Un discours figuré chez Héliodore : « comment, en disant l’inverse de ce qu’on veut, on peut accomplir ce qu’on veut sans sembler dire l’inverse de ce qu’on veut »  - article ; n°1 ; vol.36, pg 51-62
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Un discours figuré chez Héliodore : « comment, en disant l’inverse de ce qu’on veut, on peut accomplir ce qu’on veut sans sembler dire l’inverse de ce qu’on veut » - article ; n°1 ; vol.36, pg 51-62

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Description

Collection de la Maison de l'Orient méditerranéen ancien. Série littéraire et philosophique - Année 2006 - Volume 36 - Numéro 1 - Pages 51-62
This paper discusses the speech of Hydaspes in Aithiopika 10.16, in which he voices his intention to sacrifice his daughter, but in terms that encourage his audience to prevent the sacrifice. Heliodoros’ presentation of this speech is characteristically duplicitous: at first the narrator suggests that Hydaspes genuinely intends to proceed, but later reveals, ambiguously, that he had subverted his own speech to achieve a purpose opposite to the ostensidle one. This contradiction is analysed in relation to character, fictional audience and reader, with the conclusion that the reader is intended to reproduce within himself the response of the Ethiopian people to the king’s rhetorical trope. This type of speech, which means the opposite of what it says, was known to the rhetoricians of antiquity as logos eschematismenos; some features fo their analysis are found in the speech of Hydaspes. A “canonical” example of logos eschematismenos is the speech of Phoenix in Iliad 9. Heliodoros quotes a line from Achilles’ reply to this speech, in which according to the rhetoricians he unmasks the rhetorical stratagem. In this way, Heliodoros himself unmasks, in a meta-literary and inter-textual way, the nature of his own text.
Cette communication, qui traite du discours d’Hydaspe dans les Éthiopiques 10, 16, au cours duquel le roi proclame sa volonté de sacrifier sa fille, mais dans des termes qui incitent en fait son auditoire à empêcher le sacrifice, montre que la présentation qu’en fait Héliodore manifeste une ambiguïté tout à fait caractéristique: tout d’abord, le narrateur suggère qu’Hydaspe a véritablement l’intention d’accomplir le sacrifice, mais il laisse ensuite entendre qu’il a subverti son propre discours pour obtenir un effet inverse de celui qui est proclamé. Cette contradiction est analysée au niveau du personnage, du public fictionnel et du lecteur, jusqu’à conclure que le lecteur reproduit dans son for intérieur la réponse du peuple éthiopien au trope rhétorique du roi. Ce type de discours, qui signifie le contraire de ce qu’il dit, est qualifié de logos eschematismenos par les rhétoriciens de l’Antiquité; on en retrouve les caractéristiques dans le discours d’Hydaspe. Un exemple «canonique» de logos eschematismenos est le discours de Phénix dans le chant IX de l’Iliade. Or Héliodore cite un vers de la réponse d’Achille à Phénix, dans lequel il démasque le stratagème rhétorique. Ce faisant, le romancier démasque lui-même, d’une façon métalittéraire et intertextuelle, la nature de son propre texte.
12 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 2006
Nombre de lectures 47
Langue Français

