Un crime de braves gens
408 pages
Français
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Description

Eté 1870 : la France est envahie. Sous le coup de ces événements, dans un hameau du Périgord, des paysans en fête s'en prennent à un homme : ils l'accusent à tort d'être un traître, le torturent, le brûlent, dansent autour de son bûcher. Ce livre d'histoire nous montre l'application de la théorie du bouc-émissaire, les aspects sociologiques d'un crime de masse ignominieux, les effets délétères de la rumeur et de la crainte du complot. C'est aussi la description de la Dordogne paysanne, à la chute du Second Empire.

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Date de parution 01 novembre 2012
Nombre de lectures 16
EAN13 9782296508637
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

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Extrait

         
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UN CRIME DE BRAVES GENS HAUTEFAYE — PÉRIGORD 1870
Collectiondiagonale critique dirigée par Henri Vaugrand
Sans exclusive ni centre académique, la collectiondiagonale critique se propose de fendre la verticalité, l’horizontalité et l’homogénéité des édifices théoriques et des théories édifiées.
Dans une dynamique pluridisciplinaire et sans paradigme d’interro-gation des phénomènes anthropo-sociaux, elle compte notamment travailler les potentialités de l’oblique, de la diagonale et de la néga-tivité présentes dans les postures critiques des penseurs de l’école de Francfort.
En s’opposant à la théorie traditionnelle comme catégorie idéo-logique réifiée, la collectiondiagonale critiqueentend promouvoir des travaux où l’attitude critique tend à dépasser la tension, ou l’harmonie trop parfaite, entre ceux qui produisent la théorie et ceux à qui elle est destinée.
Dernières parutions
Henri VAUGRAND (textes rassemblés par),Multiculturalisme, métissage et démocratie, 2012. Audric VITIELLO,Institution et Liberté. L’école et la question du politique, 2010.
Georges MARBECK
UN CRIME DE BRAVES GENS HAUTEFAYE — PÉRIGORD 1870
Georges MARBECK, écrivain et essayiste, a participé à la revue Recherchesavec Gilles Deleuze, Félix Guattari, Michel Foucault… Vivant entre Nontron, en Périgord, et Paris, il est également co-fondateur avec Isabelle Sorente et Frédéric Joignot de la revue Ravages(8 numéros à ce jour).
Du même auteur :
La Citadelle assiégée(co-scénariste), film documentaire réalisé avec Philippe Calderon, Paris, produit par Benoit Tschieret, François Calderon et Thierry Commissionat, 2006. Parfum des îles, film documentaire réalisé en Nouvelle-Calédonie avec Nicolas Jouvin, Paris, Les Films du Rêve — IRD audiovisuel, 2005. Orgies, Paris-New York, Ipso Facto, 1999. L’Orgie, voie du sacré, fait du prince, instinct de fête, Paris, Robert Laffont, 1993. Cent documents autour du drame de Hautefaye, Périgueux, Pierre Fanlac, 1983. Hautefaye. L’année terrible, Paris, Robert Laffont, 1982.
