Virgile le magicien et l Énéide des Chartrains - article ; n°26 ; vol.13, pg 39-57
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Description

Médiévales - Année 1994 - Volume 13 - Numéro 26 - Pages 39-57
Virgil the Magician and the Aeneid of the Chartrains - The medieval legend of Virgil, which imagined the poet as a science fiction magician endowed with incredible technical powers, took shape in the second half of the twelfth century. Probably springing from Neapolitan lore, the legend was nevertheless seriously recorded in learned texts written in Latin by clercs of English origin. The elaboration of the legend may well have been due in a large measure to the interpretation of the Aeneid proposed by the masters of the school of Chartres, who likened the poem to a sort of scientific encyclopedia through which the soul traveled, striving to free itself from the prison of the body. At a time when reason was beginning to demarcate itself from faith, Virgil may well have been considered as the paradigm of the homo technicus, possessor of a wisdom giving the power to prevail upon the world.
19 pages
Source : Persée ; Ministère de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, Direction de l’enseignement supérieur, Sous-direction des bibliothèques et de la documentation.

Informations

Publié par
Publié le 01 janvier 1994
Nombre de lectures 74
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Madame Francine Mora
Virgile le magicien et l'Énéide des Chartrains
In: Médiévales, N°26, 1994. pp. 39-57.
Abstract
Virgil the Magician and the Aeneid of the Chartrains - The medieval legend of Virgil, which imagined the poet as a science fiction
magician endowed with incredible technical powers, took shape in the second half of the twelfth century. Probably springing from
Neapolitan lore, the legend was nevertheless seriously recorded in learned texts written in Latin by clercs of English origin. The
elaboration of the legend may well have been due in a large measure to the interpretation of the Aeneid proposed by the masters
of the school of Chartres, who likened the poem to a sort of scientific encyclopedia through which the soul traveled, striving to
free itself from the prison of the body. At a time when reason was beginning to demarcate itself from faith, Virgil may well have
been considered as the paradigm of the homo technicus, possessor of a wisdom giving the power to prevail upon the world.
Citer ce document / Cite this document :
Mora Francine. Virgile le magicien et l'Énéide des Chartrains. In: Médiévales, N°26, 1994. pp. 39-57.
doi : 10.3406/medi.1994.1295
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/medi_0751-2708_1994_num_13_26_1295Médiévales 26, printemps 1994, pp. 39-57
Francine MORA
VIRGILE LE MAGICIEN
ET L'ENÉIDE DES CHARTRAINS
« C'est du ciel qu'est descendu le ypœdi oeavrôv ; c'est-à-dire, le
connais-toi toi-même ». C'est sur ce vers de Juvénal reproduit et glosé
par Macrobe que se clôt le prologue du fameux Commentaire sur les
six premiers livres de l'Enéide attribué à Bernard Silvestre, produit
d'une réflexion platonicienne sur l'épopée virgilienne menée par les
maîtres de l'école de Chartres1. Bernard y voit en effet dans Énée
une figure de l'âme humaine, tombée sur terre dans la prison d'un
corps mais appelée à redécouvrir peu à peu, tout au long d'un par
cours rédempteur, son origine divine, grâce à l'acquisition progress
ive de connaissances exactes dont les gloses de son commentaire don
nent un aperçu.
Ainsi, le livre IV de V Enéide — les amours d'Énée et de Didon —
donne principalement lieu à un assez long développement où est
exposé, sur un mode purement médical et physiologique, le processus
d'apparition de désirs sensuels visiblement considérés comme typiques
des débordements juvéniles : « voici comment les excès de nourriture
et de boisson mènent à la saleté des désir sensuels ; dans la digestion
interviennent quatre sortes d'humeurs : un liquide, une fumée, une
écume, une lie. [...] Lorsque l'excès d'écume est trop grand, ce qui
arrive dans les orgies et les beuveries crapuleuses, il est évacué par
le membre viril, qui est très proche du ventre et en dessous de lui,
1. The commentary on the first six books of the Aeneid of Vergil commonly attr
ibuted to Bernardus Silvestris, éd. J.-W. Jones et E.-F. Jones, University of Nebraska
Press, Lincoln-Londres, 1977, p. 3 : « De celo descendit nothis elitos ; id est, cognosce
te » (cf. Macrobe, Commentum in Somnium Scipionis, I, 9, 2). Pour de rjlus amples
détails sur le milieu chartrain au xne siècle et sa lecture platonicienne de l'Enéide, voir
notre livre L' Enéide médiévale et la naissance du roman, à paraître aux P.U.F. en
1994 dans la collection « Perspectives littéraires ». On pense maintenant que l'auteur
