Les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur : le rôle des filières et des spécialités. Une comparaison entre l’Allemagne de l’Ouest et la France - article ; n°1 ; vol.433, pg 3-22
Economie et statistique - Année 2010 - Volume 433 - Numéro 1 - Pages 3-22El proceso de difusión de los estudios superiores establecido en Europa occidental desde hace unos cincuenta años se acompaña de una diversificación de las especialidades y los sectores que se ofrecen al término de la secundaria. Aunque la expansión cuantitativa del acceso a la enseñanza superior ha podido reducir las desigualdades sociales, esta diversificación puede ir en dirección opuesta, en beneficio de una determinada reproducción social. Aquí se comparan Francia y Alemania (dentro de los límites de la antigua RFA) en términos de desigualdades sociales en el acceso a la enseñanza superior. Las estructuras educativas aparecen más diversificadas y más jerarquizadas en Francia, lo que está relacionado en particular con la existencia propia de nuestro país de un sector de grandes escuelas que admite a los alumnos basándose en pruebas muy selectivas. En Alemania, las desigualdades sociales se producen más antes del bachillerato que en Francia, donde la considerable ampliación en el acceso a este diploma tiene tendencia a trasladar la influencia del origen social al momento de la orientación efectiva hacia los sectores y las especialidades de la enseñanza superior: La existencia del sector de las grandes escuelas es un factor determinante en esta fase. En cambio, en Francia no existe una jerarquización social neta entre las especialidades. Por el contrario, en Alemania, el origen social parece tener un papel más importante en la elección de las especialidades, ya que el sistema educativo a este nivel está menos jerarquizado que en Francia. La elección entre enseñanza superior y formación profesional sigue siendo aquí, no obstante, socialmente selectiva. La oposición a menudo invocada por la sociología entre dimensión vertical y horizontal de las elecciones resulta en los casos francés y alemán pertinente de forma desigual según las respectivas características de organización de los dos sistemas de formación. Parece ser que los comportamientos no evolucionan a corto plazo: se han observado pocas evoluciones significativas entre finales de los años 1970 y finales de los años 1990. Le processus de diffusion des études supérieures à l’œuvre en Europe occidentale depuis une cinquantaine d’années s’accompagne d’une diversification des spécialités et des filières proposées à l’issue du secondaire. Si l’expansion quantitative de l’accès au supérieur a pu réduire les inégalités sociales, en revanche, cette diversification peut éventuellement jouer dans le sens opposé, au profit d’une certaine reproduction sociale. On compare ici la France et l’Allemagne (dans les limites de l’ex-RFA) sur le plan des inégalités sociales d’accès au supérieur. Les structures éducatives apparaissent plus diversifiées et plus hiérarchisées en France, ce qui est notamment en rapport avec l’existence propre à notre pays d’une filière de grandes écoles recrutant sur des concours très sélectifs. En Allemagne, les inégalités sociales jouent plus en amont du baccalauréat qu’en France, où l’élargissement considérable de l’accès à ce diplôme tend à reporter l’influence des origines sociales au moment de l’orientation effective vers les filières et les spécialités du supérieur: l’existence de la filière des grandes écoles est un facteur déterminant à ce stade. En revanche, il n’existe pas en France de hiérarchisation sociale nette entre les spécialités. À l’inverse, en Allemagne, l’origine sociale semble jouer un rôle plus important dans le choix des spécialités, dès lors que le système éducatif est, à ce niveau, moins hiérarchisé qu’en France. Le choix entre l’enseignement supérieur et la formation professionnelle y reste cependant socialement sélectif. L’opposition souvent invoquée par la sociologie, entre dimension verticale et horizontale des choix s’avère dans les cas français et allemands inégalement pertinente selon les caractéristiques organisationnelles respectives des deux systèmes de formation. Il semble que les comportements n’évoluent pas sur le court terme: peu d’évolutions significatives ont été observées entre la fin des années 1970 et celle des années 1990. Die Wahl des Hochschulstudiums in Westeuropa geht seit rund fünfzig Jahren mit einer Diversifizierung der nach der Sekundarstufe angebotenen Spezialisierungen und Fachrichtungen einher. Die quantitative Zunahme des Zugangs zu den Hochschulen hat zwar die sozialen Ungleichheiten verringert; diese Diversifizierung kann jedoch möglicherweise auch eine gegenteilige Wirkung zugunsten einer gewissen sozialen Reproduktion entfalten. In diesem Artikel werden Frankreich und Deutschland (d. h. die frühere Bundesrepublik) im Hinblick auf die sozialen Ungleichheiten beim Zugang zum Studium miteinander verglichen. Die Bildungsstrukturen scheinen in Frankreich diversifizierter und hierarchischer zu sein, was in unserem Land insbesondere auf das Vorhandensein der “grandes écoles“ (Elitehochschulen) zurückzuführen ist, die im Rahmen sehr selektiver Auswahlverfahren ihre Studenten rekrutieren. In Deutschland spielen die sozialen Ungleichheiten vor dem Abitur eine größere Rolle als in Frankreich, wo