Extrait

UN DISCOURS FIGURÉ CHEZ HÉLIODORE :
« COMMENT, EN DISANT L’INVERSE DE CE QU’ON VEUT,
ON PEUT ACCOMPLIR CE QU’ON VEUT SANS SEMBLER
DIRE L’INVERSE DE CE QU’ON VEUT »
1John R. MORGAN
RÉSUMÉ
Cette communication, qui traite du discours d’Hydaspe dans les
Éthiopiques 10, 16, au cours duquel le roi proclame sa volonté de sacrifier sa
fille, mais dans des termes qui incitent en fait son auditoire à empêcher le
sacrifice, montre que la présentation qu’en fait Héliodore manifeste une
ambiguïté tout à fait caractéristique : tout d’abord, le narrateur suggère
qu’Hydaspe a véritablement l’intention d’accomplir le sacrifice, mais il laisse
ensuite entendre qu’il a subverti son propre discours pour obtenir un effet
inverse de celui qui est proclamé. Cette contradiction est analysée au niveau du
personnage, du public fictionnel et du lecteur, jusqu’à conclure que le lecteur
reproduit dans son for intérieur la réponse du peuple éthiopien au trope
rhétorique du roi. Ce type de discours, qui signifie le contraire de ce qu’il dit,
est qualifié de logos eschematismenos par les rhétoriciens de l’Antiquité ; on
en retrouve les caractéristiques dans le discours d’Hydaspe. Un exemple
« canonique » de logos eschematismenos est le discours de Phénix dans le
chant IX de l’Iliade. Or Héliodore cite un vers de la réponse d’Achille à Phénix,
dans lequel il démasque le stratagème rhétorique. Ce faisant, le romancier
démasque lui-même, d’une façon métalittéraire et intertextuelle, la nature de son
propre texte.
ABSTRACT
This paper discusses the speech of Hydaspes in Aithiopika 10.16, in which
he voices his intention to sacrifice his daughter, but in terms that encourage his
audience to prevent the sacrifice. Heliodoros’ presentation of this speech is


1. University of Wales, Swansea. 52 J.R. MORGAN
characteristically duplicitous: at first the narrator suggests that Hydaspes
genuinely intends to proceed, but later reveals, ambiguously, that he had
subverted his own speech to achieve a purpose opposite to the ostensidle one.
This contradiction is analysed in relation to character, fictional audience and
reader, with the conclusion that the reader is intended to reproduce within
himself the response of the Ethiopian people to the king’s rhetorical trope. This
type of speech, which means the opposite of what it says, was known to the
rhetoricians of antiquity as logos eschematismenos; some features fo their
analysis are found in the speech of Hydaspes. A “canonical” example of logos
eschematismenos is the speech of Phoenix in Iliad 9. Heliodoros quotes a line
from Achilles’ reply to this speech, in which according to the rhetoricians he
unmasks the rhetorical stratagem. In this way, Heliodoros himself unmasks, in a
meta-literary and inter-textual way, the nature of his own text.
Au dixième livre des Éthiopiques d’Héliodore, Hydaspe, le roi pieux et
philanthrope des Éthiopiens, revient à Méroë, sa capitale, après une campagne
victorieuse contre les Perses qui occupent l’Égypte. Selon le rite traditionnel, il doit
célébrer son succès par une cérémonie qui se termine avec l’immolation des
premiers prisonniers de la guerre. Avant le sacrifice, il a été nécessaire de vérifier la
virginité des victimes en les faisant monter sur un foyer magique. À l’étonnement et
la consternation de tous, une jeune fille, d’une beauté éclatante, s’est montrée une
victime appropriée. Cependant, avant qu’on puisse accomplir le sacrifice, elle
déclare qu’elle est la fille du roi lui-même, exposée à la naissance et qu’on a crue
morte. Ses prétentions sont confirmées par des marques de reconnaissance et
l’attestation du président des gymnosophistes, la « conscience » de l’état éthiopien.
Pendant que le peuple éthiopien se réjouit de ces retrouvailles inespérées et que
la reine tombe, évanouie et pleurant, dans les bras de sa fille longtemps perdue,
2Hydaspe se montre – on peut bien le croire – très ému. Le narrateur nous dit que
son cœur penchait vers la compassion (sympatheia), mais qu’il cachait ses
sentiments, exprimant cette fermeté d’une façon intertextuelle, par une allusion au
dix-neuvième livre de l’Odyssée, qui évoque la scène où Pénélope pleure sur son
mari absent, au moment même où il se trouve assis à ses côtés :
« Ulysse dans son cœur s’apitoyait à la vue de sa femme qui le pleurait, mais ses
yeux restaient comme s’ils eussent été de corne ou de fer, immobiles sous ses
3paupières. »
Cette référence est complexe. Les larmes de Persinna évoquent celles de
Pénélope ; elles sont versées pour le retour de quelqu’un dont l’identité a été
dissimulée et révélée, tout comme Ulysse dissimule son identité et bientôt la