© L’HARMATTAN, 2012. 5-7, rue de l’école-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-296-99378-5 EAN :9782296993785
Avant-propos
Georges Marbeck
Comment des gens « ordinaires », cultivateurs, marchands, artisans… ayant famille, métier, vie sociale, peuvent-ils tout à coup devenir des monstres de cruauté, infligeant d’atroces tortures à un homme accusé totalement à tort d’être un ennemi public, traître à la nation, allant jusqu’à le brûler vif sur un bûcher dans un accès d’effroyable euphorie collective, au cri de « Vive l’Empereur ! Vive la France ! » ? Comment un tel basculement des repères coutumiers a-t-il pu se produire jusqu’à l’horreur ? C’est porté par cette interrogation que j’ai mené mes recherches sur les causes proches et lointaines de ce drame survenu à Hautefaye, modeste village du Périgord, le 16 août 1870, lors de la foire annuelle, à quelques jours de la désastreuse défaite de Sedan et de la chute du Second Empire. Un drame qui aurait pu se produire ailleurs, car il s’agit là d’un phéno-mène de violence collective que l’on pourrait qualifier de rituel barbare, et dont on retrouve quantité d’exemples dans l’histoire universelle des peuples. Quand tout va mal à un moment de la vie d’une communauté, il faut à tout prix désigner et sacrifier un responsable de cet état de fait, quitte à le fantasmer de toutes pièces à coups de fausses rumeurs et d’affabulations haineuses. Ainsi va la mort dubouc émissaire, censée délivrer le corps social des malheurs qui l’oppressent. Au-delà de mon exploration approfondie des circonstances historiques, nationales, locales, ce qui m’a frappé c’est de voir à quel point l’irruption e de cet épisode tragique dans les tréfonds de la France rurale du XIX siècle, qualifié de « luxure du sang » par un magistrat de l’époque, était de bout en bout la reproduction de cette forme de délire mortifère venue du fond des âges qui génère supplices et martyre d’une victime totalement étrangère aux accusations qu’on lui porte. Cet acte criminel commis par des « braves gens » a frappé de stupeur la population environnante, défrayé la chronique des journaux locaux et nationaux. Il a même été évoqué au Corps législatif, l’Assemblée nationale de l’époque, dans l’atmosphère fiévreuse des désastres de la guerre et de la chute annoncée du régime impérial. Dès le lendemain du drame, une vigoureuse action de justice est engagée. Une cinquantaine d’hommes de tous les âges sont arrêtés. Vingt et un seront jugés en cour
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d’assises. Quatre sont condamnés à mort et guillotinés sur la petite place d’Hautefaye, lieu du crime. Neuf sont condamnés aux travaux forcés, dont un à perpétuité au bagne en Nouvelle-Calédonie. Six iront en prison et un mineur en maison de correction. Un seul, « ayant agi sans discerne-ment », sera acquitté. Un verdict au total très lourd qui pèsera longtemps sur la mémoire collective de la région, d’autant qu’il a été question, à l’époque, de supprimer purement et simplement la commune d’Hautefaye. En ce 16 août 2012, cent quarante-deux ans jour pour jour après le drame, c’est aux habitants, anciens et actuels, de cette commune que vont mes plus vives pensées. À commencer par les témoins de cette journée de la honte qui se sont mobilisés en nombre, à leurs risques et périls, pour tenter d’arracher des mains des tortionnaires leur victime, un voisin sans reproche, estimé et estimable. Puis, je pense aux générations suivantes, qui ont dû supporter la stig-matisation de leur village suite au crime et au châtiment sur place, alors que plus des quatre cinquièmes des condamnés venaient d’ailleurs. Enfin, je me mets à la place des habitants d’aujourd’hui, qui en ont souvent assez de voir leur lieu de vie systématiquement associé à cette histoire ancienne, au point d’être qualifié de « village des cannibales », ou de servir de théâtre d’ombres à un roman bourré de contre-vérités. Alors, de grâce, cessons de tourmenter les personnes vivant à Hautefaye avec le souvenir de cette affaire que l’on pourrait qualifier d’accident de l’histoire et qui aurait pu se produire dans de tout autre lieu. C’est le vœu le plus cher que je formule au seuil de cette nouvelle parution de mon ouvrage.
