Constitution américaine et religion
310 pages
Français

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Constitution américaine et religion , livre ebook

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Description


Collection : Administration et Aménagement du Territoire

La question religieuse en Amérique s'apparente d'emblée à une authentique bizarrerie. Dans cette époque où l'on prêche le rationalisme, les Etats-Unis n'auraient jamais réellement achevé leur processus de sécularisation. À ce stade, la lecture du juriste se heurte à des difficultés : celle d'une lettre constitutionnelle qui opère une nette division entre les Églises et l'État. Or cette division est constamment fragilisée par la présence de pratiques religieuses qui parsèment la vie publique. Cet ouvrage s'efforce de comprendre cette existence d'une république théocratisée et sécularisée.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 octobre 2016
Nombre de lectures 38
EAN13 9782140019425
Langue Français
Poids de l'ouvrage 2 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1350€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

ci
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Maxence Guillemin
CONSTITUTION AMÉRICAINE ET RELIGION
L’exceptionnalisme en question
Constitution américaine et religion
L’exceptionnalisme en question
Administration et Aménagement du territoire Collection dirigée par Jean-Claude Némery
Administrer, aménager le territoire constitue une des missions fondamentales des Etats modernes. Gérer les espaces de quotidienneté et de proximité dans le cadre de la décentralisation et de la démocratie locale, assurer le contrôle administratif et financier de l'action publique, anticiper l'avenir pour assurer un meilleur développement grâce à la prospective sont les objectifs essentiels des pouvoirs publics. Cette collectionAdministration et Aménagement du territoiredoit répondre aux besoins de réflexions scientifiques et de débats sur cet ensemble de sujets.
Déjà parus
Loeiz LAURENT,Destins bretons, 2016. Jacques BEAUCHARD,Métropole et ville-pays, La construction des Grandes Régions, L’exemple de Reims, 2016. Trotsky MEL,La décentralisation à l’épreuve de la crise économique en Côte d’Ivoire, 2015. Liam FAUCHARD, Gérard GUIGOURES, Jean PIANEL, Mutations des relations sociales. Quels futurs possibles ?, 2014. Valérie ANGEON, Sylvie LARDON et Patrice LEBLANC (dir.), Formation et apprentissage collectif territorial. Compétences et nouvelles formes de gouvernance territoriale. Tome 1, 2014.François VANHILLE,Cultures de l'imaginaire, festivals et collectivités territoriales,2014. Gilbert MEYER,Développement durable et finances locales, 2013. Pierre TEISSERENC,L’action publique dans ses nouveaux territoires en France et au Brésil, 2013. André TORRE et Frederic WALLET (sous la dir.),Les enjeux du développement régional et territorial en zones rurales, 2013.Badr-Eddine BELAYACHI et Ramiro RIERA,Le représentant territorial de l’Etat face au développement urbain, 2013. Bernard GUESNIER et Christian LEMAIGNAN (dir.), Futurs des territoires. Hommage à Guy Loinger, 2013. Christian LEMAIGNAN,La Pugnacité des élus, créateurs de territoires, 2012.
Maxence GUILLEMIN
CONSTITUTION AMÉRICAINE ET RELIGION
L’exceptionnalisme en question
À mon père
© L’Harmattan, 2016 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-343-09952-1 EAN : 9782343099521
Introduction
« En songeant à l'empire américain d'aujourd'hui, on ne peut s'empêcher de jeter les yeux en arrière sur son origine. C’est une chose désolante et amusante à la fois, que de contempler les pauvres humains jouets de leurs propres folies, et conduits aux mêmes résultats par les préjugés les plus opposés. Les Puritains avaient demandé à Dieu, avec prières, qu'il les dirigeât dans leur pieuse émigration, et Dieu les conduisit au cap Cod, où ils périrent presque tous de faim et de misère. Bientôt après, leurs ennemis mortels, les Catholiques / viennent débarquer auprès d'eux sur les mêmes rivages. Une cargaison de graves fous, avec de grands chapeaux et des habits sans boutons, descendent ensuite sur les bords de la Delaware, etc. Que devait penser un Indien regardant, tour à tour, les étranges histrions de cette grande farce tragi-1 comique que joue sans cesse la société ? »
Chateaubriand, 1797.