aufgrund der erheblichen Ausweitung des Zugangs zu diesem Abschluss in der Regel der Einfluss der sozialen Herkunft zum Zeitpunkt der effektiven Wahl einer Fachrichtung und bestimmter Spezialisierungen beim Hochschulstudium verstärkt zum Tragen kommt: In diesem Stadium ist das Vorhandensein von Elitehochschulen ein entscheidender Faktor. Allerdings gibt es in Frankreich keine deutliche soziale Hierarchiesierung zwischen den Fachrichtungen. In Deutschland spielt die soziale Herkunft dagegen anscheinend keine wichtigere Rolle bei der Wahl der Fachrichtungen, da das Bildungssystem auf diesem Niveau weniger hierarchisch aufgebaut ist als in Frankreich Die Wahl zwischen Hochschulstudium und Berufsausbildung ist allerdings nach wie vor in sozialer Hinsicht sehr selektiv. Der Gegensatz, den Soziologen oftmals zwischen der vertikalen und der horizontalen Dimension der Entscheidungen anführen, ist im Falle Frankreichs und Deutschlands ungleich relevant, und zwar je nach den jeweiligen organisatorischen Merkmalen der beiden Bildungssysteme. Es hat den Anschein, dass sich die Verhaltensweisen kurzfristig nicht ändern: Zwischen Ende der 1970er und Ende der 1990er Jahre konnten keine nennenswerten Entwicklungen festgestellt werden. The expansion of higher education across western Europe in the past fifty years or so has been accompanied by a diversification of the streams and specializations offered to secondary-school leavers. While increased access to higher education has reduced social inequality, diversification, in contrast, may produce the opposite effect by promoting a certain degree of social reproduction. We compare France and Germany (within the boundaries of former West Germany) in terms of social inequality of access to higher education. Educational institutions seem more diversified and hierarchically structured in France. This is notably due to a specific feature of French higher education: the grandes écoles, which base their intake on highly selective admission tests. Social inequality plays a greater role before the final secondary-school exam in Germany than it does in France. The massive increase in access to the French baccalauréat tends to shift the influence of social origins towards the stage where students are actually streamed into higher-education institutions and specializations. The existence of the grandes écoles is a decisive factor at that stage. By contrast, there is no clear social ranking of specializations in France. In Germany, instead, social origin seems to play a greater role in the choice of specialization, bearing in mind that German higher education is less hierarchical than its French counterpart. However, social selection remains a determinant of the choice between higher education and vocational training in Germany. The opposition between vertical and horizontal dimensions of choices— often cited by sociologists— proves to be of uneven relevance in France and Germany. It is determined by the organizational characteristics of the two education systems. There is no evidence of behavioural changes in the short term: we observe few significant shifts between the late 1970s and late 1990s. 20 pages Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.
Les néaltés daccès à lensenement supérieur : le rôle des filières et des sécaltés UnecomarasonentrelAllemanede lOuest et la France Mare Duru-Bellat*, Annck Keffer**, Davd Remer***
LeprocessusdediffusiondesétudessupérieuresàluvreenEuropeoccidentaledepuisune cinquantaine d’années s’accompagne d’une diversification des spécialités et des filières proposées à l’issue du secondaire. Si l’expansion quantitative de l’accès au supé -rieur a pu réduire les inégalités sociales, en revanche, cette diversification peut éventuel -lement jouer dans le sens opposé, au profit d’une certaine reproduction sociale. On compare ici la France et l’Allemagne (dans les limites de l’ex-RFA) sur le plan des inégalités sociales d’accès au supérieur. Les structures éducatives apparaissent plus diversifiées et plus hiérarchisées en France, ce qui est notamment en rapport avec l’exis -tence propre à notre pays d’une filière de grandes écoles recrutant sur des concours très sélectifs. EnAllemagne,lesinégalitéssocialesjouentplusenamontdubaccalauréatquenFrance,où l’élargissement considérable de l’accès à ce diplôme tend à reporter l’influence des origines sociales au moment de l’orientation effective vers les filières et les spécialités du supérieur : l’existence de la filière des grandes écoles est un facteur déterminant à ce stade. En revanche, il n’existe pas en France de hiérarchisation sociale nette entre les spécialités. À l’inverse, en Allemagne, l’origine sociale semble jouer un rôle plus important dans le choix des spécialités, dès lors que le système éducatif est, à ce niveau, moins hiérarchisé qu’en France. Le choix entre l’enseignement supérieur et la formation professionnelle y reste cependant socialement sélectif. L’opposition souvent invoquée par la sociologie, entre dimension verticale et horizontale des choix s’avère dans les cas français et alle -mands inégalement pertinente selon les caractéristiques organisationnelles respectives des deux systèmes de formation. Ilsemblequelescomportementsnévoluentpassurlecourtterme:peudévolutionssignificatives ont été observées entre la fin des années 1970 et celle des années 1990.
