La Cité des Asphodèles
195 pages
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Description

"Cinq décennies emplies de manifestations de joies et de peines, d’épreuves couronnées d’échecs ou de réussites, se sont écoulées depuis ce jour du 28 novembre de la neuvième année de la vie de Fabien, en 1958. Ces cinquante années furent, incontestablement, tout cela, mais elles n’ont existé que sous la chape d’un lourd fardeau pesant du poids écrasant de la culpabilité, longtemps masqué par le remords, toujours présent, mais toujours, obscurément, enfoui dans les profondeurs ténébreuses et longtemps inexplorées de sa conscience d’être humain." Jean-Jacques Fifre livre, sous les traits de Fabien, une autobiographie fouillée, extrêmement précise dans ses souvenirs, qu’ils soient émotionnels ou photographiques. L’ombre de la névrose accompagne le héros à chacun de ses pas, pour ne finalement le quitter que dans le dernier chapitre et ainsi conclure une quête d’identité qui aura mis un demi-siècle à s’accomplir. Un livre admirablement écrit dont le récit traverse avec réalisme et philosophie les Trente Glorieuses, leurs accomplissements comme leurs fractures, pour proposer au lecteur une réflexion sur le sens que chacun donne à sa vie.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 novembre 2011
Nombre de lectures 0
EAN13 9782748371604
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0090€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

La Cité des Asphodèles
Jean-Jacques Fifre
Société des écrivains

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Société des écrivains
14, rue des Volontaires
75015 PARIS – France
Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
La Cité des Asphodèles
 
 
 
 
Prologue
 
 
 
Qu’on le déplore, qu’on s’en réjouisse, ou bien qu’on s’en moque, il faut accepter le fait qu’à l’heure de notre naissance comme à la seconde qui précède notre mort, on est seul. On est également toujours seul lorsqu’on prend les décisions qui déterminent le sens réel et profond de notre vie. Pourtant, on n’est jamais rien sans les autres, ni sans le regard de tous ceux qui nous entourent.
Si, par miracle ou par malheur, l’un d’entre nous venait à se retrouver un jour seul sur la terre, alors il n’existerait plus, sinon pour lui-même. Personne ne réfléchirait son image. Cet orphelin du genre humain cesserait d’exister dès la première seconde de sa prise de conscience de sa solitude, car le vide est la négation de l’être.
La réalité ne nous paraît certaine que parce qu’elle recouvre un consensus ou une divergence que nous avons avec d’autres. De même, nous nous sentons exister parce que les autres autour de nous nous regardent, nous aiment, nous haïssent, nous respectent ou nous méprisent… Nous pouvons d’ailleurs éprouver les mêmes sentiments à leur égard. L’indifférence, qui est le vide du cœur et de l’esprit, est une autre forme de négation de l’être.
 
Par leur union, les hommes et les femmes donnent la vie – par amour, involontairement, ou par obéissance à l’injonction religieuse de procréation. Il s’établit dans ce processus de vie un lien de sang parfois suivi d’un lien d’esprit et quelquefois celui du cœur. Leurs enfants finissent eux-mêmes par procréer à leur tour. Ainsi, nous contribuons à perpétuer notre espèce. On peut comparer les êtres humains aux atomes d’une molécule qui serait la famille. Toutes ces molécules rassemblées forment un corps que l’on nomme la société, et tous ces corps se fondent en une substance qui est l’humanité. Chacun des maillons de cette chaîne est à la fois autonome et dépendant des autres maillons.
L’histoire de chaque famille se construit ainsi, immanquablement, autour de personnages dont la légende rejaillit sur toutes les générations. En retour, et parce que le temps qui passe a la fâcheuse habitude de bouleverser la perception du monde et de ses réalités, chacun de ces descendants appréhende cette épopée forcément tragique avec les outils de sa conscience et les armes de son inconscient, afin de se l’approprier. Bien qu’elle ne soit pas illégitime, cette interprétation n’offre aucune garantie de vérité, sinon celle de l’authenticité des sentiments.
Le regard porté par chacun sur sa famille diffère donc largement, en fonction de la dimension affective des uns ou des autres. De même, chacun établit des rapports différents avec ses pairs, ce qui contribue à le rendre unique. Tous, qu’ils soient observateurs ou acteurs, sont intégrés d’autorité dans cette dramaturgie familiale. Cette genèse influence toujours profondément la nature première des membres de la tribu.
 
