Sisyphe, encore!
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Sisyphe, encore! , livre ebook

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Description

«Les plus superstitieux pourraient voir dans cette journée sans fin une sorte de sortilège, les plus croyants, eux, la parabole du pécheur « repêché » et délivré du fardeau de ses fautes. Car qui n’a pas cherché l’absolution et l’abolition, même au prix d’une session de rattrapage ? Qui n’a pas rêvé de rayer d’un simple trait tout ce qui nous accable pour se retrouver dans des startings-blocks, à la « page blanche » de l’existence ? De remettre le score à zéro, de revoir sa copie, de rectifier le tir, d’avoir une deuxième chance ? Profitant de sa énième chance, Sisyphe doit éprouver une sensation grisante de toute-puissance proche de celle dont se targuent les tueurs en série.»

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 1970
Nombre de lectures 0
EAN13 9782332713414
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0037€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Couverture
Copyright














Cet ouvrage a été composé par Edilivre
175, boulevard Anatole France – 93200 Saint-Denis
Tél. : 01 41 62 14 40 – Fax : 01 41 62 14 50
Mail : client@edilivre.com
www.edilivre.com

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction,
intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-332-71339-1

© Edilivre, 2014
Dédicaces


A tous les (mauvais) perdants.
Citation


Elle a dit : Je me donne au gouffre, à volonté !
Je suis l’infatigable ; il est l’illimité.
Victor Hugo, Là-haut
Un mot à ma décharge
Il est aujourd’hui impossible de parler de Sisyphe sans citer le nom d’Albert Camus. Ce qu’on oublie souvent cependant est le fait que la dernière partie de son essai est avant tout une interprétation , c’est-à-dire, une déformation (selon le terme de Roland Barthes) d’un récit vieux comme le monde. Mon intention n’est pas de polémiquer avec Camus ni de lui donner raison ni même de commenter sa philosophie (même si je le ferai inévitablement). Mon idée première était de revenir aux sources pour tenter d’enrichir et d’approfondir la lecture du Mythe. Mettre à jour son implicite, sans sacrifier la vigueur à la rigueur, l’instinct et l’intuition à une démarche plus cérébrale. Compte tenu du contexte, on pourrait parler d’une hérésie, si ce type de récit admettait l’existence d’un dogme.
Deux événements personnels m’ont poussée dans cette voie. Une expérience du rythme d’abord, puis celle de la vanité. C’est ainsi que je me suis retrouvée sur les traces d’un colosse qui n’a jamais renié sa stratégie de survie. Homme absurde, conscient, heureux, Sisyphe est surtout un être remarquablement fort, aussi fort que le message qu’il envoie et aussi inépuisable que son mythe. Il est tout sauf un monolithe – et c’est là que commence le paradoxe : ses multiples facettes l’exposant à tous les dangers, cette vulnérabilité ne fait que confirmer sa vocation d’un « compliqué , donc un malchanceux ». 1
1. Roland Barthes, Mythologies , Seuil, Paris, 1957, p. 111.
L’échec et l’excès
La noblesse du héros ne consiste pas à réussir mais à ne jamais abandonner.
Jacqueline Kelen
Qu’elle soit d’ordre spirituel, artistique ou érotique, enfin, qu’elle conjugue tous les aspects comme l’ascension de l’âme vers la beauté éternelle chez Platon, l’élévation est un art qui se pratique dans les règles. L’ascension échouée est le point commun entre Icare le brisé et Sisyphe l’indestructible, entre l’imitateur d’oiseaux et le constructeur d’escaliers gardant les pieds sur terre, jamais en perte de vitesse ou d’adhérence. En grec, l’escalier se dit climax et en italien, la scala , ce qui paraît tout à fait logique. En effet, si le vol d’Icare est une ballade inachevée, l’ascension de Sisyphe est un cantique en moto perpetuo , une sorte de dithyrambe scandé par les allées et les venues, les points culminants et les chutes. A la fois dionysiaque et apollinien, aussi impétueux qu’ordonné, cet exercice à grande échelle semble illustrer l’idée du rythme comme le vainqueur du chaos : c’est « le battement de cœur de l’infini » (V. Hugo), structurant le vers comme l’univers. Il révèle l’exubérance des forces naturelles condensées en art poétique ; la passion même y est soumise à la régularité des strophes successives interprétées par un artiste virtuose (dérivé du latin virtus , lui-même dérivé du vir ). Si Sisyphe n’a pas besoin de se fabriquer les ailes comme Icare, c’est tout simplement parce qu’il les sent pousser. Cet élan vigoureux, cet allegro con brio nous dévoile le côté priapique du héros infatigable au corps ruisselant de sueur : l’eurythmie d’un sex-symbol bissé, né pour gravir les marches et ravir les cœurs, prêt à se donner sans réserve et à consommer sans modération.
Sisyphe est un homme prodigue et probablement (mégalo)maniaque. Mais il a du relief, contrairement au Don Juan de Camus et à ces fous que seule rassure la quantification de toute chose, pour citer un contestataire moderne du conformisme égalitaire. 2 Il fait partie de ceux qui associent, dans l’esprit de Georges Bataille, le généreux, l’orgiaque et le démesuré. 3 S’il multiplie les expériences, les plans, les idées, c’est parce que son existence est sans fond, avant d’être sans fondement. Ce n’est pas par hasard qu’il consacre autant de temps à la pratique de la vision panoramique : monter ouvre des perspectives et permet d’apercevoir d’autres cieux au-delà du septième. Sisyphe participe du mysterium tremendum , mystère d’une vie qui dépasse l’échelle humaine et apparaît comme une « non-vie », 4 l’exploration de ces contrées dont les mortels ne reviennent qu’à titre exceptionnel.