Georges Marbeck Nontron, 16 août 2012
Hautefaye, 31 octobre 1869
Tout d’un coup le vent s’est levé. Le vilain vent qui plume les arbres, glace les joues, apporte le grésil et fait venir aux oreilles le tintement lointain des cloches de Varaignes. Anna pousse sa brouette chargée de topinambours sur le chemin qui monte de Ferdinas à travers les jachères, les taillis de chênes, les friches mangées de genévriers. Jolie comme un bou-quet, la petite Mondout va sur ses dix-huit ans. Bon mollet, bonne nature, poussée dru, elle marche d’un pas allègre, la pointe de son fichu d’indienne entre les dents. Ses sabots ferrés sonnent sur les cailloux. Bruit régulier, cadencé, qu’accompagnent le grincement continu de la roue et le vacarme des chiens. Le jour baisse. C’est l’heure où l’on rentre les bêtes. De loin en loin, les abois se répondent dans la campagne, ici rogues, bourrus de mâtins, là aigres et frénétiques de roquets. Certains à peine audibles, couverts par le bruissement du vent dans les feuillages roussis, semblent venir du fond des bois. Y aurait-il quelque loup dans les fourrés de Beaussac ? Va-t-on cet hiver encore « les » entendre à la nuit tombée s’approcher des villages, rôder dans lescouderts, gratter à la porte des étables, hurler sous la lune ? Les froids sont arrivés de bonne heure, cette année. Ils ont surpris le monde en plein travail dans les champs. Il a gelé pour la Saint-Michel, et l’autre matin on a cassé la glace dans les mares pour donner à boire aux vaches. Du jour au lendemain il a fallu arrêter les labours et se dépêcher de rentrer les dernières récoltes. Tout le monde s’y est mis : lesdrôles, les vieux et même les invalides. On a fait ce qu’on a pu mais il y a eu du dégât, beaucoup de dégât. La moitié des châtaignes a gelé, et ce qui reste est gros comme rien ou cussoné. Déjà que la sécheresse de cet été avait tout brûlé : les prés, les blés, les maïs, les haricots, les noix, les raves… C’est à pleurer ! Dire qu’on entend quelquefois des gens d’Angoulême ou de Paris, des marchands, des voyageurs qui vous disent que la vie à la terre est douce et tranquille, qu’il n’y a qu’à se baisser pour récolter et un tas de foutaises de ce genre ! Le vent à assommer les chèvres s’engouffre par rafales dans les jarisses, secoue les taillis, soulève des tourbillons de feuilles sèches. Les branches craquent. Anna presse le pas. Aiguë, sifflante, une voix lui arrive aux oreilles.
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— Meifio-té, pito ! Meifio-té ! (Méfie-toi, petite !) C’est Marcelline, la goitreuse de Fayemarteau qui ramasse du fagot. Couverte de noir, cassée en deux, loqueteuse, la pauvre femme perd la tête, déparle du matin au soir, débite en patois à tous les gens qu’elle croise des histoires à n’y rien comprendre et leur annonce des malheurs, qui quelquefois arrivent. Pour sûr qu’elle a mauvais œil, la vieille. Il y en a même qui disent qu’elle aurait « biqué » avec le diable. Mais les gens racontent tellement de choses qui leur viennent en dormant, qu’ils finis-sent par y croire pour de bon ! Ils ont baptisé Marcelline La Lébéroune, variété femelle des lébérous, ces monstres mi-loups, mi-chrétiens condamnés par quelque maléfice, à errer, la nuit, dans les campagnes, le corps enveloppé d’une fourrure, qui se jettent sur le dos des promeneurs attardés, se font porter à travers bois jusqu’à la pointe du jour, mangent les chiens, couvrent les filles et reprennent, au petit matin, la figure tranquille d’un voisin, d’un parent, de quelqu’un que l’on peut très bien fréquenter, et que parfois, l’on soupçonne, sans en avoir jamais la preuve, d’être lébérou, comme le vieux Roussille, de Rapevache, qu’on a trouvé mort au fond de son puits, une patte de chien dans la bouche. Élevée dans l’épicerie-auberge de son oncle dit Le Bon Dieu, Anna n’est pas fille à croire à tous ces racontars que le monde colporte autant par méchanceté que pour empêcher les drôles d’aller traîner loin des maisons à la nuit tombante. N’empêche qu’elle aurait mieux aimé ne pas entendre La Lébéroune lui siffler aux oreilles, une veille du jour des Morts. Passé le petit bois, le chemin s’incline en pente douce le long du pré de chez Delage jusqu’au bas de la montée d’Hautefaye qui ferme l’horizon du côté du couchant. La petite Mondout active encore le pas, se laisse entraîner par sa brouette. Le soleil, descendu presque à ras de terre, lui brasille dans les yeux. Un soleil rouge, bordé de longues traînées