On n'a pas fini de rire , livre ebook

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« C’est grave, docteur ? Depuis le 7 janvier, j'ai des symptômes étranges. Il m’a fallu quelques semaines pour nommer mon mal : j’ai mal à la liberté d’expression. Je ne savais pas qu’on pouvait encore souffrir par là, en France, en 2015.

La liberté d’expression, cette vieille lune. Je ne la respectais plus beaucoup. On a tellement abusé d’elle. Sous sa noble bannière, j’ai toujours vu défiler la dérision généralisée, la haine islamophobe ou antisémite, qui se répondent si bien, toute cette pacotille de rires enregistrés et d’applaudissements de commande, que le système médiatique nous vend pour le comble de l’insolence.



Il n’a fallu que quelques secondes pour que se retourne ma géographie. »



Après le choc Charlie Hebdo, Daniel Schneidermann, fondateur du site Arrêt sur images, raconte ici comment cet événement a bouleversé son rapport à la liberté d'expression, à la laïcité, à l'école, à la justice, aux politiques. Et bien sûr, aux media. En éclaireur, il explore les tiraillements et les effondrements intimes de beaucoup d'entre nous.​


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Publié par

Date de parution

02 mars 2015

Nombre de lectures

12

EAN13

9782754901109

Langue

Français

couverture
pagetitre

Avertissement : Vous venez d’acquérir un ouvrage électronique sur lequel il n’existe aucune protection particulière (sans DRM). Ce choix est délibéré et vise à vous en faciliter la lecture en toute liberté, sur tous les supports (ordinateur, smartphone, tablette ou liseuse). En contrepartie, nous comptons sur vous pour faire un usage strictement privé de ce livre et éviter des duplications intempestives qui nuiraient tant à l’auteur qu’à l’éditeur. Nous faisons le pari que vous respecterez cet engagement tacite et d’avance nous vous en remercions.

SOMMAIRE
À mes nouveaux amis Charlie
Tous les livres d’Arrêt Sur Images

Et le terrorisme tua la blague


Un beau matin, le terrorisme rencontra la blague.

Ce livre s’adresse aux paumés de cette drôle de rencontre. À ceux qui n’ont pas encore compris le film. À ceux qui sont un peu lents, excusez-les. À ceux qui se rendent compte qu’ils ont raté un épisode et voudraient bien savoir lequel. À ceux qui sont tout prêts à faire repentance, mais voudraient bien comprendre de quoi. À ceux qui ont senti qu’on leur arrachait le ventre et avaient oublié qu’ils avaient des tripes. À ceux qui se sentent tout d’un coup les héritiers d’une clameur qui viendrait de très loin, de très profond, savent bien qu’ils la connaissent et voudraient bien la reconnaître. À ceux qui ont honte de reconnaître cette voix qui crie en eux. À ceux qui croyaient qu’une peur pareille, une colère pareille, ça n’existait que dans les films. À ceux qui, à force de ricaner, avaient désappris à rire. À ceux qui jouaient à la guerre et réalisent que ça tire pour de bon. À ceux qui se rendent compte qu’il vaut mieux, tous comptes faits, tourner sept fois sa langue dans sa bouche. À ceux qui déjà ont envie d’oublier, de passer à la suite, de recommencer comme avant, et sentent bien qu’on n’a pas le droit d’oublier et que cette sale blague-là ne se laissera pas oublier.

Paumés, paumées, mes frères, mes sœurs d’armes, voici toute l’histoire : un beau matin de janvier 2015, dans un vieux pays qui ne croyait plus en rien, le terrorisme rencontra la blague.

Il lui fit une proposition qui ne se refuse pas.

Le terrorisme était jeune. Il n’avait pas de cerveau mais pétait de santé. La blague était vieille. De Coluche à Sarkozy, elle en avait fait rire, des générations. Mais elle radotait. C’était une blague un peu mécanique, qui ne faisait plus rire grand monde, une blague de retour, une reine de beauté sans âge, un vieux cheval, mais qu’on gardait dans un coin, en reconnaissance des éminents services rendus, il y a bien longtemps, quand elle pétait de santé, quand elle bouffait le monde.

Peut-être que la blague se préparait à blaguer. À expliquer qu’elle n’était qu’une blague. Mais elle n’en eut pas le temps.

Pop pop pop : le jeune terrorisme descendit la vieille blague.

