Lettre d'un député inquiet à un premier ministre qui devrait l'être , livre ebook

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Monsieur Legault, au printemps 2019, vous avez prévenu les journalistes : il ne faut pas s’attendre à ce que vous vous transformiez en « bonhomme vert » ! Je présume que c’était votre manière – on reconnaît la légèreté comique avec laquelle vous traitez de ces questions – de nous avertir que votre conversion à l’écologisme resterait sagement à l’intérieur des limites de votre conservatisme économique. Je trouve cette attitude franchement naïve.
Vous espérez une lutte aux changements climatiques qui ne change rien à la société. Vous tenez le pari, sans cesse contrarié par les faits, qu’il serait possible de mener ce combat sans bousculer vos certitudes. Ce coup de dés vous permet d’affirmer que le projet GNL Québec ou le troisième lien ne sont pas incompatibles avec vos nouvelles convictions écologistes. Vous appelez cela être pragmatique.
Tout en vous concourt ainsi à vous rendre aveugle à la possibilité, plus que réelle, que de succès économique en succès économique, nous puissions aller au-devant d’un désastre. Sachez, monsieur Legault, que la mécanique d’une catastrophe peut être très efficace, et que l’accomplissement d’une folie requiert du fou beaucoup de pragmatisme.
J’aurai environ votre âge, en 2050, lorsque l’humanité saura si elle a échappé à la catastrophe. J’aimerais pouvoir regarder les jeunes dans les yeux et voir dans leur regard que les gestes que nous avons posés, vous et moi, ne nous ont pas déshonorés.
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Publié par

Date de parution

07 novembre 2019

Nombre de lectures

2

EAN13

9782895967750

Langue

Français

© Lux Éditeur, 2019
www.luxediteur.com
Dépôt légal: 4 e  trimestre 2019
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (papier): 978-2-89596-309-7
ISBN (epub): 978-2-89596-775-0
ISBN (pdf): 978-2-89596-964-8
Ouvrage publié avec le concours du Conseil des arts du Canada, du Programme de crédit d’impôt du gouvernement du Québec et de la SODEC. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition.