À la lecture de ce passage de Chateaubriand, on ne peut que constater, au-delà d’une ironie certaine, une approche caricaturale du fait religieux aux États-Unis. Une telle conception s’avère même relativement répandue car, en examinant le traitement du fait religieux, 2 sur les terres du Nouveau Monde, on serait tenté, par ethnocentrisme , de ne voir dans la société civile américaine qu’une image religieuse excessivement revendiquée. Cette observation ne pourrait que conduire à dénoncer une pudibonderie affirmée, aux accents religieux, et mentionner une forme de dérive obscurantiste. Il serait même aisé d’étendre cette critique jusqu’aux institutions politiques. Celles-ci ne seraient que l’émanation de lois morales, dictées en toutes circonstances par le religieux. Une telle condamnation peut s’expliquer par l’observation d’une foi exacerbée et revendiquée par les Américains, et ce, à une époque qui prêche le rationalisme.
1 Chateaubriand,Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes, considérées dans leurs rapports avec la révolution française de nos jours, 1797, InEssai sur les révolutions. Génie du christianisme, édition Maurice Regard, Gallimard, La Pléiade, 1978, p.147. 2 Jules Brody,Les Études Françaises Aux États-Unis : L'exceptionnalisme Américain, Revue d'Histoire littéraire de la France, 95e année, no. 6, Supplément. Colloque Du Centenaire. L'histoire littéraire hier, aujourd'hui et demain, ici et ailleurs (Nov.-Dec. 1995), p.105.
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Le plus gênant est qu’un tel jugement, hâtif et peu constructif, semble confirmé par l’observation de certains faits. C’est que le phénomène de piété ne répond pas à une simple imagerie populaire, mais obéit au contraire à une étude empirique.
I. Une Nation religieuse
Une enquête nationale organisée par lePewForum on Religion and 3 Public Life nous donne un certain nombre d’éléments révélateurs. Orchestrée en mars 2008, elle nous indique que 71% des Américains se déclarent croyants, « absolument certains » de l’existence de Dieu. 56% estiment que la religion jouait un rôle « très important » dans leur vie, tandis que 39% se rendent régulièrement à un office religieux, à raison d’une fois par semaine au moins. Enfin, 75% déclarent prier une fois 4 par semaine (au minimum) et 60% de manière quotidienne . De manière plus générale, cette prédominance du religieux ne se limite pas aux seuls comportements individuels. En effet, l’expression religieuse est présente également au niveau institutionnel : dépassant la sphère privée, elle investit le langage politique. Le modèle américain 5 est aussi celui d’une expression gouvernementale empreinte d’une étrange religiosité, tout du moins aux yeux d’un observateur enclin à se 6 plier à un esprit laïc qu’il élève au rang de dogme. Le phénomène est bien connu, qui vient nourrir les interrogations, et – nous l’avons dit – quelques suspicions. La pratique politique de la 7 profession de foi sur une Bible en est une retentissante illustration . Celle-ci ne se limite d’ailleurs pas à l’office présidentiel, mais peut être
3 Le centre de recherches vit le jour à l’Université de Chicago en 2001. Voir sur le site à l’adresse : http://www.uchicago.edu/research/center/pew_forum_on_religion_and_publiclife/ 4 Les chiffres en question nous sont rapportés par Lauric Henneton, InHistoire religieuse des Etats-Unis, Flammarion, 2012, Prologue.5 La sémantique doit ici faire l’objet d’une précision. L’adjectif « gouvernemental », en ce sens, doit être ramené à la notion de Gouvernement. Celle-ci entend traiter des instances publiques, entendues commeorganes politiques. Nous n’y attachons donc pas un simple exécutif, et ce, encore moins au sein d’un régime qui pratique une séparation stricte des pouvoirs. 6 Eric Maulin, par exemple, rappelle le caractère difficilement transférable du terme même de laïcité, eu égard aux divergences majeures de conception entre les contextes européens et américains à propos de la question religieuse. Eric Maulin emploie à ce titre l’expression de « neutralité des institutions américaines », laquelle répond aux dispositions du Premier amendement, en sa première clause (voir plus loin). Voir Eric Maulin, inHistoire, théorie et doctrines, Société, droit et religion, 2011/1 Numéro 1 (revenant sur l’ouvrage de Denis Lacorne,De la religion en Amérique.Essai d’histoire politique, Gallimard, 2007, 244 p.), p. 175. 7 Voir Isabelle Richet,La religion aux Etats-Unis, Que sais-je ?, PUF, 2001, p.3.
