122
pages
Français
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2021
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Ebook
2021
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Publié par
Date de parution
08 avril 2021
Nombre de lectures
1
EAN13
9782895963417
Langue
Français
Publié par
Date de parution
08 avril 2021
Nombre de lectures
1
EAN13
9782895963417
Langue
Français
Couverture du livre. Couverture du livre. Autrice: Ella Shohat. Textes choisis et présentés par Joëlle Marelli et Tel Dor. Titre: Colonialité et ruptures. Sous-titre: Écrits sur les figures juives arabes. Lux Éditeur. Collection «Humanités».
COLONIALITÉ ET RUPTURES
Écrits sur les figures juives arabes
Ella Shohat
Textes choisis et présentés par Joëlle Marelli et Tal DorTraduits de l’anglais par Joëlle Marelli
© Lux Éditeur, 2021
www.luxediteur.com
Dépôt légal: 2 e trimestre 2021
Bibliothèque et Archives Canada
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
ISBN (papier): 978-2-89596-340-0
ISBN (epub): 978-2-89596-341-7
ISBN (pdf): 978-2-89596-991-1
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition.
Note de la traductrice
L A TRADUCTION EN FRANÇAIS de l’expression Arab-Jew, qui désigne à la fois un fait historique et une figure centrale pour la critique des présupposés de la pensée sioniste, posait différents problèmes. Dans ses travaux, et notamment dans les textes réunis ici, Shohat thématise le «trait d’union» ( hyphen ) comme constitutif, au fond, de toute identité non assujettie à un agenda d’oppression. L’identité judéo-arabe est l’une de ces identités composées ( hyphenated identities ): l’histoire des juifs arabes est une contre-histoire et la description des figures juives arabes, une contribution à la critique du récit du «rassemblement des exilés sur la terre d’Israël». Il aurait été possible d’écrire: «Juif-Arabe», le trait d’union reliant alors deux noms (de nations ou de peuples). Rappelons qu’en anglais, toutes les catégories collectives prennent une capitale initiale, et que Jew peut désigner tout aussi bien une personne croyante qu’une personne appartenant à une nation ou à un peuple.
Mais plutôt qu’aux grandes catégories d’identités collectives que peuvent englober les mots «peuple» ou «nation», la notion de «judéité», dans les écrits d’Ella Shohat, renvoie à un ensemble de pratiques culturelles et d’appartenances historiques, affectives et communautaires, structurées dans le contexte de géographies culturelles et en relation avec elles. Or, en français, écrire «Juif» avec la capitale initiale, c’est assigner la judéité à une catégorie ethnonationale. Il est vrai que l’écrire en bas de casse peut induire une réduction au domaine «religieux» (nonobstant toutes les difficultés que posent ces termes, et les catégories, remises en question par l’anthropologie contemporaine, auxquelles ils prétendent renvoyer). Mais de ces deux options, et compte tenu de la tendance contemporaine à tirer la judéité du côté d’un ethnonational unitaire et originaire pour des raisons qui font partie de ce que critique ce livre, la seconde a semblé, en accord avec l’autrice, convenir le mieux. C’est pourquoi «juif» est écrit ici sans majuscule, à l’exception des cas où il s’agit des Israéliens juifs, dans la mesure où «Juif» est, dans l’État d’Israël, le nom d’une «nationalité», ou plutôt d’une «nation» ( le’om ) distincte de la «citoyenneté»: on y est de «nationalité» juive, arabe ou druze, et de «citoyenneté» israélienne. À l’exception, aussi, des cas où il est fait référence à une identité «racialisée» (par exemple le «Juif du ghetto», p. 101) ou essentialisée, comme dans le tableau de Dehodencq L’exécution de la Juive (p. 151-162). Pour laisser aux deux mots le même statut graphique, il fallait donc retirer le trait d’union et, du coup, faire du mot «arabe» un adjectif, tout en rappelant, comme nous l’avons fait dans notre introduction, que l’expression «Arabe juif» ( Jewish Arab en anglais, ou ’aravi yehoudi en hébreu) est tout aussi valable.
Le nom mizrahi, mizrahim au pluriel, est un terme hébreu qui désigne une réalité plus spécifiquement israélienne que «juifs arabes», dont il n’est donc pas systématiquement un synonyme. Étant donné son importance ici, j’ai estimé qu’il fallait grammaticaliser son emploi comme adjectif selon l’usage français, je le décline donc sans italique.
Le lexique du déplacement et de la traversée des frontières est central chez Ella Shohat. Il s’associe à celui du démembrement et de la dispersion, ce que condense la notion de «dislocation». En anglais, dislocation, habituellement traduit par «bouleversement», a à la fois le sens étymologique d’un «déplacement» et celui, similaire au français, de «processus au cours duquel un ensemble se défait, se désagrège; son résultat», ou encore de «dispersion, séparation des membres d’un groupe» ou d’un corps [1] . Chez Shohat, ce mot recouvre un champ très large, dont l’intensité et l’expressivité ne pouvaient, bien souvent, être rendues par aucun équivalent. En accord avec l’autrice, j’ai donc choisi de recourir à une prérogative de traductrice et d’utiliser le calque français, en forçant quelque peu l’usage courant de ce mot. Là où c’était possible, j’ai traduit par d’autres mots («déplacement», très présent par ailleurs aussi chez Shohat, «démantèlement» et, plus rarement, «exil», Shohat réservant ce mot aux cas de déplacements forcés et à l’analogie entre les exils juifs arabes et palestinien).
