Deux figures de l’individualisme
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Deux figures de l’individualisme , livre ebook

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Description

L’individualisme est aujourd’hui une évidence partagée, à tel point que nous avons du mal à penser un avenir qui n’en constituerait pas un prolongement ou une modulation. Mais cette évidence a ses points aveugles, à commencer par le fait que l’individualisme constitue désormais une norme qui, paradoxalement, nous enjoint de nous affirmer librement. Surtout, l’individualisme constitue un modèle hétérogène : il a pris des formes très contrastées, et même franchement opposées, au cours des derniers siècles.
L’objectif de ce livre est de rendre le lecteur sensible à ce contraste apparu après la Seconde Guerre mondiale, à partir du travail de deux sociologues, David Riesman et Paul Yonnet, qui ont en commun d’avoir aperçu la profonde dépendance à autrui qui caractérise l’individu contemporain.

Vincent de Coorebyter est professeur de philosophie à l’Université libre de Bruxelles. Il est le président du CRISP (Centre de recherche et d’information socio-politiques), qu’il a dirigé pendant 15 ans. Spécialiste de Sartre et des questions de laïcité et de démocratie, il est membre de l’Académie royale de Belgique et codirige la revue Etudes sartriennes.

Sujets

Informations

Publié par
Nombre de lectures 1
EAN13 9782803104871
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0030€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

DEUX FIGURES DE L'INDIVIDUALISME
Vincent de Coorebyter
Deux figures de l’individualisme
Académie royale de Belgique
rue Ducale, 1 - 1000 Bruxelles, Belgique
www.academieroyale.be
Informations concernant la version numérique
ISBN : 978-2-8031-0487-1

© 2015, Académie royale de Belgique
Collection L’Académie en poche
Sous la responsabilité académique de Véronique Dehant
Volume 63
Diffusion
Académie royale de Belgique
www.academie-editions.be
Crédits
Conception et réalisation : Laurent Hansen, Académie royale de Belgique
Illustration de couverture : © Lena Livaya, shutterstock.com
Publié en collaboration avec
Bebooks - Editions numériques
Quai Bonaparte, 1 (boîte 11) - 4020 Liège (Belgique)
info@bebooks.be
www.bebooks.be

Informations concernant la version numérique
ISBN 978-2-87569-186-6

A propos
Bebooks est une maison d’édition contemporaine, intégrant l’ensemble des supports et canaux dans ses projets éditoriaux. Exclusivement numérique, elle propose des ouvrages pour la plupart des liseuses, ainsi que des versions imprimées à la demande.
Introduction
Intuitivement, l’individualisme désigne un mouvement d’émancipation de l’individu à l’égard des normes sociales, l’affirmation de son droit à la liberté. L’individualiste est celui qui décide par lui-même de ses règles de conduite et de ses valeurs, qui ne reconnaît pas les consignes venant des autres. Apparemment, l’individualiste est autonome : il oriente sa vie en toute indépendance.
Pourtant, un des livres pionniers de l’étude de l’individualisme contemporain, La Foule solitaire de David Riesman, publié en 1950, brise le lien entre individualisme et autonomie, en tout cas pour ce qui concerne l’époque contemporaine. Pour Riesman, l’autonomie caractérise l’individualisme de l’époque antérieure , celle qui va de la Renaissance à la Seconde Guerre mondiale. En ce qui concerne l’Amérique d’après 1945, Riesman défend la thèse selon laquelle l’individu est « extro-déterminé », déterminé par le jugement des autres au plan privé et professionnel, dans un système économique fondé sur le relationnel et sur la confiance.
Autre exemple du caractère trompeur de la manière dont l’individualiste se perçoit : si le développement de la bourgeoisie et la Révolution industrielle se sont traduits par une montée incessante de l’individualisme, la société qui en est issue se caractérise aussi par toute une série de phénomènes de massification. Dans notre société d’individus, nous sommes soumis à des forces collectives qui nous rendent interchangeables. Que l’on pense à l’État et à la bureaucratie, à la mobilisation de masse au moyen de la conscription, à la standardisation des modes de vie d’une très vaste classe moyenne, à l’obligation scolaire, à la domination de la technique sous toutes ses formes et aux autres vecteurs de massification que sont la publicité, les grandes surfaces, la télévision, les centres commerciaux, les industries culturelles et du tourisme, le suffrage universel, les sondages… Pour tout un pan de la sociologie, l’individualisme n’est qu’une idéologie, le miroir flatteur que l’on tend à l’homme contemporain pour lui faire croire qu’il est libre et à nul autre pareil, singulier et maître de sa destinée, alors qu’en réalité cette représentation de soi comme individu est forgée par des forces qui l’embrigadent dans une gestion massifiée des désirs et des comportements. En se pensant plus autonome, l’individu devient plus dépendant : son autonomie est programmée par un système qui lui fait éprouver comme liberté de choix l’acte par lequel, comme travailleur, comme consommateur et comme citoyen, il joue le rôle que le système attend de lui — produire, acheter et voter.
Massification et individualisme ne sont pas contradictoires : ce sont les effets d’une même évolution. Des individus partageant de grands standards de mode de vie peuvent parfaitement se distinguer entre eux sur la base de cette ressemblance, comme autant de variations d’importance secondaire autour de la norme sociale. Comme l’écrivait Durkheim en constatant que les caractères nationaux sont de moins en moins marqués alors que l’individualisme croît, « les individus sont susceptibles de se diversifier à l’infini 1 » — mais à un niveau de détail dérisoire au regard de la massification contemporaine.
L’individualisme est donc une réalité complexe et trompeuse. Il est aussi variable : il prend des formes contrastées selon l’organisation sociale qui le favorise et qui lui donne ses contours. L’individualisme antique, par exemple, n’est aucunement lié à des logiques de massification mais au contraire à un certain élitisme.
Dans ce cadre, ce petit livre n’a pas d’autre objectif que d’attirer l’attention sur une mutation profonde et récente, qui a vu un type d’individualisme remplacé par un autre. Non que, dans ce domaine, le nouveau balaie l’ancien : le type antérieur d’individualisme subsiste et résiste dans différents milieux, de même que l’on observe encore, au 21 e siècle, des traits caractéristiques des sociétés traditionnelles. Il n’en reste pas moins qu’un même terme, « individualisme », désigne désormais des réalités contrastées entre elles, presque inverses, sans que l’on s’en avise toujours. Ces deux figures de l’individualisme ont en commun de déjouer, chacune à sa manière, l’illusion d’autonomie attachée à la notion même d’individu, mais, pour l’essentiel, tout ou presque les sépare. C’est à leur contraste que nous voudrions rendre sensible le lecteur, au moyen de tableaux synthétiques qui demanderaient bien des nuances et auxquels il faudrait ajouter de solides étiologies, mais dont nous espérons qu’ils auront un effet de clarification voire, pourquoi pas, d’étonnement.
Chapitre 1
L’individu intro-déterminé
L’individu contemporain cultive de soi une image très précise, très positive aussi, charriée par une multitude de canaux : médias, romans, films, courants pédagogiques, psychologie de magazine, idéologies politiques, de Mai-68 aux « bobos »... Selon cette représentation qui a cristallisé à la fin du 20 e siècle et dont nous ne donnerons ici qu’un tableau incomplet, l’individu ne doute pas de lui-même, de sa singularité, qui lui paraît une évidence irréfragable ; il se conçoit comme doté d’un Moi, d’une personnalité, d’un style à nul autre pareil, qu’il considère comme une donnée objective, congénitale, comme son être même ; cette ipséité qu’il transporte partout avec soi lui apparaît comme une réalité autoporteuse, qui se constitue et s’affirme par elle-même, qui n’a pas besoin des autres, et encore moins de la société, pour émerger ; son individualité est le lieu même, et l’enjeu constant, de sa liberté, ce à partir de quoi il revendique ses valeurs et ses aspirations, et ce qu’il veut préserver de toutes les contraintes sociales ; il conçoit sa personne comme une plénitude, une réalité dense, un noyau vivant, autonome, qui ne demande qu’à s’exprimer, se déployer, s’épanouir, s’affirmer. Certes, il doute souvent et ressent parfois un malaise, un mal-être, une difficulté à se cerner, une incertitude quant aux voies qu’il a choisies : il doit apprendre à se gérer, à soupeser ses choix, à contrôler ses impulsions. Mais ce doute quant à la manière de conduire sa vie, loin de mettre sa singularité en question, l’amène plutôt à la rechercher plus ardemment, à renouer avec soi, à se mettre en quête des voies et des moyens qui lui permettront d’exprimer sa vraie personnalité, son Moi authentique, son essence, dont des accidents ont pu le faire dévier mais qui l’attend au rendez-vous, qu’il pourra retrouver pour peu qu’il soit attentif à ses désirs enfouis, ou qu’il suive les recommandations de telle ou telle école psychologique ou spirituelle qui lui permettra de dégager son être profond, ses aspirations les plus personnelles. Comme le bébé selon Françoise Dolto, l’individu est une personne et entend se traiter et être traité comme telle : il se définit par ses aspirations, ses désirs et ses droits ; il décide par lui-même de ses choix de

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