Dimanches des rois

Patrick Filleul

Description

Jeannot et Rosalie dirigent, depuis plus de trente ans, un modeste relais routier, perdu au bord d'une nationale. Malgré l'éloignement, la famille excentrique se réunit chaque premier dimanche de janvier. Cette année, leur rituelle fête des rois marque la célébration d'un autre événement : l'un des fils va remplacer son père à la tête de l'entreprise déclinante. Des épreuves imprévues viendront contrecarrer ce projet, et chaque membre du clan devra tourner la page pour rebondir. Acquérir tardivement son indépendance sera, pour certains, une expérience aussi douloureuse que salvatrice.
Racontée au fil des retrouvailles successives, la chronique, entre rires et larmes des mutations, bousculant le parcours d'une attachante tribu fusionnelle.

Sujets

• Architecture

Informations

• Publié par: Edilivre
• Date de parution: 03 mai 2019
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782414342167
• Langue: Français

Extrait

Patrick Filleul

Dimanches des rois

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Tous à table

I

Tous Un discours ! Un discours ! Un discours ! Jeannot Je ne suis pas très doué pour ce genre de chose, mais comme je me doutais que je ne pourrais pas y échapper, j’ai préparé un petit quelque chose. Rassurezvous, ce ne sera pas long.(Il lit) «Mes chers enfants, belle sœur, et neveu, comme chaque année, nous voici tous rassemblés autour de notre rituelle galette des rois. Je ne saurais dire à quel point me tient à cœur cette tradition qui restera dans l’histoire familiale, comme l’unique rendezvous auquel, contre vents et marées, nul ne s’est jusqu’à présent soustrait. Cette année, vous le savez, est la dernière qui me verra régner derrière les fourneaux de l’Eden Paradise,puisque le temps est venu pour moi de jouir d’un repos bien mérité. Après moult hésitations et réticences, je suis heureux de vous annoncer qu’Alexandre a fini par accepter de reprendre le flambeau l’été prochain. Avec son expérience dans le métier et la connaissance qu’il a de ma cuisine, il n’aura aucun mal à me succéder brillamment. Je suis conscient que c’est pour lui un grand sacrifice de renoncer à sa vie actuelle, mais je suis certain qu’il

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ne regrettera jamais son choix et qu’il sera ici aussi heureux que nous l’avons tous été autrefois. Enfin, pour conclure, je formule le vœux qu’il maintienne fidèlement notre rituel de retrouvailles, afin que nous puissions longtemps encore partager cette fameuse galette qu’il est maintenant grand temps de déguster. »(Applaudissements.) Julie Alors, ça y est : tu te lances ? Alexandre Depuis sa pneumonie, papa doit ménager ses forces, vous le savez. Et comme il était hors de question de mettre la clé sous la porte, je n’ai pas eu trop le choix… Clément Vous auriez pu trouver un repreneur… Rosalie On a essayé. Personne n’en veut. Alexandre Tu as vu à quoi ça ressemble l’Eden Paradise? Un relais routier posé au bord de la nationale, une station service en face, sinon le désert sur trente kilomètres. Pas une ville, pas un village, rien. Tu imagines la galère pour l’approvisionnement ! Comment veuxtu que ça intéresse qui que ce soit ? Clément L’emplacement n’est pas si nul : la nationale mène à l’océan, il y a donc une clientèle potentielle à capter sur les périodes de vacances. À mon avis, Le problème vient plutôt des locaux. La plomberie est naze, l’électricité pas conforme,

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la déco totalement ringarde. Bref, tout est obsolète, et de surcroît, à peine propre. Rosalie

Oh !

Jeannot Personne ne s’est jamais plaint de ma cuisine ! J’ai même été cité une fois dans le guide du routard avec la mention « excellent rapport qualité/prix ». Clément Mais l’acheteur éventuel, il s’en fout de ta tambouille ; ce sont les murs qu’il veut acquérir. Vous auriez dû anticiper et planifier des travaux au fur et à mesure. Jeannot De toute façon, le débat est clos, on ne vend pas. Clément Ça ne change rien : si Alexandre reprend l’affaire, il devra opérer de sérieuses transformations pour ne pas boire la tasse. Rosalie On se débrouille, quand même, tu exagères. On a une petite clientèle d’habitués qui nous sont fidèles. Des routiers, des VRP, les employés de la station service… Clément Super ! Vous devez dégager de fabuleux bénéfices !