En quelques minutes, les frères Kouachi sont venus éparpiller mon paysage. Les tueurs n’ont pas choisi de faire un carton au MEDEF. Ni chez les riches, dans les rues privées du XVIe ou de Neuilly. Ils sont venus à Charlie Hebdo. Ils ont tué des dessinateurs. Et en les tuant, ils ont gravé leurs dessins dans le marbre dont on fait les statues, les allégories, les monuments aux morts. Aux yeux de millions de marcheurs puis d’acheteurs dans tout l’Occident, tous ceux qui se sont retrouvés à faire la queue aux petites heures de l’aube pour arracher leur exemplaire, ils ont tranché. Ils ont ratifié la vision du monde de Charb, Luz, Riss, et de leurs amis, mais aussi, derrière eux, de Zemmour, et Finkielkraut, et Hortefeux, et Guéant, et Sarkozy, et Marine Le Pen, et tous les faiseurs de couvertures de L’Express, du Point et de Valeurs actuelles. Ils ont définitivement donné à l’imam, au combattant du djihad, ou au simple croyant musulman, la figure de l’Emmerdeur Majuscule, de l’Oppresseur Suprême, de l’islamonazi — qu’on l’appelle comme on voudra ! D’un petit canard de crobards, qui vivotait dans son coin, ils ont fait un objet sacré, indiscutable, un totem. “Je suis Charlie”, déjà, c’est sous ce slogan qu’on défile, qu’on s’affronte, qu’on incendie des églises. Les Charlie contre les non-Charlie, voilà la guerre de demain. Il n’y a plus de pays développés, d’émergents, de tiers monde. Il y a les Charlie et les non-Charlie. De cette bande de blagueurs qui ne demandaient qu’à continuer à blaguer, ils ont fait des héros panthéonisables. Si demain on transfère Charb au Panthéon, je ne ricanerai pas devant mon poste, j’irai à la cérémonie. Et même pas par peur d’être accusé d’apologie de terrorisme. Et même pas honteux. Voilà où j’en suis.

Kouachi, Coulibaly : ah les cons. Ils nous ont pris par la nuque, comme ils savent faire, et nous ont plongé le nez dans les versets du Coran, pour y chercher si, oui ou non, le prophète avait une bombe dans le turban. La question sociale, la question économique, ces cons-là l’ont escamotée pour longtemps, au profit de savants débats sur le point de savoir si l’on a le droit de dessiner un type qui louche avec un turban et de dire qu’il s’agit du prophète Mahomet.

J’ai dit : courageux. J’ai dit : Panthéon. J’ai dit : ennemis. Et c’est peut-être le pire. Tout ce débat, que nous ne pouvons plus éviter, sur ce qui reste de la “laïcité à la française”, il va falloir maintenant le tenir sous la pression de ces monstres oubliés : le danger, le courage. Prendre telle ou telle position, ce ne sera plus seulement une position plus ou moins intelligente, plus ou moins bien argumentée, plus ou moins juste. Il faudra aussi l’apprécier, cette position, cette blague, sur une sorte d’échelle du courage. Pas seulement intellectuel : physique.

Et la blague, donc ! C’est la meilleure. Depuis le 7 janvier, la blague n’est plus seulement une blague. Elle est le drapeau, et le buste de Marianne, et l’hymne, tout à la fois. Regardez-la, sapée dans les trois couleurs, portée en médaille, toute fiérote qu’on fasse la queue comme aux boulangeries polonaises pour effleurer un coin de sa robe, qu’on soit prêt à se faire trouer la peau pour elle. Ah, les belles cérémonies, qu’on va organiser devant le monument aux morts, la statue de Cabu, Tignous ou Charb, crayons fièrement brandis face à l’obscurantisme, comme les parlementaires américains au discours de l’état de l’Union d’Obama. Allons enfants de la Blague, Notre Blague qui êtes aux cieux, Debout les damnés de la Blague. Il n’est même pas besoin de faire voter un délit d’outrage à la blague : plus personne n’a envie de rire de la blague. Les deux types à kalachnikov qui obligent la dessinatrice à taper le code font irruption dans le bureau et demandent « Où est Charb ? » avant de rafaler la réunion des rigolos, ceux-là habitent notre tête pour longtemps.

Quand on pense que tout a débuté par de sales blagues pipi caca dans Hara Kiri, qu’on lisait en cachette des parents. Et aujourd’hui nous voilà au garde-à-vous, soldats de la blague, derrière Merkel et Netanyahou, derrière le Hongrois Orban et le roi de Jordanie, prêts à partir fleur au fusil descendre du djihadiste comme jadis du Boche ou du fellouze, après la prise d’armes sous la statue de Cabu.

C’est précisément ce point d’impact sur lequel je voudrais revenir, à chaud, avant que son souvenir ne s’estompe, le point d’impact le plus con de toute l’histoire, du terrorisme et de la blague. On trouvera ici, pour retrouver l’effet de souffle de l’événement, les chroniques ayant suivi les tueries des 7 et 8 janvier. Ces chroniques sont suivies d’un texte original, rédigé à tête (un peu plus) reposée, composé de quelques mots à mes nouveaux amis Charlie.

Au jour le jour


7 janvier
Un 11 Septembre intime

Et soudain, le nom de Cabu. Soudain, au milieu des infos encore incertaines1, des bilans contradictoires, de l’affolement des chaînes d’info et de Twitter, soudain le nom de Cabu, parmi les victimes.

Cabu ?

Cabu.

Pas Cabu, tout de même ?

Si. Cabu.

Et pas seulement. Et aussi son vieux copain Wolinski. Et aussi deux plus jeunes, Charb et Tignous. Et huit autres, dont nous ne savons pas encore les noms, mais que nous attendons de connaître.

