et le problème
paraît être celui d'une formalisation adéquate plutôt que d'une
recherche empirique profonde, détaillée, et sans a priori, débouchant
sur des généralisations théoriques.
La sémantique cognitive, dont plusieurs facettes sont illustrées
dans le présent volume, a rompu avec ces dogmes, et s'en est bien
trouvée. Sur plusieurs plans, la conception émergente du langage, du
discours et de la grammaire tranche radicalement aussi bien avec la
vision commune ordinaire qu'avec les positions dites classiques évo
quées plus haut5.
L'un des résultats importants à cet égard est la mise en évidence
de connexions multiples sur les domaines cognitifs (espaces mentaux)
construits au cours de l'action et de l'interaction verbale. Sans entrer
ici dans les détails techniques de l'analyse, rappelons-en les grandes
lignes 6.
I. CONSTRUCTION DU SENS
Une expression de langue E n'a pas de sens en soi ; elle a plutôt un
potentiel de sens 7 et c'est dans un discours complet en contexte qu'il
y aura production et actualisation de sens. Le déroulement du dis
cours met en jeu des constructions cognitives complexes. Entre
autres, il y a mise en place de domaines rattachés les uns aux autres
par des connecteurs, et structurés de façon interne, aussi bien à partir
d'indices linguistiques que d'éléments situationnels et contextuels.
Bien qu'essentiels pour ces constructions, les indices grammaticaux
sont en eux-mêmes largement insuffisants pour déterminer la
construction.
On peut dire qu'une expression est génératrice de sens : lorsque les
indices grammaticaux qu'elle fournit sont appliqués à une configurat
ion8, plusieurs nouvelles configurations seront possibles, et l'une
d'elles interviendra ; on aura une nouvelle étape de la construction
sous-jacente au discours.
On peut, dans cette perspective, voir le déroulement du discours
comme une série de configurations cognitives produites successiv
ement les unes à partir des autres. Une expression de langue qui inter
vient dans le discours au stade n place alors un ensemble de
contraintes sur la nouvelle configuration produite, cela en fonction
de la configuration déjà engendrée au stade n-\ 9.
231 Gilles Fauconnier
Ces configurations, qui sont ensuite élaborées pragmatiquement,
ont comme caractéristique importante de subdiviser l'information, en
la relativisant à différents domaines (les « espaces >) construits au fil
du discours (ce que Dinsmore appelle knowledge partitioning). Ces
domaines sont partiellement ordonnés par une relation de subordina
tion : chaque fois qu'un nouvel espace M' est introduit, cette intro
duction se fait à partir d'un parent M. On dira que M' est
subordonné à M.
La série d'espaces construits au fil du discours est donc structurée
en treillis :
M (espace de départ)
.' M*...
A un moment donné du discours, l'un des espaces est une base
pour le système, et un autre espace est en perspective (focus space).
C'est à partir de la base ou du focus que se fera la construction sui
vante. Les espaces distingués de cette manière sont par ailleurs reliés
par des connecteurs, qui mettent en

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