Archi-mémoires
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Archi-mémoires , livre ebook

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Description

« C’est arrivé d’un seul coup, j’ai décidé de devenir architecte. La science, l’art, les deux m’attiraient. Pourquoi pas l’un et l’autre ? N’y avait-il pas des lieux de confluence ? L’architecture, sans doute parce que j’en ignorais absolument tout, m’a paru être l’un d’eux. C’est ainsi que je l’ai découverte, puis aimée. J’ai compris qu’on n’était jamais architecte, pas plus qu’on n’est peintre ou poète, mais qu’on pouvait chaque jour le devenir un peu plus. Voilà, c’était il y a cinquante ans. J’ai beaucoup parcouru le monde, dessiné, construit, écrit. Le désir ne m’a pas quitté. Il me faudrait deux ou trois vies de plus. » P. A. Paul Andreu est l’architecte qui a notamment réalisé l’aéroport de Roissy. Il a également signé le musée maritime d’Osaka et l’Opéra national de Pékin. Lauréat de nombreux prix, en particulier le Grand Prix national d’architecture (1977) ou encore le Grand Prix du globe de cristal (2006), il est membre de l’Académie des beaux-arts. 

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 15 mai 2013
Nombre de lectures 3
EAN13 9782738176363
Langue Français
Poids de l'ouvrage 4 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , MAI  2013
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-7636-3
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Mes ouvrages à moi, il s’en faut tellement qu’ils me plaisent qu’au contraire autant de fois que je les réexamine autant de fois je suis par eux déçu et chagriné. J’ai toujours dans l’esprit une meilleure forme que celle que j’ai mise en œuvre, mais je ne peux pas la saisir et l’expliciter.
M ONTAIGNE , Les Essais.
Sommaire
Couverture
Titre
Copyright
Chapitre 1
Chapitre 2
Remerciements
C’est arrivé d’un seul coup, j’ai décidé de devenir architecte. J’avais juste vingt ans et je me demandais à quoi passer ma vie. La science, l’art, les deux m’attiraient. De la première je savais peu de chose, de l’autre rien, mais, dans mon ignorance, je ne voulais rien abandonner. Pourquoi pas l’un et l’autre ? N’y avait-il pas des lieux de confluence ? L’architecture, sans doute parce que j’en ignorais absolument tout, m’a paru être l’un d’eux.
C’est ainsi que j’ai découvert puis aimé l’architecture. Le raisonnement a fait place au désir, le désir à la passion, au travail et même, jusqu’à un certain point au moins, à la patience. J’ai compris qu’on n’était jamais architecte, pas plus qu’on n’est peintre ou poète, mais qu’on pouvait chaque jour le devenir un peu plus. Que ça valait la peine.
Car les clichés n’ont aucun sens. Les savants ne sont pas fous, les artistes ne sont pas inspirés. C’est beaucoup plus simple que ça, ils sont curieux. Insatisfaits au fond, toujours. Alors ils vont à l’aventure, sans jamais trop savoir s’ils découvrent ou s’ils créent. À la recherche de ce qui pourrait les combler, les uns et les autres, et qu’ils aimeraient partager avec tous, la beauté. La beauté de comprendre, celle de rassembler, de construire des idées. Qui vient dans une lumière longue, calme, ou par éclairs. Mais toujours surprenante et nouvelle. Tout ce que nous appelons l’utilité, tout ce qui vient créer et satisfaire nos petits désirs quotidiens n’est que le reflet lointain, multiplié de cette lumière-là. C’est simple. C’est très simple. Les aventures sont possibles. Elles se ressemblent toutes.
Voilà, c’était il y a plus de cinquante ans. J’ai conçu beaucoup d’ouvrages. Beaucoup parcouru le monde, dessiné, construit, écrit. Le désir ne m’a pas quitté, j’ai appris à le reconnaître et à le nommer. J’aimerais dire qu’il me guide. En fait il me dirige. Il m’épuise. Il me faudrait deux ou trois vies de plus. Une pour revenir à la physique, à la biologie, aux mathématiques surtout, dont je sais bien n’avoir visité qu’une part minuscule de leurs constructions extraordinaires. Une autre pour faire encore de l’architecture, je ne sais comment, autrement. Et si possible, mêlée à ces deux-là, une autre vie encore, pour écrire, pour peindre.
Ce qui explique peut-être que je sois parfois, dans les pages qui suivent, sombre ou mélancolique. Au besoin, appelez Baudelaire à mon secours. Relisez Le Voyage . Ou simplement la fin du dialogue de L’Étranger.