Mais Cabu, d’abord. Pourquoi Cabu plus que les autres ? Pas pour les séparer dans la mort, bien sûr. Mais parce que Cabu, comment dire ? On a tous grandi avec Cabu. On a tous, au-delà d’un certain âge, grandi avec le grand Duduche et son beauf. On a tous rêvé, comme Duduche, d’embrasser dans la cour la fille du proviseur. C’était l’époque où Cabu ne dessinait encore sur rien d’autre que sur les émois, et les révoltes, lycéens. C’était avant. On a tous grandi avec ce lunaire au cœur tendre, que l’on vient d’assassiner aujourd’hui.

Cabu, Charb, Tignous, Wolinski : qui aurait pu prédire que ces quatre noms, associés dans la mort, nous feraient un jour pleurer, seulement pleurer ?

Cabu, Charb, Tignous, Wolinski : chacun ses symboles. Chacun ses écroulements intérieurs. Comment, au milieu de la réprobation mondiale, que tympanisent les chaînes d’info, exprimer ce sentiment, de vivre un 11-Septembre intime ?

On pouvait discuter les dessins de Charlie Hebdo. On pouvait discuter beaucoup de choses. On pouvait estimer que les dessins de Charlie flirtaient parfois avec l’islamophobie. Ces débats étaient légitimes, nécessaires. Mais, quels que soient les auteurs de la tuerie, que l’on ne connaît pas encore, une ligne vient d’être tracée. Quiconque ne partagera pas sans réserve l’horreur du carnage de ce matin sera tout simplement, désormais, un ennemi.

***

8 janvier, J+1
Ce que vous nous avez arraché

Ah c’est malin. Bravo. Pleine réussite. Voilà qu’on se surprend soudain à pleurer avec Val, quand il pleure ses copains de Charlie. Voilà qu’on se retrouve à République2 à lever nos stylos comme des idiots, en cherchant le réconfort dans les plis de la statue froide où ne s’attardaient plus que les pigeons et dont nous retrouvons soudain le nom.

Ah c’est malin. Voilà qu’on en mesure soudain le prix, de notre petite décadence tranquille, à l’heure exacte où vous voulez nous l’arracher.

Notre démocratie à hoquets qui ne débouche jamais sur rien, notre dérision mécanique, sans fin, notre liberté sexuelle vide, nos futilités, nos inutilités, voilà soudain qu’on les serre contre soi, pas touche à nos trésors, et tu sais quoi ? Je suis Charlie !

Ce que vous nous avez arraché, avec ces bonheurs de l’enfance, nous peinons encore à le mesurer, mais déjà son absence hurle en nous. Ce monde-là. Ce monde d’avant le 7 janvier 2015, où tout semblait encore si bien rangé, même si tout y était tellement dérangé. Cette fin interminable d’un siècle trop heureux, ces années 70 bénies, les filles de Cabu, les pépées de Wolinski, les caricatures de Mahomet, ce droit à l’adolescence à perpétuité.

Ah c’est malin. Ce que vous nous avez arraché, c’est ce temps où l’on pouvait simplement ricaner quand on les entendait, Val, Valls et les autres, mener dans cette alliance contre-nature leurs croisades et leurs guerres plus ou moins revues et corrigées par Carla Bruni et Euro RSCG, agiter leurs moulinets Vigipirate, leurs chiffons de menace intégriste et terroriste, cette menace qui est forte, qui n’a jamais été aussi forte, ce temps où l’on pouvait tout simplement leur tourner le dos, leur dire que ces guerres n’étaient pas les nôtres. Ce temps où nous pouvions, à bon droit, juger a priori suspecte toute unanimité. Ah, ils vont bien nous l’extorquer, maintenant, l’unanimité. Et il en faudra, du culot, pour leur dire « Bas les pattes » !

Ce que vous nous avez arraché, c’est ce temps où nous nous sentions si loin des balles. Ce temps, en nous, où la guerre ne semblait malgré tout qu’un grondement lointain. Où l’on se croyait éternellement à l’abri, dans le refuge des mots et des petits dessins. C’est malin.

***

9 janvier, J+2
Être ou ne pas être Charlie

Pourquoi le cacher ? On est tiraillé par des émotions absurdes. Irrépressibles. Incompréhensibles. Incorrectes. Cette photo, par exemple, d’Obama signant le registre de condoléances à l’ambassade de France à Washington, découverte au réveil. Elle fait du bien. Savoir qu’Obama a écrit « Vive la France », oui, ça fait du bien. Obama ? L’Obama des drones ? Oui, Obama. Et vous voulez savoir ? Dans cette mise en scène grandiloquente, devant l’ambassadeur français au garde-à-vous, devant une croûte qui représente sans doute La Fayette, ça fait doublement, triplement, du bien.

Vive la France. Elle flageolait, la France. On ne savait plus très bien pourquoi continuer à l’aimer. Depuis avant-hier, il me semble qu’on commence à re-comprendre ce qu’on a à défendre. Quand je vous parlais d’émotions absurdes, contradictoires, qu’il faut laisser s’exprimer, sur lesquelles il faut tenter de poser...

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