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étendue à nombre d’investitures politiques, judiciaires ou militaires. En outre, les renvois terminologiques à la divinité sont légion, qui s’intègrent harmonieusement à toutes les manifestations de la vie publique. On songe ici à la formule qui clôt la plupart des discours politiques (“God bless America), la formule qui accompagne les serments susnommés (“So help me God”), sans évoquer la devise nationale (“In God We Trust”) ou encore la formule solennelle d’ouverture d’audience de la Cour Suprême fédérale (“God save the United States and this Honorable Court”). De plus, la religion n’est pas uniquement présente dans l’expression politique ou le langage : elle est intégrée dans les actes politiques eux-mêmes. Les vastes programmes des mouvements évangéliques sont là pour nous le rappeler. En effet, ces campagnes prosélytiques sont parfois directement encouragées par les partis politiques. Les années 1960 demeurent une bonne illustration de cette dynamique. Le parti républicain rassembla alors une force électorale nouvelle, principalement dans les Etats du Sud, autour d’une frange de la population déçue par la politique antiségrégationniste du parti démocrate. Ici, c’est le religieux qui participe directement à modeler une représentativité politique, en influant directement sur les 8 programmes des partis, et donc sur leurs fondements idéologiques . Au sein d’un modèle politique qui s’accommode bien aisément du lobbying, les mouvements religieux sont directement intégrés aux campagnes. Le phénomène est d’ailleurs renforcé par un contexte 9 croissant d’hypermédiatisation et de diffusion de masse . Cette interdépendance des groupements d’intérêts - partis politiques et mouvements religieux - répond bien difficilement au système laïc français. Loin d’être exhaustif, ce constat permet d’insister sur la présence notoire du fait religieux aux Etats-Unis d’Amérique. Or, c’est bien cette
8  Voir à cet égard cet article duNew York Times, daté du 17 mars 1986 et signé Phil Gailey :Politics; Evangelism And A Fight With Peril To Both Sides. Celui-ci met en évidence la question religieuse comme un outil électoraliste devenu prépondérant. L’article est disponible sur le site duNew York Times à l’adresse : http://www.nytimes.com/ 9 Last fall 50,000 copies of a fund-raising letter signed by the Democratic national chairman went out describing in typically partisan direct-mail language a potential Republican Presidential candidate ‘too radical even for Ronald Reagan.’[…] The Democratic chairman, Paul G. Kirk Jr. was referring to the Rev. Marion G. (Pat) Robertson, a 55-year-old fundamentalist evangelist from Virginia Beach, Va., whose Christian Broadcasting Network reaches 30 million cable television subscribers with a mixture of religious and family entertainment programs, including the ‘700 Club’, ‘for which Mr. Robertson is the host.’Ibid.
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10 dernière qui suscite les étonnements que nous avons évoqués . Ainsi, ces quelques données offrent-elles des arguments à qui veut bien affirmer que la Fédération américaine ferait l’objet de dérives théocratiques chroniques. Comme nous l’avons dit précédemment, une image semble s’imposer : le système moral et normatif serait lié au fait religieux. On songe ici au credo américain, qui serait marqué par un protestantisme encore prépondérant dans les esprits, et ce, malgré le paysage multiconfessionnel qu’offre la démocratie américaine. Celle-ci y verrait une limitation historique à la liberté de conscience - qu’elle prône pourtant - et, en ce sens, n’aurait jamais réellement achevé son 11 processus de sécularisation .
Ce dernier constat doit nous emmener vers un premier paradoxe. En effet, la reconnaissance d’une confusion entre les Eglises et l’Etat ne va pas de soi, pour qui connaît l’Histoire américaine.
II. La séparation des Eglises et de l’Etat : caractéristique du contexte américain
Si l’on se penche sur les récits de voyages de témoins européens, c’est bien le constat inverse qui semble prévaloir. De manière très intéressante, la question religieuse au Nouveau-Monde a été aisément vue comme une authentique bizarrerie, mais précisément pour des motifs contraires à cette confusion entre le spirituel et le temporel. Les voyageurs rapportent, tout d’abord, la singularité de la forte mosaïque confessionnelle qui parsème le territoire américain. Il en est ainsi de Crèvecœur, parti à vingt ans pour Nouvelle-France, avant de servir de cartographe pendant la guerre de Sept-Ans. L’écrivain retrace dans ses Lettres d’un Cultivateur Américainl’harmonie qui s’offre devant lui, 12 prodigieux spectacle des religions coexistant pacifiquement . Surtout,
10 On peut encore se référer à cet article du journal Le Monde Diplomatique, daté de juin 1988 et signé Ingrid Carlander : «La foire aux miracles des télévangélistes américains». Nous en reproduisons ici le chapô Ils remuent les foules, leur arrachent des cris d’extase et des millions de dollars, grâce à la magie de leur verbe inspiré et à des shows télévisés mettant en scène le combat de Satan et de l’Esprit. Les télévangélistes américains, dont la croisade déborde les frontières des Etats-Unis, ne peuvent être ignorés : ils reflètent, en les amplifiant, les tendances profondes d’une partie de la société dont l’obscurantisme favorise les pires idées conservatrices. » Site du journal, à l’adresse : http://www.monde-diplomatique.fr/11 Camille Froidevaux-Metterie, « Pouvoir et religion : vers une nouvelle ère laïque ? », Revue internationale et stratégique, 2009/4 n° 76, p. 135.12 Michel Guillaume Jean de Crèvecoeur,Lettres d'un cultivateur Américain: écrites a W. S. Écuyer, Depuis l’année 1770 à 1781, J.E. Dufour et G. Roux, 1785, Tome Second, pp. 315 et s.
