Violences conjugales
172 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

172 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Description

Une femme raconte ce que d'autres femmes vivent au quotidien. Ce récit très vivant décrit ce que sont les violences conjugales au travers de la vie d'une association d'aide aux femmes et de quelques récits de vies de femmes d'origines diverses. En commentaires à ces récits, ce texte aborde des questions essentielles : Pourquoi restent-elles ? Pourquoi ne portent-elles pas plainte ? Que se passe-t-il lorsqu'on porte plainte ? Et eux, qui sont-ils ?

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 mai 2005
Nombre de lectures 119
EAN13 9782336256757
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2005
9782747583749
EAN : 9782747583749
Sommaire
Page de Copyright Page de titre Dedicace Dites à Sophie... 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 BIBLIOGRAPHIE INFORMATIONS ET CONSEILS PRATIQUES
Violences conjugales

Micheline Ferret
à Marie Trintignant,
à Elisabeth Badinter,

et à Marie, Hawa, Marie-Hélène, Viviane, Sonia, Soumia, Véronique, Audrey, Esther , Cécile, Blandine, Sonia, Fatima, Fatoumata, Marie, Christelle, Chantal, Soumia, Fatima, Koumba, Angèle, Marie, Murielle, Joséphine, Mariam, Mariama, Myriam, Shérazade, Monique, Yasmina, Zohra, Fatiha, Judith, Agnès, Rama, Adélaïde, Sonia, Fatoumata, Awa, Rachel, Aminata, Naïma, Bintou, Binta, Aurélie, Sophie, Nadia, Zohra, Caroline, Aoua, Valérie, Valentine, Marguerite, Véra, Isabelle, Izabella, Nathalie, Feriza, Aminata, Soumia, Ouassila, Nelly, Rada, Radini, Sakala, Sophie, Claire, Nicole, Elisabeth, Mina, Soraya, Fatima, Myriam, Mariam, Déborah, Julie, Judith, Florence, Marie-Claire, Muriel, Hélène, Lydie, Mireille, Béatrice, Farida, Sylvie, Catherine, Régine, Emma, Malika, Peggy, Claudine, Yvette, Annie, Aïcha, Marie-France, Ute, Juliette, Marina, Kadiatou, Marie-Laure, Corinne, Jalila, Ingrid, Maria, Rachida, Nora, Aissata, Josette, Fabienne...
Dites à Sophie...
Parfois, j’ai la sensation de connaître l’envers du monde, les coulisses, le côté obscur. Ce qu’on ne voit pas. Ce qu’on ne veut pas voir. Impression qu’ont, sans doute aussi, ceux qui travaillent dans les hôpitaux, les prisons, le quart-monde, le monde des prostituées...

L’envers...

De notre pays des droits de l’homme, de notre pays qui a des lois, des tribunaux, qui prônent l’égalité entre tous, qui punissent le racisme, qui interdisent et punissent les coups et blessures, qui reconnaissent le viol comme un crime...
Cet envers, ces coulisses que l’on ne voit pas, que l’on ne veut pas voir. Lorsque je parle de mon travail auprès de femmes qui vivent dans la violence de leur compagnon, je sens une résistance, comme l’envie de ne pas savoir, non, ne nous dis pas, parlons d’autre chose, non je ne veux pas savoir. Pourquoi est-ce si difficile d’entendre que des maris tuent leurs femmes, en France, en 2005 ?

Est-ce plus facile de s’émouvoir pour les femmes afghanes qui portent la burka que pour celles, par milliers, qui subissent des insultes, des coups, des viols, au quotidien, chez elles, à la maison ?

Venez, allons dans les coulisses, dans l’impensable, dans l’indicible de la vie privée d’une femme sur dix.
1
Un matin, dans mon souvenir, c’était un matin d’hiver, un matin, j’ai ouvert la porte à une grande jeune femme, vêtue d’un somptueux boubou de tissu jaune et la tête enveloppée avec panache d’un morceau du même tissu. Rokia portait sur elle, visible, son origine, l’Afrique de l’Ouest. Si elle n’avait pas été si effarouchée, elle aurait été magnifique. Grande et fine, elle avait la majesté peule 1 . Aussitôt entrée, elle a voulu repartir. Tout de suite, vite, sans rien dire « je ne peux pas rester, j’ai laissé ma fille », sans être entrée, elle est ressortie, comme si elle avait fait une bêtise.

Puis un autre matin, elle est revenue, avec une toute petite fillette de deux ans, qu’elle tenait par la main, une fillette aussi petite que sa mère est grande, une fillette avec un visage d’enfant dont j’ai encore le souvenir, un visage d’enfant grave, sombre, sombre d’humeur ou sombre de peau, je ne sais pas. Dans la façon dont ces deux-là se tiennent par la main, on sent...comment dire... tendresse et détresse, intimement mêlées.

