Le juste et l injuste
299 pages
Français

Le juste et l'injuste , livre ebook

-

299 pages
Français

Description

Comment distinguer le juste de l'injuste et quel rôle y jouent les émotions ? Quelle est leur place dans les débats publics, dans ce qui fonde la reconnaissance, les actions collectives et l'auto-constitution des groupes ? Si les médias mettent bien en scène les émotions et les mutations qui affectent les critères moraux, participent à la formation et à la délimitation du contenu d'identités collectives, les émotions et leur statut moral mobilisent autre chose selon Jean Widmer. Cet ouvrage rend hommage à ses travaux.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 décembre 2009
Nombre de lectures 191
EAN13 9782296245471
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1250€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ÀJeanWidmer(1946-2007),
notreamietcollègue…Présentation
YannGuillaudetJean Widmer
Dessentimentsmêlésm’imprègnentenfnalisantcetouvrage.Delatristesse
àlapensée queJean Widmer ne le verrapas,lamaladie l’ayant emportéen
février2007.Maisaussidelasatisfaction,puisqueJeantenaitàcequelestextes
ici regroupéssoientenfnpubliés.Plusieursd’entreeuxontétéexposéslorsdu
Séminairede troisièmecyclede
sociologieintitulé«Humiliation,colère,compassion:Moraleetémotionsdansl’espacepublicpolitique»,queJeanWidmer
avait organiséavec tant de savoir-faireet de gentillesseàUvrier-StLéonard
(Valais),danslecadredelaConférenceuniversitairedelaSuisseoccidentaleen
juin 2005.Cesinterventionsontété remaniéesparleursauteurs en vuedecette
1publication et complétées par d’autrestextes,celivrene se résume donc pas
2àdes actes duséminaire.Ilen reprend cependant la tramepour appréhender
différentesfacettesconstitutivesde«l’espacepublicpolitique»,c’est-à-direde
celieu(«l’espace»)oùunensembled’individus(«lepublic»)sereprésenteet
s’institueen tantquecollectif(«lepolitique»),permettantainsil’actionparet
surlacollectivitéqui seconçoitcomme telle.
En préambule, Dunya Acklin Muji,Alain Bovet,Philippe Gonzalez et
Cédric Terzi,dont lesthèses furent dirigées par Jean Widmer,ont accepté
3la lourde tâche de mettreenperspective sestravaux,éclairant les liens qu’il
concevaitmaisn’avaitpastoujoursformuléexplicitementavecladiversitédes
champsderechercheenglobéeparcelivre.Jelesenremerciechaleureusement,
tout comme ma gratitude vaà Vania Widmerpour avoirretrouvélesnotesde
sonpère, surlesquellesjeme suisappuyépourcettecourteprésentation.
1De DunyaAcklin Muji et al., BernardConein, Olivier Voirol, Olivier Tschannen et Fabrice
Plomb.
2Les textes de Jean Kellerhals, «Sociologie empirique du juste et de l’injuste», et de Franz
Schultheiss,«Lamisèredumonde:uneépreuvepourlasociologiedePierreBourdieu?»,
bienqu’exposéslorsdu séminairene sontpas reprisici.
3Un recueilde textesdeJeanWidmer,avec
uneintroductiondeLouisQuéré,devraitêtreprochainementpublié souslesauspices,notamment,decesquatreauteurs.
9Lejusteetl’injuste
*
* *
Commele
titrePardelàlalibertéetladignitél’annonçait,Skinnerproposait en 1971 une analyse comportementaliste («behavioriste») de la société.
Maislesacteurs sociaux,faceaux tentativesdelesdissocier de touteloyauté
collective,ontpréservéleurmarged’interprétationdesmessagescherchantà
les contrôler. Ces tentatives de maîtrise par la contractualisation individuelle
–enlieuetplacedel’Étatoud’autresformesdesolidaritésuniversalistes–ont
suscité un phénomène que le contrôle social comportementaliste n’avait pas
prévu, tout comme les politiques et les sciences sociales d’ailleurs: la
généralisationd’initiativesquiparaissentarbitraires,etquiontleur sourcedansce
quiest ressenticommeindécence,mépris,humiliation.
La compréhension de ces sentiments suppose de thématiser deux
dimensions des actions sociales pourtant souvent négligées: la relation au corps et
la relationàlacollectivité. L’émotion se rapporte,certes,aucorps somatique,
mais elle se rapporte d’abord au corps signifant, au corps en tant
qu’expression de sens (Véron 1976), en l’occurrence de réponse émotionnelle
socialement imposée. La relation à la collectivité est donc immédiate, parce que
l’émotion est une réponse et qu’il est loisible d’observer si elle est ou non
adéquate.
Même si les contributions de ce livre n’empruntent pas à la