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Jeannot Rien de grandiose, mais ils nous suffisent. Clément Parce que vous avez peu de besoins et pas d’envies. Vous habitez sur place, les enfants sont élevés, jamais de congés ou presque … Vous vous en êtes contentés, parfait, mais je ne vois pas Alexandre mener une existence aussi étriquée. Alexandre Ça ne regarde que moi, il me semble. Rosalie On l’aidera du mieux possible. Jeannot remettra la main à la pâte de temps à autre ; moi je continuerai le service et la compta. Ainsi, il gardera du temps libre pour sa fichue moto. C’est pas que ça m’enchante, mais on ne va pas revenir làdessus. Clément Si je comprends bien, vous ne videz pas les lieux. Mais alors où vastu crécher, toi ? Alexandre Temporairement, je récupère ma chambre d’enfant. Clément A quarante cinq balais ? On nage en plein délire ! Rosalie Mais c’est du provisoire, on te dit ! Plus tard, on lui laissera l’étage et on ira vivre ailleurs… je ne sais pas… pas

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trop loin quand même, qu’on puisse passer voir de temps en temps … On verra bien… On trouvera une solution. En attendant, Jeannot a viré les anciens meubles et refait les peintures.

Clément Que ne le disiez vous plus tôt ! S’il y a un nouveau papier peint, tous les problèmes sont résolus… Rosalie

On discute, on discute mais ma galette va brûler. Jeannot, viens donc m’aider à la sortir du four.(ils sortent) Julie Tu es content de toi ? Clément Quoi ? Qu’estce que j’ai dit ?

Alexandre Les parents sont très attachés àL’Éden, et toi, en quelques phrases, tu démolis tous nos efforts pour le maintenir à flot Clément

Je n’ai fait qu’exprimer mon opinion. Désolé de froisser des susceptibilités. Alexandre Que tu sois sceptique sur le projet, soit. Mais essaye au moins d’exprimer tes doutes avec moins de brutalité.

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Julie Nous, on est soulagé que tu prennes la suite, tu t’en doutes. Mais, sans vouloir t’offenser, estu sûr d’avoir les épaules ? Alexandre L’avenir le dira. De toute façon, je n’avais guère le choix : je suis sur le point de perdre mon boulot. Julie Ton travail de cuistot à la cantine ? Tu disais que c’était une place en or. Alexandre Plus assez de mômes dans le village : l’école va fermer à la rentrée prochaine. Et comme la commune n’a aucun poste à me proposer, c’est le chômage assuré. Clément Estce une raison suffisante pour s’enterrer dans ce trou ? Ce n’est pas très sain pour un adulte de revenir vivre sur les lieux de son enfance. Enfin, c’est toi qui vois… Alexandre Oui, c’est moi qui vois… Julie Et tu crois que Carole sera prête à venir poser ses valises dans ta chambre d’enfant ? Alexandre Problème résolu : il n’y a plus de Carole. Carole, affaire classée.

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Julie Ah zut, je l’aimais bien cellelà. Tu as quelqu’un d’autre en vue ? Alexandre

Non. Une de perdue, aucune de retrouvée. Julie C’est aussi bien. Vu Le contexte actuel, inutile de s’encombrer. Clément Toujours aussi fleur bleue, ma chère maman… Pas étonnant que tu aies découragé tous les soupirants qui ont succédé à mon pauvre père. Baptiste Clément, tu es le fils de la sœur de notre mère… Emmanuelle Tu es notre cousin. Alexandre Tiens, les jumeaux se réveillent ! Baptiste On t’a vu naître ; un bébé adorable. Emmanuelle On t’a vu grandir. Devenir un gentil garçon.

Baptiste Un peu secret, mais attentionné, sensible et affectueux.

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Emmanuelle Plus tard, tu t’es refermé. Peu à peu, tu es devenu distant. Froid. Baptiste L’âge ingrat, c’est ce qu’on se disait. Emmanuelle Maintenant, tu es un jeune homme accompli. Baptiste Mais la méchante adolescence semble perdurer… Emmanuelle Tu énonces des avis tranchés sur n’importe quel sujet. Baptiste Tu ne montres aucune indulgence envers les défauts ou les erreurs des autres. Emmanuelle Et spécialement lorsqu’il s’agit de ta famille. Baptiste Pire que tout : tu nous prends de haut. Emmanuelle Tu nous juges. Et on pourrait parfois croire que tu nous méprises. Baptiste Aujourd’hui, au lieu de soutenir Alexandre, tu sembles prendre plaisir à le décourager.

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