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Publié par | bibebook |
Nombre de lectures | 27 |
EAN13 | 9782824710426 |
Langue | Français |
Extrait
HONORÉ DE BALZA C
U N ÉP ISODE SOUS LA
T ERREU R
BI BEBO O KHONORÉ DE BALZA C
U N ÉP ISODE SOUS LA
T ERREU R
Un te xte du domaine public.
Une é dition libr e .
ISBN—978-2-8247-1042-6
BI BEBO OK
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compris à Bib eb o ok.U N ÉP ISODE SOUS LA
T ERREU R
A MONSI EU R GU Y ON N ET -MERV I LLE,
Ne faut-il p as, cher et ancien p atr on, e xpliquer aux g ens
curieux de tout connaîtr e , où j’ai pu sav oir assez de pr o cé dur e
p our conduir e les affair es de mon p etit monde , et consacr er ici
la mémoir e de l’homme aimable et spirituel qui disait à Scrib e ,
autr e cler c-amateur , « Passez donc à l’Étude , je v ous assur e
qu’il y a de l’ ouv rag e » en le r encontrant au bal ; mais
av ez-v ous b esoin de ce témoignag e public p our êtr e certain de
l’affe ction de l’auteur ?
DE BALZA C.
22 1793, v er s huit heur es du soir , une vieille dame
descendait, à Paris, l’éminence rapide qui finit de vant l’égliseL Saint-Laur ent, dans le faub our g Saint-Martin. Il avait tant neig é
p endant toute la jour né e , que les p as s’ entendaient à p eine . Les r ues
étaient désertes. La crainte assez natur elle qu’inspirait le silence
s’augmentait de toute la ter r eur qui faisait alor s g émir la France ; aussi la
vieille dame n’avait-elle encor e r encontré p er sonne ; sa v ue affaiblie
de1Un épiso de sous la ter r e ur Chapitr e
puis long-temps ne lui p er meait p as d’ailleur s d’ap er ce v oir dans le
lointain, à la lueur des lanter nes, quelques p assants clair-semés comme des
ombr es dans l’immense oie de ce faub our g. Elle allait courag eusement
seule à trav er s cee solitude , comme si son âg e était un talisman qui dût
la préser v er de tout malheur . and elle eut dép assé la r ue des Morts, elle
cr ut distinguer le p as lourd et fer me d’un homme qui mar chait der rièr e
elle . Elle s’imagina qu’ elle n’ entendait p as ce br uit p our la pr emièr e fois ;
elle s’ e ffraya d’av oir été suivie , et tenta d’aller plus vite encor e afin
d’atteindr e à une b outique assez bien é clairé e , esp érant p ouv oir vérifier à la
lumièr e les soup çons dont elle était saisie . A ussitôt qu’ elle se tr ouva dans
le ray on de lueur horizontale qui p artait de cee b outique , elle r etour na
br usquement la tête , et entr e vit une for me humaine dans le br ouillard ;
cee indistincte vision lui suffit, elle chancela un moment sous le p oids de
la ter r eur dont elle fut accablé e , car elle ne douta plus alor s qu’ elle n’ eût
été escorté e p ar l’inconnu depuis le pr emier p as qu’ elle avait fait hor s
de chez elle , et le désir d’é chapp er à un espion lui prêta des for ces.
Incap able de raisonner , elle doubla le p as, comme si elle p ouvait se soustrair e
à un homme né cessair ement plus agile qu’ elle . Après av oir cour u p
endant quelques minutes, elle p ar vint à la b outique d’un pâtissier , y entra
et tomba, plutôt qu’ elle ne s’assit, sur une chaise placé e de vant le
comptoir . A u moment où elle fit crier le lo quet de la p orte , une jeune femme
o ccup é e à br o der le va les y eux, r e connut, à trav er s les car r e aux du
vitrag e , la mante de for me antique et de soie violee dans laquelle la vieille
dame était env elopp é e , et s’ empr essa d’ ouv rir un tir oir comme p our y
pr endr e une chose qu’ elle de vait lui r emer e . Non-seulement le g este et
la phy sionomie de la jeune femme e xprimèr ent le désir de se débar
rasser pr omptement de l’inconnue , comme si c’ eût été une de ces p er sonnes
qu’ on ne v oit p as av e c plaisir , mais encor e elle laissa é chapp er une e
xpr ession d’imp atience en tr ouvant le tir oir vide ; puis, sans r eg arder la
dame elle sortit pré cipitamment du comptoir , alla v er s l’ar rièr e-b outique ,
et app ela son mari, qui p ar ut tout à coup .