“Eh ! Qu’aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
– J’aime les nuages… les nuages qui passent… là-bas… là-bas… les merveilleux nuages !”
C’est au milieu des cartons que j’y ai pensé. Le titre de ce livre que j’ai refusé plusieurs fois d’écrire sur mon travail d’architecte sera Déménagement.
Après quarante ans passés dans divers bureaux, près des pistes, au fond de l’aéroport d’Orly, puis cinq ans dans une minuscule agence proche du parc Montsouris, je partais pour une autre à la Bastille.
Bien des choses allaient changer à nouveau. Était-ce bien raisonnable ? J’avais soixante et onze ans. L’Opéra de Pékin était fini depuis deux ans. Jamais plus je ne ferais quelque chose d’aussi important. D’aussi passionnant surtout. Pourquoi continuer à faire de l’architecture ? J’avais envie de dessiner, d’écrire, mais sans penser à l’architecture. Et même en lui tournant le dos.
Pourtant, c’est ce que j’allais faire, continuer, tous ces cartons pleins de documents me le disaient assez. Continuer, comme ces jouets qui vont jusqu’au bout de l’énergie de leur ressort ou de leur pile, comme ces satellites dont la Terre, qui les tient dans son attraction, récupérera les débris.
Les reins douloureux, les mains salies d’années de poussière, seul au milieu des étagères dégarnies, cela a dû me sembler ce qui me permettrait de fuir ces souhaits trop vagues et ces pensées moroses : j’allais l’écrire, ce livre.
Ce ne serait ni une autobiographie ni un traité d’architecture, encore moins une analyse critique de mon travail. Je ne raconterais pas ma vie, je ne me perdrais pas dans des anecdotes, je ne me justifierais pas.
Ce serait un désordre d’idées et d’événements. J’en avais devant moi le modèle. Des dossiers, classeurs, brouillons, lettres, dessins de toutes sortes, j’avais éliminé tout ce qui m’ennuyait, parcourant seulement ceux que je reconnaissais avec plaisir ou que je redécouvrais. Ils ravivaient ou complétaient mes souvenirs, composaient à eux tous une autre mémoire, comme la mienne usée par endroits, trouée, avec des précisions défiant l’ordre du temps au profit peut-être d’un autre que je ne discernais pas. Écrire pour rendre compte ou expliquer, j’ai dû le faire souvent, comme une corvée nécessaire. Je n’aime écrire que pour découvrir. J’aime penser que ma mémoire choisit à mon insu, que ses lacunes ne sont pas les effets de la fatigue ou de l’âge, mais celui d’une volonté permanente et changeante de création. Le tri que j’avais fait dans mes documents était une autre création, assez semblable dans son principe à celle de ma mémoire et pourtant, à première vue du moins, bien différente. Le livre en serait une troisième, tressée avec les deux premières mais aussi libre qu’elles dans la recherche et la découverte d’un pan de vérité nouveau qui soit bien au-delà de ma petite histoire. Une vérité qui ne soit pas la mienne mais celle que d’autres découvriraient en me lisant. D’une certaine manière, ce serait un roman.
Écrire ce livre est tout à coup devenu possible.
Je l’ai fait avec peine parfois mais bonheur plus souvent. C’est devenu une conversation sur ce qui, dans tous les domaines, me fascine le plus : la création. Bien sûr, alors, il a changé de titre.
*
Déménagement … Pour un peu je me serais mis tout de suite à écrire, ou à penser comment écrire, en oubliant les contraintes fastidieuses du classement des documents, encore nombreux, qui avaient échappé à la poubelle et de leur rangement dans des cartons répertoriés. Mais j’avais passé trop de temps déjà à dresser les piles branlantes qui m’entouraient. Les déménageurs allaient arriver. Ce n’était plus qu’une question de semaines. Il fallait que je cesse d’aller d’une étagère à l’autre à la recherche de documents devenus indispensables seulement parce que j’avais pensé m’en souvenir, que je cesse de lire des rapports oubliés, de parcourir des plans anciens parce qu’un mot, une forme, remarqués par hasard, me faisait espérer une surprise. Je ne devais plus perdre mon temps à me rafraîchir la mémoire ou à m’en imaginer une nouvelle.
Un petit regret s’insinue dans le mur des résolutions, peu à peu le fendille. N’est-ce pas une chance, et qui sait, la dernière, de redéployer cette longue étoffe, mon travail, à la fois feutre et tissage, emmêlements et nœuds, et de la replier comme il faut ?
Quand les piles une ou deux fois recomposées auront été transférées dans des cartons, eux-mêmes transportés puis déballés, c’en sera fini pour longtemps de plonger dans le passé.
Et d’abord, comment est-il structuré, ce passé ? Comme une étoffe, oui peut-être. Continue, est-ce vrai, ou au contraire faite de morceaux cousus, entremêlés, disparates ? Cette étoffe, qu’est-ce que c’est ? Une mue permanente que nous traînons après nous et qui s’use, s’effiloche ?
Selon les moments on se voit comme on peut ou comme on se voudrait, en proie à la grande question de la continuité. Il y a des moments où je m’imagine en branche de corail dont l’extrémité est aussi fragile que la flamme d’une bougie, qui ne la consume pas, mais au contraire la construit. D’autres fois, c’est en nautile que je me vois, un nautile vieillissant, tenant de plus en plus de place dans des chambres toujours plus vastes et qui rêve, nostalgique et un peu ennuyé, à la succession de celles désormais scellées qu’il a occupées. D’autres fois encore, j’aimerais être un poisson. Je l’ai dit un jour à une journaliste chinoise qui m’interrogeait sur mon avenir : professionnellement au moins j’aimerais comme les poissons ne jamais cesser de grandir. Elle l’a répété en mon absence dans le commentaire qu’elle faisait d’un projet de concours regrettable auquel mon nom était associé, ce qui m’a rempli de confusion, pour les poissons autant que pour moi.
Ces divagations me plaisent plus que les rangements. Un peu parce qu’elles m’amusent, bien davantage parce que je crois qu’elles révèlent, par fragments, plus de vérité que les sérieuses mises en ordre.
Pourtant je n’ai jamais été tout au long que sérieux, logique, précis, cohérent. Trop selon certains, dont je crois qu’ils se trompent.
Tissage ou patchwork, corail, nautile ou poisson, qu’importe, ce qui est certain, c’est que le passé récent, papiers et souvenirs, est toujours encombrant. Du moins tant que celui que j’appelle Her

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