2. Éthiopiques, 10, 16, 2.
3. Odyssée, 19, 209-12. {
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UN DISCOURS FIGURÉ CHEZ HÉLIODORE 53
révélera ; Chariclée, la fille perdue, qui est comme Ulysse l’objet des larmes, est
elle-même une figure odysséenne, dont l’histoire n’est qu’une réécriture et une
reconfiguration du poème homérique. La référence confirme aussi que la sévérité du
roi n’est qu’une carapace, comme celle d’Ulysse, sous laquelle des sentiments forts
et brûlants sont en jeu. Le narrateur poursuit en précisant qu’Hydaspe est déchiré
entre deux forces opposées : l’amour paternel et un mâle courage, mais qu’il finit
4par céder à la nature, « qui l’emporte toujours » , et consacre sa paternité par la
libation de ses larmes. Toutefois, ajoute le narrateur, il n’est pas tout à fait détourné
5de ce qu’il a à faire .
Ces phrases suscitent chez le lecteur plusieurs attentes, notamment que le
discours qui suit reflète un débat intérieur dans lequel la résolution royale
l’emportera sur les attachements personnels. Dans les lignes qui précèdent le
discours du roi, le narrateur nous rend conscients des sentiments partagés et
puissants du public fictionnel, le peuple éthiopien, qui éprouve en même temps joie
et pitié devant la dramaturgie de la destinée. Ces sentiments opposés indiquent les
deux voies possibles que peut prendre l’histoire : la joie pour le retour et la vie de la
princesse, et la pitié pour la mort sacrificielle qui la menace.
C’est sur ce fond qu’on commence à lire le discours d’Hydaspe. La structure
en est simple. Il se divise en deux sections. La première et la plus longue (10, 16,
4-8) s’adresse aux Éthiopiens. Ici, le roi exprime sa résolution d’accomplir le
sacrifice dans l’intérêt de ses sujets, quel que soit le prix personnel qu’il doive payer.
La deuxième (10, 16, 9-10) s’adresse à Chariclée elle-même, et lui enjoint le
courage et la noblesse d’âme devant le sort qui l’attend. Dans une brève phrase
finale, le roi demande pardon aux dieux s’il a dû prononcer des paroles impies.
Cependant, la rhétorique de ce discours est complexe et fort intéressante. Dès
les premiers mots, le roi met en relief les thèmes de la paternité et de l’amour filial.
Il n’essaye point de cacher la douleur et le dommage que lui apportera le sacrifice :
la perte d’un être cher (§ 4 : le nom de père) et la mise en danger des institutions
nationales (§ 4 : la perpétuité de sa race) ; mais il ne succombera pas aux sentiments
naturels d’un père (§ 7) ; il parle de sa douleur, de la perte qui sera la sienne et des
malheurs de Persinna. Il souligne la nature paradoxale de la double péripétie dont il
fait l’expérience : il retrouve et perd de nouveau sa fille unique dans un seul instant,
les circonstances de son retour évoquant ainsi celles de sa naissance, quand on lui a
fait croire qu’elle était mort-née (§ 6) ; de la même façon, sa femme va devenir
véritablement mère pour la première fois et immédiatement après redevenir une
6femme sans enfant (§ 8) . Les mêmes dieux qui ont préservé la vie de Chariclée et
l’ont miraculeusement ramenée de l’exil sont ceux-là même auxquels il faut


4. Éthiopiques, 10, 16, 2 : th" ta panta nikwsh" fusew".
5. Idem, 10, 16, 3 : Ou mhn ei" to pantele" ge exekrousqh twn praktewn.
6. Idem, 10, 16, 8 : prwtotokou te ama kai agonou. v

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