― Où donc as-tu mis. . . ? lui demanda-t-elle d’un air de my stèr e en lui
désignant la vieille dame p ar un coup d’ œil et sans ache v er sa phrase .
oique le pâtissier ne pût v oir que l’immense b onnet de soie noir e
envir onné de nœuds en r ubans violets qui ser vait de coiffur e à
l’incon2Un épiso de sous la ter r e ur Chapitr e
nue , il disp ar ut après av oir jeté à sa femme un r eg ard qui semblait dir e :
― Cr ois-tu que je vais laisser cela dans ton comptoir ? . . . Étonné e du
silence et de l’immobilité de la vieille dame , la mar chande r e vint auprès
d’ elle ; et, en la v o yant, elle se sentit saisie d’un mouv ement de comp
assion ou p eut-êtr e aussi de curiosité . oique le teint de cee femme fût
natur ellement livide comme celui d’une p er sonne v oué e à des austérités
se crètes, il était facile de r e connaîtr e qu’une émotion ré cente y rép andait
une pâleur e xtraordinair e . Sa coiffur e était disp osé e de manièr e à cacher
ses che v eux, sans doute blanchis p ar l’âg e ; car la pr opr eté du collet de
sa r ob e annonçait qu’ elle ne p ortait p as de p oudr e . Ce manque d’ or
nement faisait contracter à sa figur e une sorte de sé vérité r eligieuse . Ses
traits étaient grav es et fier s. A utr efois les manièr es et les habitudes des
g ens de qualité étaient si différ entes de celles des g ens app artenant aux
autr es classes, qu’ on de vinait facilement une p er sonne noble . A ussi la
jeune femme était-elle p er suadé e que l’inconnue était une ci-devant , et
qu’ elle avait app artenu à la cour .
― Madame ? . . .. lui dit-elle inv olontair ement et av e c r esp e ct en
oubliant que ce titr e était pr oscrit.
La vieille dame ne rép ondit p as. Elle tenait ses y eux fix és sur le vitrag e
de la b outique , comme si un objet effrayant y eût été dessiné .
― ’as-tu, cito y enne ? demanda le maîtr e du logis qui r ep ar ut
aussitôt.
Le cito y en pâtissier tira la dame de sa rê v erie en lui tendant une p etite
b oite de carton couv erte en p apier bleu.
― Rien, rien, mes amis, rép ondit-elle d’une v oix douce .
Elle le va les y eux sur le pâtissier comme p our lui jeter un r eg ard de
r emer cîment ; mais en lui v o yant un b onnet r oug e sur la tête , elle laissa
é chapp er un cri.
― Ah !. . . v ous m’av ez trahie ? . . .
La jeune femme et son mari rép ondir ent p ar un g este d’hor r eur qui
fit r ougir l’inconnue , soit de les av oir soup çonnés, soit de plaisir .
― Ex cusez-moi, dit-elle alor s av e c une douceur enfantine . Puis, tirant
un louis d’ or de sa p o che , elle le présenta au pâtissier : ― V oici le prix
conv enu, ajouta-t-elle .
Il y a une indig ence que les indig ents sav ent de viner . Le pâtissier et
3Un épiso de sous la ter r e ur Chapitr e
sa femme se r eg ardèr ent et se montrèr ent la vieille femme en se
communiquant une même p ensé e . Ce louis d’ or de vait êtr e le der nier . Les mains
de la dame tr emblaient en offrant cee piè ce , qu’ elle contemplait av e c
douleur et sans avarice ; mais elle semblait connaîtr e toute l’étendue du
sacrifice . Le jeûne et la misèr e étaient gravés sur cee figur e en traits
aussi lisibles que ceux de la p eur et des habitudes ascétiques.