La notion hébraïque de gola est traduite ici par «diaspora» et celle de galout par «exil».
Shohat consacre une part importante de sa réflexion à critiquer le lexique de la division utilisé pour opposer Juifs et Arabes. Il n’a pas toujours été possible de rendre justice à la richesse lexicale qu’elle mobilise dans ce contexte: divide, split, splitting, separation, opposition et d’autres. Il arrive donc qu’un même mot en traduise plusieurs ou, inversement, qu’un mot soit traduit de différentes manières, selon le contexte.
Nous aurions voulu pouvoir utiliser les codes de l’écriture inclusive, mais la densité du propos nous a fait privilégier la lisibilité, cette fois encore. Ne doutons pas que ces questions ne se poseront bientôt plus et que l’écriture inclusive prévaudra sans difficulté excessive dans tout ce qui se publiera.
Préface par Ella Shohat
S I LA «QUESTION DE PALESTINE» est passionnément débattue depuis un siècle, ce que l’on pourrait appeler la «question juive arabe» n’est entrée que depuis peu sous le feu des projecteurs journalistiques, artistiques et universitaires. À bien des égards pourtant, ces deux questions sont intimement enchevêtrées, un enchevêtrement qui se trouve mobilisé à des fins politiques très divergentes, voire conflictuelles les unes par rapport aux autres. L’un des débats porte sur le problème consistant à savoir à quand remonte cet enchevêtrement. Est-ce à la guerre de 1948, à l’arrivée du sionisme en Palestine, aux premières incursions coloniales dans les espaces arabes, ou avant encore, à l’émergence de l’islam dans la péninsule arabe, puis à sa domination dans de nombreuses régions? Dans quelle mesure les rapports entre musulmans et juifs dans le passé peuvent-ils être interprétés de manière allégorique pour fonder des analogies avec les relations israélo-arabes du temps présent?
Nombre de grilles narratives ont été déployées pour rendre compte de cette histoire judéo-musulmane partagée. L’un des récits s’appuie sur la longue durée * [2] de la cohabitation quotidienne judéo-musulmane et des pratiques culturelles communes, de la partie la plus orientale du monde arabe (le Machreq) à ses régions les plus occidentales (le Maghreb). Le monde arabo-musulman y est peint comme pluriel, des points de vue tant ethnique que religieux, même lorsqu’il s’agit d’interroger la place inégale assignée aux ahl al-kitab, les adeptes des autres «religions du Livre», la Torah et la Bible chrétienne. Diamétralement opposé, un autre récit présuppose une situation de persécution millénaire des juifs dans le monde arabo-musulman, et le statut de dhimmi [3] comme témoignant d’une humiliation et d’un joug sans fin. Selon ce récit, la création de l’État d’Israël forme le point téléologique du «rassemblement» des juifs opprimés. Dans cette vision, l’histoire des juifs sépharades/moyen-orientaux est largement subsumée sous le présupposé d’une «expérience juive» unique, modelée sur l’exemple paradigmatique de l’antisémitisme européen, lequel est projeté sur un monde musulman très différent. Le conflit israélo-palestinien est intégré au récit d’une hostilité arabe éternelle à l’égard des juifs et à une histoire réduite à relier entre eux les différents épisodes qui s’apparentent à des pogroms. Dans ce discours «pogromique», très peu de place est laissée à l’examen de ce qu’implique, pour «la question juive arabe», l’imbrication du sionisme, de la Palestine et d’Israël.
Sur cet arrière-plan d’oppositions inconciliables, j’ai opté pour une approche relationnelle en réseau, qui prenne en considération l’histoire impériale, les recartographies des partitions et les dislocations (post)coloniales. Mon travail vise à démystifier les auto-idéalisations ethnocentriques typiques des récits dominants, sans pour autant 1) enjoliver l’expérience juive dans les espaces arabo-musulmans, ni 2) glorifier le nationalisme arabe, ni 3) idéaliser les juifs arabes/ mizrahim eux-mêmes, dont certains ont joué un rôle très ambigu dans cette histoire tourmentée. Pris dans leur ensemble, les textes inclus dans ce recueil cherchent à faire valoir des arguments en faveur de la nécessité de se souvenir d’un monde à la fois culturellement arabe et religieusement juif. De nos jours, heureusement, un courant de pensée plus critique, représenté par des chercheurs de formations et de disciplines diverses, aborde ces problèmes les uns par rapport aux autres. Et si les cicatrices de la partition continuent inévitablement à hanter le débat, une pensée transfrontalière permet désormais de rendre compte de manière plus complexe de la production culturelle des juifs dans les espaces musulmans.
Ce livre se concentre sur la question juive arabe, non parce qu’il s’agirait du problème le plus urgent dans la région, mais parce qu’il offre une entrée parti