*Sciences-po, Observatoire Sociologique du Changement, marie.durubellat@sciences-po.fr **Centre Maurice Halbwachs, CNRS, annick.kieffer@ens.fr ***School of Education, Université de Aarhus, Danemark dare@dpu.dk
ÉCONOMIEETSTATISTIQUEN°433434,2010
3
4
A ucoursdelapérioderécente,lenseigne-mentsupérieursestfortementdéveloppédans la plupart des pays et tout particulièrement dans les plus riches (cf. par exemple Schofer et Meyer, 2005). Ce développement a revêtu une intensité et des modalités variables dun pays àlautre,assortiesdunedifférenciationdesstructures de l’appareil éducatif. Cette évolution estconformeàcequenseignelasociologiedesorganisations : une structure en croissance tend à se diversifier pour fonctionner de manière plus efficace, en divisant ses clients ou ses usagers en segments aussi homogènes que possible. Lenseignementsecondaireousupérieurten-drait ainsi à se diversifier pour s’adapter à de nouveaux publics.
Lexansondeléducatonnefaclteasforcémentlaccèsdesclassesdéfavorséesau système éducatf La question se pose alors des incidences de ce double processus d’expansion et de diffé -renciation sur lévolution des inégalités socia-les. On peut estimer que dès lors que, grâce à l’expansion, des groupes jusqu’alors exclus entrent dans le système, il devrait en résulter une plus grande égalité (processus dit din-clusion de nouvelles catégories sociales dans le système éducatif, cf. Arum et al. , 2007). Les relations entre l’expansion du système et légalisation face à lenseignement ne sont pas pour autant directes. Tout d’abord, la posi -tion inégale des groupes en matière d’accès à léducation a pour conséquence quils béné-ficient inégalement de l’expansion. Nombre danalyses historiques montrent que ce sont les groupes déjà les mieux placés qui sont les premiers à tirer parti des phases d’expansion, et ce jusqu’à ce qu’ils atteignent des taux d’ac -cès proches de 100 %. Lorsque le processus d’expansion se poursuit, les groupes plus en retrait rattrapent alors mécaniquement les premiers (pour la France, cf. Duru-Bellat et Kieffer, 2000, ou Merle, 2002). Le modèle de tels comportements a été formalisé par Raftery et Hout au début des années 1990 au moyen de l’hypothèse de maintien maximum de linéga-lité ( Maximally Maintained Inequality , MMI) selon laquelle l’expansion de l’éducation à un niveau donné nest susceptible de débou-cher sur une réduction des inégalités que si les groupes privilégiés atteignent un seuil de satu-ration et que si l’expansion ne peut se reporter sur d’autres niveaux ou filières. D’autres cher -cheurs comme Lucas (2001) soulignent alors la nécessité d’examiner finement les stratégies
des groupes privilégiés, qui, pour conserver leur avantage, se distinguent des autres grou-pes par leur investissement éducatif non plus quantitativement (processus de saturation évo-qué plus haut) mais qualitativement (investis -sement dans des filières différentes de celles investies par les autres groupes). Une différen -ciation du système éducatif est alors bienvenue et mise à profit par les groupes privilégiés pour préserver leur prépondérance dans les filières les plus rentables. Dans ce cas, les membres des classes défavo -risées sont détournés des filières qui permet -tent d’accéder aux positions d’élite et canali -sés vers celles qui débouchent sur les emplois les moins qualifiés. Shavit, Arum et Gamoran (2007) avancent l’hypothèse que les chances que l’expansion éducative offre aux membres des catégories populaires dépendent alors plu-tôt de la filière ou de la spécialité d’enseigne -ment. Il devient alors central, pour la sociologie de la reproduction, d’examiner si les inégalités sociales déducation se manifestent au travers de l’accès à tel ou tel niveau éducatif ou par le biais des filières ou des domaines d’études. Quelle que soit la perspective privilégiée, les comportements observés doivent être analysés en référence à un modèle théorique. Des ana -lyses antérieures montrent limportance de la notion de stratégie . Ainsi, les élèves issus de milieu aisé seraient davantage portés à la prise de risque pour sassurer au moins une stabilité du positionnement social, à défaut dune mobi-lité sociale ascendante. À l’inverse, une sensi -bilité plus forte au risque serait associée à une situation économique moins favorable et à des ambitions plus modestes, à partir dun point de départ moins élevé dans la hiérarchie sociale. Théorisé par Boudon (1973), ce modèle pré -tend expliquer les choix par des arbitrages rendement/risque : les choix prendraient en compte à la fois les bénéfices escomptés à l’is -sue des formations et leurs coûts. Ce modèle se propose de rendre compte des grands choix entre filières de l’enseignement supérieur. Il est possible de lenrichir de facteurs suscepti-bles de jouer sur lorientation vers telle ou telle spécialité, comme la notion dhéritage cultu-rel (Bourdieu et Passeron, 1970). Ce concept dote en effet telle ou telle catégorie dindividus de familiarité ou dappétence pour tel ou tel domaine d’études. Ces modèles théoriques invitent à retenir comme variables explicatives, pour expliquer les choix à l’entrée dans l’enseignement supé -