de nuages qui diffusent la clarté du soir sur toute la largeur du ciel. Encore du mauvais temps demain ! Une colonie d’étourneaux tournaille en vol serré au-dessus des labours, s’étire, roule, se resserre, vrille, s’émiette dans le vent fou… Là-bas, sur la route de Mainzac, un cabriolet attelé à un cheval blanc monte au petit trot vers le bourg avec des tintements de grelots. C’est souvent qu’Anna le voit quand elle mène pâturer ses brebis, le fils aîné de « chez ces messieurs de Monéys », toujours occupé avec quelque métayer à soigner ses récoltes, à faire défricher ses landes, à essayer de nouvelles cultures, à éclaircir ses garennes, à replanter ses taillis. Ce n’est pas de lui qu’on pourrait dire qu’il se moque de la terre ni de ceux qui la travaillent. Ce n’est pas de lui non plus, qu’Anna Mondout pourrait avoir à craindre le mauvais œil une veille de jour des Morts. Chez elle, tout le monde l’aime bien « Monsieur Alain ». Et pour cause : il a prêté de l’argent sans intérêt à son oncle, le jour où il a voulu agrandir l’épicerie, il a fait obtenir un secours à sa mère, veuve depuis treize ans. Il a même offert une plaque à la mémoire de son père à mettre sur sa
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tombe, au nouveau cimetière. Quand il vient manger la soupe à l’auberge, Monsieur Alain s’assoit sans façon à la table commune, boit lechabrol, sort son couteau, taille le lard à son tour, demande des nouvelles de tout le monde, s’inquiète de la besogne de chacun. On le sent chez lui dans la maison du Bon Dieu et on prend toujours plaisir à l’écouter parce que ce n’est pas souvent qu’on rencontre un monsieur qui « parle si bien et se croit si peu ». On espère beaucoup, dans le pays, du grand projet qu’il a mis sur pied pour assécher les marécages, drainer les pâtures, rendre labourables lesmouffières. Mais il parait que l’Empereur se fait tirer l’oreille pour envoyer les sous, ce qui ne manque pas de faire grimacer Le Bon Dieu qui trouve que Napoléon ferait mieux d’utiliser son argent à enrichir nos pauvres campagnes plutôt que de gaspiller des millions pour envoyer nos jeunes soldats se faire égorger en Chine ou au Mexique. Fondu dans la verdure roussâtre, à peine plus élevé que les buissons, le bourg d’Hautefaye se profile à contre-jour dans la lumière du soir. À gauche, un peu isolée : la Maison d’école, tenue par M. Lachaud, un petit homme maigre qui dit qu’il ne sera vraiment fier de son pays que le jour où chaque citoyen saura lire et écrire. Ce qui lui a valu de s’entendre répondre par M. le curé qui aime bien le chatouiller, qu’il lui faudra vivre encore cent ans s’il veut mourir fier. Un peu à droite de l’école : l’église, toute petite, à la mesure de la popu-lation de la commune et du zèle des paroissiens mâles qui, le dimanche matin, préfèrent aller boire le coup, battre la carte, blagasser ou sim-plement rester chez eux à curer les étables, plutôt que d’aller se faire asperger d’eau bénite avec les femmes et les filles. Chacun ses affaires ! Et la religion ce n’est pas plus l’affaire des hommes que de cuire la soupe ou ravauder les fonds de culottes. Notre-Dame d’Hautefaye fut pourtant jadis un haut lieu de ferveur populaire où l’on venait en pèlerinage tous les ans au mois d’août et qui servait d’étape aux piétons de la foi en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle. Mais avec les siècles, ce beau rayon-nement de la Vierge des hautes futaies est allé mourant. Depuis le temps que le pauvre monde demande au ciel de faire des miracles et qu’il ne voit rien venir, les gens ont fini par se dire qu’il valait mieux se débrouiller sans Dieu. Encore que pour les baptêmes, les mariages, les enterrements, ceux qui montrent les cornes à la Sainte Vierge et les dents au curé, trouvent tout naturel, indispensable même, d’aller faire un petit tour à l’église. Et il n’est pas rare de voir tel vieux réfractaire qui a bouffé du tri-corne toute sa vie, demander dans son dernier soupir qu’on aille chercher « l’homme en robe » pour lui fermer les yeux. Un peu en contrebas de l’église : le presbytère, haute bâtisse, robuste, bien assise sur le roc, où habite l’abbé Saint-Pasteur, curé d’Hautefaye depuis trois ans, un grand gaillard des Pyrénées dans la force de l’âge, sanguin, coléreux, qui taloche volontiers, quelquefois brutalement, les petits mécréants qui gloussent au catéchisme, sortent des lézards de leurs
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