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l’auteur met en exergue la propension du politique à ne pas s’ingérer dans les affaires religieuses. Pour le Français, c’est bien la séparation entre les Eglises et l’Etat qui rend l’Amérique si singulière. La constatation de cette étrange harmonie est également perceptible à travers les écrits de Voltaire. Le philosophe donne une courte vision de l’Amérique dont il a été témoin, à travers un extrait de sesQuestions 13 sur l’Encyclopédie. Voyant une parfaite antithèse aux dérives de la théocratie européenne, il met en exergue la prédominance de la liberté de conscience en contexte américain. Cette liberté induit le choix pour les individus d’adopter leur propre culte. Voltaire trouve donc dans le 14 décor qui lui est offert un exemple de la tolérance qu’il promeut . Devant cette harmonie, Voltaire expose une théorie déterministe. Selon lui, c’est bien la présence d’une pluralité de confessions religieuses qui induit la nécessaire pacification des esprits. Le multiconfessionnalisme américain présupposerait donc chez Voltaire un état naturel de paix, qui tranche bien entendu avec la condamnation systématique des guerres de religions en contexte européen. En guise d’illustration, le Français voit dans l’implantation des Quakers en Pennsylvanie un puissant symbole d’une liberté religieuse promue à la fois par les sphères spirituelles (à l’échelle de l’individu) et temporelles (les institutions politiques). Voltaire rappelle la démarche de William Penn et de ses coreligionnaires, qui fondèrent une colonie en érigeant comme principe 15 intangible la tolérance d’autrui . Condorcet reproduira un schéma voltairien lorsque, traitant de la jeune révolution américaine, il mettra en évidence ce goût qu’ont les habitants du Nouveau-Monde pour la 16 liberté ; vertu dont le fait religieux peut tirer tous les bénéfices . Pour 13 «Songeons que dans toute l’Amérique anglaise, ce qui fait à peu près le quart du monde connu, la liberté entière de conscience est établie; et pourvu qu’on y croie un Dieu, toute religion est bien reçue, moyennant quoi le commerce fleurit et la population augmente. » Voltaire,Questions sur l’Encyclopédie, In Œuvres complètes de Voltaire, Vol. 32, Perroneau, Ceriou, 1821 (texte de 1772), p.722. 14 On verra plus loin que Voltaire avait déjà exposé cette idée d’une tolérance rendue nécessaire par le jeu de la simple pluralité. Il citait à ce titre l’exemple de la Bourse de Londres. In Voltaire,: Sur les presbytériensSixième lettre ; (Lettres philosophiques, 1734), InIbid. Vol.7, p.11. La perception voltairienne des Quakers est mise en lumière par Denis Lacorne, inDe la religion en Amérique,Gallimard, 2007, p.18, dont nous reprenons l’exemple de la Bourse de Londres (cité plus loin). Plus généralement, la vision d’une tolérance exacerbée en contexte américain est traitée par l’auteur, qui cite également Crèvecoeur, inIbid. pp.39 et s. 15 Voltaire,Quatrième lettre : Sur les Quakers, (Lettres philosophiques, 1734), InIbid.Vol.7, p.7. 16 «La religion ne doit pas être longtemps un obstacle : le dogme le plus cher aux Américains, celui auquel ils tiennent le plus, est le dogme de la tolérance, ou plutôt de la liberté religieuse ; car chez ce peuple, conduit plus qu’aucun autre par la raison seule, le mot de tolérance paraît presque un outrage à la nature humaine. » Condorcet,De
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