I NTRODUCTION
Monsieur le premier ministre,
Vous souvenez-vous de notre première rencontre? C’était en septembre 2014 sur un plateau de télévision où nous parlions d’un sujet qui nous passionne: l’éducation. La discussion, animée par Marie-France Bazzo, avait pour point de départ un ouvrage sur la gratuité scolaire que je venais de publier. J’y défendais non seulement l’idée que l’éducation devait être gratuite, mais aussi celle qu’elle devait être libre et désintéressée. L’animatrice avait posé la question sans détour: «Le système d’éducation doit-il former des travailleurs sur mesure?» Il était prévu que j’en débatte avec Youri Chassin, un jeune chercheur de l’Institut économique de Montréal (IEDM) connu pour ses positions de droite assez radicales, voire libertariennes.
Je m’en souviens très bien. Vous vous teniez en retrait. Après tout, ce n’était pas votre segment. Youri Chassin parlait de la nécessité de lier toujours davantage éducation supérieure et entreprises privées. Il tentait bien sûr d’atténuer son discours en précisant que les gens ne vont pas seulement à l’université pour «obtenir un emploi bien rémunéré», mais aussi «parce qu’il y a une formation, une acquisition de connaissances... à la limite pour rencontrer des gens et discuter». Ces nuances étaient bien peu convaincantes et on comprenait que pour lui, la science ne saurait avoir plus haute destination que d’être la servante docile des forces productives. Dans le monde des libertariens, rien n’est plus significatif que concourir à l’accroissement du capital, le dieu unique de ceux qui ne croient à rien (surtout pas à l’existence du bien commun, comme Youri l’a lui-même reconnu).
Quant à moi, j’étais de loin le plus jeune sur ce plateau, mais je parlais de vieilles idées, à mon avis indémodables: la valeur inestimable de la liberté académique et l’avancement du savoir comme d’une fin en soi. Plus la discussion progressait, plus je vous sentais dérangé par mes arguments, et Marie-France Bazzo, animatrice aguerrie, n’a pas manqué de le percevoir.
À mi-chemin du segment, elle vous a donc tendu une perche: «François Legault, ancien ministre de l’Éducation?» Vous l’avez immédiatement saisie et vous vous êtes lancé dans la mêlée, non sans verve. Vous avez alors vanté les pays qui arriment efficacement recherche universitaire et innovation technologique. Vous avez dénoncé la faible quantité de brevets enregistrés au Québec, plaidé en faveur d’une étroite collaboration entre les universités publiques et les entreprises privées, surtout dans le domaine des sciences de la vie et du génie – sans doute parce que la création littéraire n’émeut pas beaucoup les investisseurs étrangers. Je vous ai répondu, sans surprise, que le rôle de l’université publique n’est pas de servir de département de recherche et développement pour le privé. Cela vous a déplu et, me coupant la parole, vous vous êtes exclamé: «Mais tous les autres pays le font!» Ce à quoi j’ai rétorqué: «Ça ne veut pas dire que c’est une bonne idée»... et ce qui était un débat à deux s’est transformé en un feu croisé. La discipline du début s’est dissipée, nous parlions maintenant les uns par-dessus les autres, et Marie-France Bazzo avait du mal à organiser la discussion. Le temps filait et l’animatrice a tenté de clore le tout sur une note consensuelle: «Bon... on ne peut pas être contre la vertu.» «Encore faut-il définir ce qu’est la vertu!» me suis-je exclamé, sourire en coin. Le débat s’est donc terminé comme il avait commencé. Nous n’étions vraiment, mais alors vraiment pas d’accord.
Cinq ans ont passé depuis ce premier débat. Avec le recul, cet échange avait quelque chose de prémonitoire. Vous étiez chef de la deuxième opposition, vous êtes maintenant premier ministre. J’étais un militant-essayiste, je suis maintenant leader parlementaire de la deuxième opposition. Youri Chassin était chercheur-militant, il est aujourd’hui assis à vos côtés au Salon bleu, à titre d’adjoint parlementaire pour l’enseignement supérieur. L’eau a coulé sous les ponts, certes, mais la rivière est la même. Rien n’a changé sur le fond des choses, même si le décor et les responsabilités ne sont plus les mêmes. Il y a cinq ans, nous nous opposions sur un plateau de télévision. Aujourd’hui, nous nous opposons à l’Assemblée nationale.
Cette première prise de bec a donné le ton à nos échanges. Nous appartenons à des familles politiques que tout, ou presque, oppose. Vous êtes économiquement à droite, je suis économiquement à gauche. Vous êtes fédéraliste, je suis indépendantiste. Vous êtes partisan d’un nationalisme conservateur, je m’identifie à une tradition nationaliste inclusive et interculturaliste. Nous sommes de deux générations différentes. Vous entrevoyez l’avenir comme un prolongement tranquille du passé, à la rigueur vous espérez l’éternel retour du même, mais en mieux; j’ai pour ma part l’intime conviction qu’une telle attitude nous prépare des lendemains douloureux.
Malgré cela, contre toute attente, j’ai une assez bonne opinion de vous. Certes, je ne peux prétendre vous connaître personnellement. En vérité, je ne crois pas que nous nous soyons vus entre cet échange de 2014 et mon entrée à l’Assemblée nationale en 2017. Depuis que j’y siège, nous ne nous sommes croisés qu’à quelques reprises. Pourtant, chacune de ces rencontres m’a laissé la même impression: je vous trouve affable et franchement drôle. Vous avez un côté terre-à-terre et «droit au but» qui ne me déplaît pas du tout. Pour tout dire, je vous trouve sympathique. En privé, tout naturellement, on se tutoie et on s’appelle par nos prénoms, et rien ne vous agacerait plus que je vous serve, au quotidien, du «monsieur le premier ministre».
Dans les pages qui vont suivre, par contre, je ne me permettrai pas de vous appeler «François». N’en prenez pas ombrage, mais je vous désignerai par votre fonction, car cette lettre se destine au personnage public que vous êtes désormais: le premier ministre du Québec. Dans notre régime politique, ce n’est pas un titre à prendre à la légère. La majorité de nos concitoyens peinent à réaliser à quel point cette fonction vous confère du pouvoir. Vous êtes le chef du gouvernement, le chef de l’administration de l’État québécois et votre majorité de députés vous permet, dans les faits, de diriger l’Assemblée nationale à votre guise: vous la convoquez, la dissolvez; vous décidez quels projets de loi y sont débattus ou ignorés, battus ou adoptés; vous nommez les ministres, qui doivent vous obéir au risque de perdre leur poste; vous nommez des centaines de dirigeants et gestionnaires dans les sociétés d’État et organismes publics, d’Hydro-Québec à la Société des alcools du Québec (SAQ), en passant par la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ).
Bien sûr, de puissantes contraintes pèsent sur le pouvoir de l’exécutif, des contre-pouvoirs en freinent l’action. Vous n’êtes pas tout-puissant. Les oppositions peuvent ralentir la progression de vos projets de loi à l’Assemblée nationale. Les cours de justice peuvent suspendre l’application de certaines de vos décisions. Le tribunal de l’opinion publique peut réduire à néant certains de vos projets, et les mouvements sociaux ou les milieux d’affaires peuvent vous embêter considérablement. Les soubresauts de l’économie peuvent aussi vider le trésor public. Tout cela est vrai, et chaque gouvernement est appelé, à un moment ou à un autre, à tenir compte de ces contrepoids plus ou moins officiels. Il n’est cependant pas inutile de rappeler le pouvoir considérable que vous détenez. Pour le meilleur et pour le pire, notre régime politique a cette caractéristique: il concentre une énorme capacité d’action entre les mains d’un seul individu. Or, toute puissance engage une responsabilité de même amplitude.
Cette lettre, monsieur le premier ministre, je vous l’écris dans l’espoir d’aiguiller votre sens des responsabilités vers un objet précis: la lutte aux changements climatiques.
Monsieur Legault, vous occupez la fonction de premier ministre à un moment crucial de l’histoire du Québec et, pour tout dire, de l’histoire tout court. Ce n’est pas une opinion que j’énonce, c’est un fait connu. Il y a quelques mois, le secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies (ONU) mettait son poing sur la table: «Si nous ne changeons pas de trajectoire d’ici 2020, nous risquons de rater le moment où nous pouvons encore éviter un changement climatique incontrôlable, avec des conséquences désastreuses pour les individus et tous les systèmes naturels qui nous soutiennent.» Si nous sommes si près du précipice, précisait-il, c’est parce que trois ans après sa signature, l’accord de Paris est menacé par la «paralysie» et le «manque d’ambition» des gouvernements. Il appelle donc ouvertement la société civile et les mouvements sociaux à leur forcer la main.
Ce genre de cri d’alarme n’a malheureusement plus rien d’exceptionnel. Au moment d’écrire ces lignes vient d’être publié un rapport historique du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, dans lequel 450 savants arrivent après trois ans de recherches à un même constat: une espèce sur huit, végétale et animale, pourrait disparaître à brève échéance. Ce chiffre-choc peut être décliné en plusieurs statistiques vertigineuses, qui démontrent l’étendue de la dévastation provoquée par l’activité humaine: 75 % du milieu terrestre et 66 % du milieu marin sont dorénavant «sévèrement altérés

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