littérature
comparée,maispourl’essentielàlaphilosophie,lelienentreémotionsetcollectivitépeutêtreillustré,enpartieàsoninsu,parL’Étrangerd’AlbertCamus,
qui s’ouvreparceparagraphemagistral :
«Aujourd’hui,mamanestmorte.Oupeut-êtrehier,jenesaispas.
J’ai reçu un télégrammedel’asile: “Mèredécédée.Enterrement
demain. Sentiments distingués.” Cela ne veut rien dire. C’était
peut-êtrehier.»(Camus1942:9)
Lapremièrephrase,«Aujourd’hui,mamanestmorte»,annonce une suite
qui est forcémentune interprétation, le sens que lui donne Meursault. Or,
Camus montre de manière redondante que le seul intérêt de cette nouvelle
réside, pour son héros, dans l’incertitude quant à la date de la mort.Aucune
émotion ne vient signifer la fliation impliquée par le terme «maman». Le
personnage d’un étranger aux sentiments que l’on qualiferait d’universels
10Présentation
se formeainsi dès les premières lignes du roman, en ne montrant aucun
sentimentàl’annoncedelamortde samère–cequilui sera reprochédurant
sonprocès–,nid’ailleursenversl’Arabequ’ila tué.
Là intervient un autre aspect du roman: l’Arabe n’a pas de nom (Said
2000: 254-268), il est une partie du décor qui correspond en fait, comme le
souligne Bourdieu (1970: 114-115), à une société qui sera bientôt en guerre
contre celle des colons européens d’Algérie, à laquelle Camus appartient.
Certes, le meurtre restera étranger dans l’expérience de Meursault, mais
l’Arabe serad’abord traitécomme unétrangerparCamuslui-même.Comme
dans d’autres récits, les Arabes n’ont pas de noms propres, d’identité, leur
individualisation demeure au niveau de l’espèce: l’Arabe. Et comme dans
toute guerre, la première victime en est la qualité d’être humain de l’autre,
l’humanitépartagéeparlesbelligérants.
Si la mort de la mère ne suscite pas l’expression adéquate des sentiments,
le meurtre de l’Arabe ne suscite pas non plus l’attention du narrateur à son
caractère d’autre, de même valeur que lui. La guerre civile partage ainsi le
public, en excluant les obligations morales dans l’expression des sentiments
enverslapartieadverse.
Les relationsquenousévoquonsiciàproposdesémotionsetdeleur statut
moral–le rapportaucorpsetàlacollectivité–
trouventleurpremièreexpressiondanslaphilosophiedeHegel,enparticulierdans
sesécritsdeIéna(18011807). Or, l’ampleur de la pensée de Hegel est l’une des raisons de confer la
tâched’enrendrecompteàEmmanuel Renault,plutôtqu’àdesauteursayant
traité d’un aspect seulement, tels Margalit (1999),Appudarai (2005) ou Said
(2005). L’autre raison en est sa lecture processuelle de l’identité, conforme
à la conception relationnelle de la conscience de soi, introduisant la pensée
de Honneth (2000) en la développant sur ses liens avec une sociologie de
l’injustice.
Les troisautres textesdecettepartie,consacréeà
uneapprochedesdimensions de la reconnaissance, concernent la relation dialectique entre le refus
de l’injustice, d’une part, et les valeurs et pratiques des institutions accusées
d’êtreinjustes,del’autre.Jean-Pierre Zirottidéveloppecommentlaposture
critique s’inscrit dans une double constitution du collectifpolitique rebelle:
vers l’extérieur dans la défnition des actions jugées adéquates envers
l’institution source de l’injustice, mais aussi vers l’intérieur pour former,certes, le
collectifcomme uncollectifanonyme,maispourqu’il soitégalementintégré
et reconnu par lui-même. Cela faitécho aux propos d’Emmanuel Renault
11Lejusteetl’injuste
sur la distinction entre une lutte pour la reconnaissance (lutte externe) et une
lutte de reconnaissance,quiinclutle versantinterne.Dans sonlivreéclairant,
HegeletHaïti,Buck-Morss(2006:27-58)plaidepourlasecondelecture.Elle
relève l’importance que Hegel donnait à l’actualité politique internationale,
autraumatismecauséparlaluttedelibérationàSaint-Domingue(1791-1805),
en
tantquelibérationdesesclavesdeleursmaîtres.Cesévénements,contemporains des années d’écriture de la Phénoménologie de l’esprit (1805-1806,
publiéeen1807),expliquentlaplacecentraledes réfexions surladialectique
du maître et de l’esclave, et l’insistance sur le faitque seule une
auto-libérationest une véritablelibération vers uneconscienceautonomede soi.Il s’agi

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents