Les Violences en Algérie
187 pages
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Les Violences en Algérie , livre ebook

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Description

D'où vient la violence qui déchire aujourd'hui l'Algérie ? Une analyse sommaire voudrait que tout ait commencé avec l'émergence du mouvement islamiste. Comme le montre au contraire ce livre composé de textes parus récemment dans la revue Esprit, les faits qui ont entraîné la situation actuelle sont bien antérieurs et beaucoup plus profonds. Avec Mohamed Benrabah, Abdenour Djellouli, Nabile Farès, Gilbert Grandguillaume, Abdelwahab Meddeb, Olivier Mongin, Lucile Provost, Benjamin Stora, Paul Thibaud, Pierre Vidal-Naquet.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 1998
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738137869
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0650€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les textes composant ce livre ont été publiés originellement dans la revue Esprit en janvier 1995, à l’exception de « 1997 : Normalisation politique et violences massives », version remaniée d’un article paru dans cette même revue en mars-avril 1997.
© O DILE J ACOB , COLL. 1998 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-3786-9
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Introduction

Comment a-t-on pu en arriver là ?
G ILBERT G RANDGUILLAUME 1

Devant l’évolution tragique de la situation en Algérie, une sorte de stupéfaction s’est emparée de l’opinion publique : comment a-t-on pu en arriver là ? Une explication est dès lors présente dans tous les esprits : c’est l’islamisme qui a conduit l’Algérie dans cet état de décomposition où nous la voyons aujourd’hui. L’empressement à se rallier à cette « explication » est ce qui fait problème : outre qu’elle satisfait trop de bons esprits, cette explication n’est pas loin de faire la jonction avec les tendances xénophobes qui sommeillent au cœur de la société, dans une dénonciation facile : les Arabes, les musulmans, les étrangers…
Dans la multiplicité des écrits qui abordent la « question algérienne » – toujours posée après plus de trente ans –, cet ouvrage voudrait tenter de dépasser les analyses sommaires pour essayer de comprendre ce qui se passe dans cette société, et ce qui se passe entre elle et la nôtre. Tenter du moins de poser les questions qui sont habituellement mises de côté.
Un constat initial s’impose : en Algérie, tout n’a pas commencé cette année, ni en 1991, ni en 1988, ni avec l’émergence du mouvement islamiste. Les faits qui ont entraîné la situation actuelle sont bien antérieurs. Seulement, il était de bon ton de ne pas les voir. L’Algérie était devenue indépendante en 1962, la question était désormais sacrée : respecter la souveraineté des nations, ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures, assumer notre culpabilité dans la colonisation et la guerre d’indépendance. Pendant des années, surtout chez les libéraux, il n’a pas été possible d’aller au-delà. Et pourtant…
Qu’en était-il depuis le début de ces questions qui nous paraissent à juste titre si importantes aujourd’hui. La démocratie ? les droits de l’homme ? les libertés publiques ? la liberté d’expression ? la liberté de se réunir, de s’organiser en associations, en syndicats ?
Le problème ici n’est pas d’engager des procès en responsabilité, de réveiller les culpabilités toujours latentes et dont certains savent si bien jouer à l’occasion. Il est certain que l’Algérie vit en ce moment une phase de mutation importante, sans doute plus radicale que jamais, que des processus longtemps refoulés tendent à émerger. Il est d’autant plus important de ne pas se laisser aveugler par les soubresauts de l’actualité que soulignent les médias, pour accéder enfin à cette vérité capitale : il existe une Algérie différente de la France , qui n’est pas « notre Algérie », mais qui demande à être reconnue. Pour éviter toute ambiguïté dès le départ, je dirai que je n’entends pas par là une Algérie islamiste, ni une Algérie « démocrate », je dis tout simplement : ce pays qui est l’Algérie.
Ce qui est tenté ici est donc avant tout un effort de lucidité, de compréhension, certes sympathique, mais conscient de la nécessité de prendre des distances même par rapport à ces attitudes d’esprit qu’engendre « l’amitié ». Ceci est bien entendu lié à la conviction que, aujourd’hui, sont à dire des choses qui n’ont pas été dites, à effectuer des constats qui n’ont pas été faits. Un effort de redécouverte de l’Algérie s’impose, une reconnaissance en soi de ce partenaire, afin de ne pas renouveler indéfiniment les erreurs du passé, d’autant plus regrettables qu’elles sont généralement construites sur le sable de la bonne volonté. Le but de tout ceci est bien entendu d’espérer poser les jalons d’une relation toujours privilégiée, mais avec un autre que nous-mêmes, de poser les jalons d’une reconstruction.

L’heure de la violence
Certes, en ces temps-ci, la violence semble avoir submergé toute réflexion, toute initiative, tout projet. Il ne faudrait plus que parler d’elle, entend-on, c’est le problème à régler avant tout. Oui. Mais d’où vient cette violence ? Est-elle seulement, principalement, celle des kalachnikov qui exécutent dans la nuit, ou aussi, et plus profondément, celle que subit une société sans loi pour se structurer, sans repère auquel s’identifier, sans objet à qui attribuer sa foi, une société déniée en soi, méprisée, trompée en permanence sur ce qu’elle est, sur ce qu’elle sent être : une société qui n’arrive pas à exister telle qu’elle est définie officiellement, parce qu’une vérité sur elle-même lui est constamment refusée ? Dans une telle situation, la violence vient prendre tout naturellement la place de la loi : il y a eu pendant un certain temps une violence officielle, étatique, reconnue : celle de la colonisation, puis celle de l’État indépendant. Il y a aujourd’hui la violence qui conteste l’État, qui provoque la réaction de celui-ci, mais aussi qui se diffuse dans tout le corps social, en subvertissant peu à peu les liens sociaux antérieurs, récents ou anciens.
C’est l’inventaire de tous ces problèmes non résolus , souvent même pas posés, qui est initié ici. Ces textes ne suffiront évidemment pas, mais il faut entreprendre cette tâche. C’est le constat d’ une Algérie qui n’a pas pu prendre possession d’elle-même qu’il faut envisager. L’ayant constaté, il faudra poser la question de la légitimité , de la loi affichée et de la loi pratiquée, tenter de retrouver les mécanismes profonds de cette société. Enfin, c’est la question de la relation avec la France qui doit être réexaminée : la France voit-elle en l’Algérie un autre elle-même, ou peut-elle la reconnaître différente ? À tous ces problèmes, la réponse sommaire est facile, la position officielle est toujours claire, la bonne intention est parfaite, mais qu’en est-il réellement, que nous apprennent les pratiques ?

Une Algérie qui n’a pas pris possession de soi
À la suite d’un séjour prolongé que j’ai effectué en Algérie, je garde l’impression d’une société qui ne s’est pas autorisée à être elle-même. C’est ce que je voudrais expliquer maintenant, mais, pour le faire comprendre d’emblée, j’invente un petit apologue : « Une famille algérienne de paysans, qui vivait depuis des générations sur le domaine possédé par un colon, a, à la suite de la libération, pris possession de sa terre. Elle est maintenant chez elle dans tous ces beaux bâtiments, mais le colon est toujours là : discret – il ne dit rien –, il n’intervient en rien, il serait même sympathique, mais il est là : de ce fait, on n’ose pas parler arabe, on n’ose pas manger avec les doigts, on n’ose pas abattre certains hangars, on n’ose pas faire d’autres cultures, on n’a pas l’idée de faire autrement qu’il ne faisait, on n’ose pas pratiquer certaines magies, on fait ses prières discrètement. Bref, apparemment, il n’est pas gênant, mais si un jour ce regard permanent s’absentait pour de bon, quel soulagement : c’est seulement à ce moment qu’on se sentirait chez soi, en Algérie… »
Pour continuer le même apologue : « Au début, le colon était seul “hôte”. Puis, quelque temps après, des Algériens sont venus, habillés comme lui : costumes, cravates, parlant français, buvant de l’alcool, gens d’autorité. Envoyés par le baylek 2 pour contrôler la gestion des comptes et assurer la direction des domaines “autogérés” des colons, ils sont certes des Algériens, mais très ressemblants aux Français. Au début, ils étaient simplement désagréables parce qu’étrangers à la région et agents d’une autorité externe. Puis on s’est aperçu qu’ils profitaient de leur position pour être arrogants, pour détourner des fonds, pour s’octroyer des avantages, sans par ailleurs compenser ces inconvénients par une compétence particulière. C’était bien le gouvernement de l’indépendance, mais cette famille ne se sentait toujours pas chez elle. De plus, ils représentaient un modèle étrange : était-ce cela l’Algérien nouveau ? »
Mon impression dominante était celle-ci : l’Algérie ne pourrait-elle souffler un peu, cesser d’être obligée d’être moderne, « évoluée », ne pourrait-elle parler sa langue, pratiquer ses coutumes sans que quelqu’un parle de « sciences », de développement, de codes nécessairement sentis comme étrangers. C’est comme si cette société n’avait jamais pu se sentir chez elle dans son propre pays. Pour le préciser, il suffit de passer en revue certains secteurs tels que l’élaboration des lois, l’histoire, l’économie, le paysage et surtout la langue : tous secteurs où il apparaît nettement que l’on n’ose pas – ou que l’on ne se reconnaît pas le droit – de « faire algérien ».

La fabrication des lois
Il y a quelques années à Alger, à un repas officiel, un expert français, se trouvant à côté d’homologues algériens, leur fait part de son étonnement. Il vient de voir la loi que le gouvernement vient de promulguer sur l’environnement. Cette loi reprend mot pour mot une loi française récente. Or, dit l’expert français, cette loi n’est déjà pas applicable en France parce qu’elle devance trop les mentalités. Pourquoi en Algérie n’avoir pas fait une loi adaptée, qui prenne en compte les urgences, qui ne sont pas celles

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