du Commentaire n'est pas Bernard Silvestre, un poète tourangeau ami des Chartrains,
mais Bernard de Chartres en personne, le plus prestigieux des maîtres de Chartres,
qui forma Guillaume de Conches et (indirectement) Jean de Salisbury. Signalons tou
tefois que P. Dronke (Enciclopedia Virgiliana, t. I, Rome, 1984, col. 59-65) s'en tient
pour sa part à l'attribution traditionnelle. FRANCINE MORA 40
sous forme de sperme, c'est-à-dire de semence virile »2. On voit
comment la passion amoureuse pathétiquement mise en scène par Vir
gile n'est plus envisagée ici que sous l'angle d'une phisica qui fait du
corps humain, prison de l'âme incarnée, son principal objet d'étude,
sans doute pour que cette âme, plus consciente du mécanisme des dan
gers qui la guettent, puisse mieux travailler à son affranchissement.
Il est du reste très significatif que, si en cet endroit Bernard utilise
les Saturnales de Macrobe, ce soit le livre VII, consacré à l'exposé
de questions médicales, qui l'intéresse3, et non pas le reste du
recueil, consacré à l'examen ou à l'éloge de Virgile. Il s'écarte ici en
effet de l'exégèse traditionnelle des auteurs, où l'étude des voces
s'entremêle toujours à celle des res, pour se rapprocher plutôt d'une
encyclopédie des sciences comme la Philosophia mundi de Guillaume
de Conches, autre maître chartrain4.
Or ce passage n'a rien d'exceptionnel: les gloses de Bernard
reviennent fréquemment sur des questions intéressant soit les sciences
de la nature — météorologie ou cosmologie — soit la physiologie
humaine. Dans ce dernier domaine, il s'attache en particulier au fonc
tionnement du cerveau5 : sans doute parce que c'est dans cette par
tie du corps (la tête), que sa sphéricité parfaite apparente aux sphè
res célestes6, que se déroulent les opérations les plus propres à déga
ger progressivement l'âme engluée dans la matière. Ainsi, si le gui
auquel Virgile compare le rameau d'or, symbole de la sagesse, est dit
« entourer les troncs » (En., VI, 207 : circumdare truncos), c'est selon
Bernard parce que « la sagesse enclôt les corps qui ont une forme
ronde, c'est-à-dire les têtes humaines, lorsqu'en elles résident les in
struments des cinq sens et des autres vertus de la sagesse, à savoir
l'intelligence [ou l'imagination ?], la raison et la mémoire »7. La
2. Éd. Jones, p. 24, 1. 10-20 : « affluentia humoris ciborum et potuum taliter ad
libidinis immundiciam ducit. In decoctione quattuor sunt : liquor, fumus,
spuma, fex. (...) Cum autem spume nimia est superfluitas, quod contingit in crapulo-
sis comestionibus et ebrietatibus, per virilem virgam quia ventri proxima est et subdita
in sperma, id est semen virile, conversa emittitur ».
3. Voir Saturnales, VII, 5, 14 (chapitre traitant des problèmes de l'alimentation).
4.Guillaume de Conches, Philosophia mundi, IV, 22 (Patrologie Latine,
t. 172, col. 94) ; les Jones (op. cit., n. 1) signalent d'ailleurs la parenté des deux textes.
5. Toujours comme Guillaume de Conches dans la Philosophia mundi (IV, 24 :
« de cerebro » ; Patrologie Latine, t. 172, col. 95ss).
6. D'après le Timée de Platon (45 A : « à l'imitation de la forme de l'univers qui
est ronde, les dieux enchaînèrent les révolutions divines [...] dans un corps sphérique,
que nous appelons maintenant la tête, laquelle est la partie la plus divine de nous et
commande toutes les autres »), relayé par les Saturnales de Macrobe (VII, 9, 17 : « pour
faire un homme qui soit un être vivant, il faut une âme, qui illumine le corps. Elle
l'illumine en demeurant en lui, et cette demeure est dans le cerveau. La nature lui
a donné la forme sphérique ; et comme elle nous vient d'en haut, elle s'est logée dans
la partie du corps humain haute et sphérique »).
7. Éd. Jones, p. 65, 1. 12-15. La traduction d'ingenium fait difficulté. C'est l'ima
gination — la faculté qui permet de percevoir les images en l'absence de la chose dont
elles sont issues — que la tradition médicale place dans la première cellule du cer- VIRGILE LE MAGICIEN 41
triade ainsi constituée (ingenium, ratio, memoria) dessine alors de glose
en glose le cheminement d'un progrès intellectuel à base physiologi
que où l'âme utilise au mieux les facultés du corps pour revenir à
son premier état, Y ingenium découvrant, la ratio (ou discernement)
faisant un tri parmi ces découvertes et la memoria conservant l'acquis :
tels sont les dieux que l'âme-Énée amène avec elle en Italie8. « Les
portes sous la voûte » du palais de Proserpine où Énée doit déposer
en guise d'offrande le rameau d'or deviennent dans la logique de cette
lecture, sous la rotondité de la tête (= la voûte), les cellules du cer
veau « par lesquelles, écrit Bernard, comme nous l'avons dit plus haut,
en exerçant Yingenium, la raison

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