L’histoire de la famille de Fabien et la perception qu’il en a n’échappent pas à cette règle. Marquée par le poids des événements et le choc des émotions, elle définit une large part de son identité et aide à voir de la cohérence dans sa personnalité parfois confuse.
La famille de son cousin le plus proche n’est pas complètement la sienne, mais celle de sa propre sœur, Estelle, ne l’est pas tout à fait non plus, puisque tous deux la perçoivent au travers du filtre de leur personnalité et de leur expérience. Ils la définissent donc de façon très distincte.
Tous les désaccords et les fausses indifférences qui s’immiscent dans les familles peuvent éloigner infiniment les individus, jusqu’à ce qu’une bienveillance, au goût parfois amer, les rapproche. Parmi les facteurs incitant les gens à la compassion, il en est un, le pire de tous, qui ne connaît aucune rémission et ne consent qu’à une hypothétique acceptation. C’est le trépas, et le deuil qui l’accompagne. La perte d’un être cher et la douleur ou le désarroi qui en résultent tendent à imposer une proximité là où régnait la distance, à prescrire l’empathie là où dominait l’inimitié. L’inverse peut également se produire.
Il est, par ailleurs, une idée très ancienne, très répandue et assez communément acceptée, selon laquelle le temps efface tout comme par magie, même les grandes afflictions. Chacun a pu en effet observer que l’intensité du chagrin diminue au fur à mesure que son origine s’éloigne, jusqu’à s’éteindre tout à fait. Ainsi, le temps apaise la brûlure du désamour, même si cela peut être long.
En vérité, ces grandes douleurs continuent à exister et à peser lourdement sur le quotidien de tous ceux qu’elles ont touchés, insidieusement nichées dans les tréfonds du subconscient. Le temps ne fait rien à l’affaire, comme l’a chanté Brassens, et cela ne concerne pas que la bêtise supposée des gens. «  Que l’on soit petit con de la dernière averse ou vieux con des neiges d’antan, quand on est con, on est con !  » Si l’on voulait paraphraser ce poète un peu bougon mais si prompt à pointer les incongruités des hommes, il suffirait de dire que petit chagrin de la dernière ou grand chagrin d’antan, quand un chagrin est là, il est bien là et il demeure, quoi qu’il advienne, des heures, des jours, des années, une vie durant. Cela est particulièrement vrai lorsque le malheur nous frappe et que l’on perd le sens des réalités. On peut certes tricher avec les autres, mais il n’existe pas de méthode pour tricher efficacement avec soi-même.
On peut concevoir qu’une grande peine s’adoucisse sur la durée dans une conscience collective, mais à l’échelle de l’individu, elle n’a que peu de chances de disparaître dès lors que le réel se présente masqué.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
La fin du temps de l’équanimité
 
 
 
« L’insouciance est l’art de se balancer dans la vie comme sur une escarpolette sans s’inquiéter du moment où la corde cassera. »
Honoré de Balzac
 
 
 
1 – Fielleuse révérence et mémoire falsifiée
 
 
 
En ouvrant l’œil ce matin-là, Fabien avait l’esprit déjà vif et lucide, comme s’il cherchait à percer le voile d’une réalité incertaine. Il songeait à ce nouveau jour, qui se présentait comme celui d’une commémoration particulière. Il y avait en effet très exactement un demi-siècle qu’un homme avait été inhumé. Cet homme, son père, était mort violemment quelques jours plus tôt dans l’accident d’un avion qu’il pilotait. Il avait été enterré avec les honneurs dus à son rang et dans le recueillement de tous ceux qu’il avait conquis. Séduisant, il l’avait en effet été pour beaucoup ; séducteur, il l’avait probablement été en quelques occasions. En revanche, sa personnalité fière et affirmée, sa réussite rapide, et son opportunisme en matière de relations humaines en avaient irrité plus d’un et suscité plus d’une jalousie.
La sincérité de l’émotion de la foule était perceptible, mais certains, plongés dans une fausse et hypocrite méditation, se dissimulaient derrière une feinte tristesse. Ceux qui s’y trouvaient racontent que d’éminentes personnalités vinrent à cette cérémonie, et que celles-ci ne tarirent pas d’éloges sur le défunt.
Ces postures sociales immuables, aussi codifiées qu’insidieuses, composent, à travers les époques et sous toutes les latitudes, le récit de la plus affligeante des parodies dont l’être humain s’est rendu coupable. Le grand fabuliste du XVII e  siècle, Jean de La Fontaine, a en son temps fait une description ironique des obsèques dans Le Curé et le mort . Honoré de Balzac en a fait autant deux cents ans plus tard. Avec le sens du détail qui lui est propre, il dépeint l’ordonnancement convenu de l’enterrement du père Goriot et l’insupportable hypocrisie qui l’entourait. Il souligne notamment l’ambiguïté des sentiments des membres du cortège, entre tristesse et indifférence. Les personnages de la Comédie humaine illustrent tous la mesquinerie sans fin de nos comportements. Verlaine, lui, vise davantage les prélats dans L’enterrement . Sur fond de satire sociale, il se livre à une critique acerbe de l’attitude équivoque des gens autour de la mort, ou plutôt du mort dont ils sont censés honorer la mémoire : ne se lamentent-ils pas plutôt sur leur propre destin ?
Là encore, le temps ne fait rien à l’affaire, et derrière un visage cauteleux, se profile toujours un cœur perfide. Toute dramatique qu’elle soit, cette comédie sociale, devenue banale, prouve surtout que l’on s’habitue à tout. Pour autant, son caractère immuable et presque nécessaire se justifie-t-il ? À première vue, elle semble indispensable à la naissance d’une cohésion sociale, somme de contritions individuelles. Elle peut également aider les ego les plus vaniteux à se souvenir de leur finitude et de leur peu d’importance au regard de l’humanité.
 
Cependant, dans le cas qui nous occupe, l’ancienneté des faits permet de prendre du recul et de leur donner une valeur personnelle et profonde. Fabien était en droit de considérer, sans orgueil particulier mais sans honte non plus, que son identité était le fruit de cet accident, véritable acte fondateur de sa vie. Il lui avait fallu un demi-siècle pour comprendre la réalité de son existence.
Un demi-siècle, ce n’est rien, comparé à l’immensité de l’histoire des hommes, mais, à l’aune de la vie parfois tourmentée d’un seul homme, c’est une bien longue aventure. Cinq décennies emplies de joies, de peines, et d’épreuves couronnées d’échecs ou de réussites, s’étaient écoulées

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