Dans son excellent livre L’éternel masculin. Traité de chevalerie à l’usage des hommes d’aujourd’hui , Jacqueline Kelen passe en revue plusieurs dizaines de personnages mythologiques, en tant qu’exemples de conduite ou vecteurs du désir. Son dessein est particulièrement noble : réhabiliter l’Homme de l’époque qui vise le confort et le non-effort, à l’origine des mâles en mal d’être, « pris dans l’étau binaire salaud-minable ». 5 Il s’agit d’un retour vers les archétypes, ces images ancestrales de l’humanité qui ont marqué la mémoire collective. On y trouve des modèles universels à imiter ou à surpasser, mais aussi des personnages délivrant un message qui bien souvent semble inviter à une réflexion métaphysique. La première vocation du mythe, cette révélation primordiale, était de rattacher, dans un acte à la fois réel et significatif, l’existence humaine aux manifestations du sacré. Ce qui explique, sans doute, son retentissement, sa vitalité et sa puissance qui semblent révéler sa vérité profonde. Difficile de s’en passer encore aujourd’hui, même lorsqu’on les réduit, dans l’esprit de la psychanalyse freudienne, aux projections et aux représentations anthropomorphes de nos expériences. En tuant les dieux, on a le droit de garder les icones, ne serait-ce que pour se souvenir à quoi ils ressemblaient. Un moyen comme un autre de combler la vacance des héros historiques quasiment absents des nouveaux manuels scolaires.
La plasticité et le caractère multidimensionnel du mythe ouvrent la voie à la coexistence des interprétations diamétralement opposées et aux abus idéologiques dénoncés par Roland Barthes. Si pour un adepte de PNL (programmation neurolinguistique), Sisyphe se fait l’artisan de son malheur à cause de ses représentations mentales, c’est-à-dire des blocages créés par son cerveau ( self-fulfilling prophecy ), un psychanalyste évoquera la compulsion de répétition, tandis qu’un tel philosophe dira plutôt qu’il peut continuer son ascension grâce à sa capacité à relativiser la défaite. Sisyphe est-il un homme absurde qui accomplit un parcours aberrant dans un monde désacralisé ou au contraire, un homme religieux paralysé par le mythe de l’éternel retour qui s’oppose à tout progrès ? 6 La polyvalence de ce type de récit va de pair avec son universalité et son caractère intemporel.
Le vingtième siècle a achevé la séparation du mythe du domaine religieux et rituel qui avait longtemps été le sien. Placé dans cette perspective, le Sisyphe de Camus apparaît comme un être trop humain même dans son ascèse. Loin de lui l’idée de se comparer à un astre ou à un ange qui monte et descend sur l’échelle de Jacob. Amputé de tous les « extras », rejetant l’infini au même titre que la fantaisie, les miracles et les promesses, il tient à rester réaliste aux moments où le destin, lui, ne se soucie plus de la vraisemblance. Et pourtant, l’infini n’est-il pas un fait scientifique ? Mais il est aussi ce « seul éternel qui change et qui demeure, qui repose en lui-même et se meut sans repos », d’après le livre de Krishna. 7 Ou bien, selon les termes de Pascal, « la suite des hommes » considérée « comme un même homme qui subsiste toujours ». 8 L’infini, c’est peut-être l’unique lien entre la science et la poésie, la raison et l’imaginaire, le réel et l’idéal, le logos et le muthos . Ainsi, le monde reflété par un regard peut être infiniment beau même sans espoir, ce monde qui offre tout mais ne confirme rien, 9 faisant semblant de nous appartenir. De ce point de vue, le mythe de Sisyphe peut être perçu comme un méta-mythe, le mythe du mythe, jamais figé et recréé sans cesse. En effet, ce héros (qui serait donc une personnification du mythe) vise une réalité hors d’atteinte, « peu saisissable ou mal apprivoisée ». 10 Mais, dans un procédé de mise en abyme, son labeur pourrait également représenter le travail sur le mythe , ce travail titanesque et jamais achevé qui est le thème d’un ouvrage majeur de Hans Blumenberg. 11
Certaines figures mythiques ont la cote pendant les époques des grandes espérances ; d’autres, les figures de crise, ressurgissent aux périodes de vaches maigres, lorsque la gestion des frustrations devient une priorité. Unique dans sa sombre clarté, le mythe de Sisyphe est probablement le seul qui dramatise l’échec tout en dédramatisant ses conséquences. L’autre particularité est liée à sa téléologie fluctuant entre la finalité secrète et l’absurdité appuyée. Le tragique du siècle de toutes les catastrophes a nourri les réflexions des philosophes existentialistes : l’Histoire revisitée sous le signe de l’absurde, le rejet de la dominance des groupes au nom d’un nouvel individualisme, la remise en question de la raison et du progrès, la spiritualité sans Dieu et aussi la recherche du sens dans le non-sens. Toute logique poussée à son extrême se transforme en illogisme. C’est la fin de la pensée rectiligne, unilatérale et invariablement optimiste desservant les idéologies, de la vieille logique aristotélicienne basée sur le principe de la non-contradiction. Sisyphe est le pain béni pour les amateurs des paradoxes.
Plus spécialement, le mythe de Sisyphe s’inscrit dans le contexte particulier de la première moitié du XX e dans lequel la Grèce, la patrie de la tragédie, tient une place exceptionnelle, souvent réfrac

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