Ce matin-là, Rokia a le temps de rester un peu plus longtemps. « Est-ce que vous pouvez m ’ aider ? Je voudrais quitter mon mari, je ne l’aime pas. »
Touchant aveu, fait d’une toute petite voix enfantine. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai compris ce qu’elle voulait dire par « je ne l’aime pas », j’ai cru que Rokia se plaignait de n’avoir pas épousé son mari par amour, « je ne l’aime pas » et que c’était pour cette raison qu’elle voulait le quitter. En fait, elle voulait dire : « Il me fait vivre l’enfer, je n’aime pas ce qu’il me fait vivre, c’est un mauvais homme, je ne l’aime pas. »
Bien, Rokia, vous voulez quitter votre mari. Mais vous n’avez pas de titre de séjour. Et sans titre de séjour, sans grand espoir d’en avoir un, rester en France ? Retourner en Afrique ? Avec votre fille ?
Comment lui dire, comme je l’ai déjà dit à tant d’autres que quitter son mari, c’est le début d’une aventure dans la précarité qui peut durer encore des années : elle n’a pas de titre de séjour, elle n’aura pas le droit d’en demander un avant dix ans de présence en France... Avec son mari elle survit sans titre de séjour, il achète à peu près à manger... Sans lui ? Débrouille, travail au noir, foyers d’urgence, c’est ça qui l’attend. Comment lui dire et comment ne pas lui dire ? Comment ne comprendrait-elle pas qu’il faut qu’elle continue à être humiliée, insultée, violée ?
Longtemps après je me souviens de ce jour-là. Cette grande gosse de Rokia a eu une façon de me bouleverser qui reste en moi. Je n’avais jamais avant ressenti à quel point on pouvait faire souffrir une gamine. C’est son silence qui m’a frappée, sa façon très enfantine de ne pas pouvoir parler vraiment, elle me laissait deviner ce qu’elle voulait dire, elle attendait que je lui dise ce que j’avais deviné et elle rectifiait ensuite, toujours en très peu de mots.
D’une voix fluette, qui contraste avec sa grande taille, elle dit simplement qu’elle n’aime pas son mari, et qu’elle veut le quitter. Je suppose qu’elle n’a pas choisi son mari. Pudiquement, elle répond « oui » et elle continue. Elle parle en silence. Ce premier matin, elle voulait seulement savoir si on pouvait l’aider. Elle repart, en tenant légèrement la main de sa toute petite fillette si grave.
2
En briques, c’est une maison en briques, rouges. C’est une maison rouge, dans une rue de maisons, calme, mitoyenne avec une autre la même, en briques rouges, avec une fenêtre au rez-de-chaussée qui avance, et un balcon au-dessus. Et un petit morceau de jardin devant, avec un rosier et des fleurs plantées là.
A l’intérieur, une grande pièce avec une cheminée, deux canapés bleus où on tient à trois, avec des coussins bordeaux, et aussi des fauteuils en paille et des coussins, bordeaux aussi. Et une très grande table. Et un espace pour les enfants, fauteuils, coussins, bacs à jouets.
Le sous-sol est équipé : machine à laver, sèche-linge, douche, placards regorgeant de vêtements, étagères trop pleines de paquets de pâtes, de riz, de boîtes de conserve, de petits pots de bébé, de culottes et soutiens-gorge, de paquets de couches pour tous les âges et sexes de bébés, de shampooings et gels douches tous parfums. Une impression de richesse, de générosité flotte dans l’air de ce sous-sol.

A l’étage, deux bureaux aux murs jaunes, des grandes tables et des ordinateurs, des affiches au mur et un petit salon au soleil avec deux canapés orange et un coin pour les jouets.
Et des affiches au mur, qui plantent le décor. Halte à la fessée, non à l’excision, brisez le silence, femmes viol information.
Des femmes travaillent dans ce pavillon, pour des femmes. Fatiha, Armelle, Judith et moi. Ici on parle de souffrance. Et d’amour aussi. D’amour et de souffrance mêlés. De souffrance causée par des hommes à des femmes, par leurs hommes aux femmes. Ici on écoute des confidences, des choses parfois jamais dites ailleurs, jamais dites auparavant, on reçoit des pleurs, rarement des plaintes. Les femmes parlent mais ne se plaignent pas. Elles parlent ou se taisent, elles parlent de vie et de mort, de souffrance, d’amour.

« J’ai senti qu’il pouvait me tuer. »
« Cette nuit-là, pour la première fois, j’ai vu le visage de la mort . »

« On aurait dit qu’il allait me tuer, tellement il me serrait fort. »

Elle mime les mains autour de son cou,
les mains de son mari,
les mains de son mari qui l’étrangle.

« C’est ça qui est trop, ça ne peut pas continuer. Les enfants dormaient, mais je crois que l’aînée a tout entendu. Je ne peux pas continuer à faire vivre cela à mes enfants. »

Cette femm

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents