De la peinture à proprement parler
180 pages
Français

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De la peinture à proprement parler , livre ebook

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Description

"Il y a un paradoxe légèrement provocateur à affirmer que la peinture ne saurait se dire. Est-ce pour s'ancrer en ce paradoxe que le livre commence par une méditation sur la sculpture révélatrice d'espace, détour nécessaire pour approcher par la parole ce qui ne lui appartient pas, la peinture en son essence qui, en désappropriant l'œil, s'ouvre à l'espace plastique révélateur du vide ? Se découvre alors l'unité de créations aussi différentes que celles d'Albert Hirsch, Jean Degottex, Lars Fredrikson, Jacques Clauzel ou Béatrice Casadeus pour ne citer que quelques noms des peintres présentés" (P. Plouvier).

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 février 2011
Nombre de lectures 189
EAN13 9782336280028
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0700€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© L’Harmattan, 2010 5-7, rue de l’École-polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
9782296139183
EAN : 9782296139183
De la peinture à proprement parler

Maurice Benhamou
D’un élément ajouté en sculpture
En l’église San Lorenzo de Florence, dans le caveau des Médicis où se rassemblent, au-dessus des tombeaux, plusieurs sculptures gigantesques de vieillards puissants et austères et de femmes pensives, une lumière grise, un peu poudreuse descend très lentement du haut lanternon de la coupole par où prend le jour cette prodigieuse salle en rotonde consacrée à Michel-Ange. Une houle de lumière et de nuit enlacées transfigure les sculptures dont certaines les personnifient.
Pour qui a le bonheur de séjourner là, seul, le temps long d’une méditation, ce lieu peut donner le sentiment que le monde a un sens. Lequel? L’art ne « dit » pas.
« Le sens du monde est hors du monde » affirme Wittgeinstein ; Adorno renchérit « Celui qui perçoit l’art autrement que comme étranger au monde ne le perçoit pas du tout ». Et le tombeau des Médicis où des géants plus humains que les hommes usent entre eux, au lieu d’une langue, d’un silence vivant est bien, en ce monde, un lieu hors du monde.
Le plus surprenant est que cet ensemble d’œuvres n’en est pas un. Il s’agit à l’évidence d’une seule œuvre insécable dont les éléments sont disposés en cercle c’est-à-dire en une figure qui ne dépend d’aucune et dont aucune ne dépend.
Hors du monde, certes, cette sculpture dont font partie les « groupes », les morts eux-mêmes dans leurs caveaux de marbre, la haute coupole et ses nervures, la lumière grise uniforme et surtout, au cœur de l’œuvre, le vaste espace vide voulu délibérément comme lieu de passage des hommes éphémères dont le vide existentiel met en abyme un vide essentiel et annonce peut-être cet « élément ajouté en sculpture » dont nous parlerons pour des œuvres postérieures de plusieurs siècles.

Cet élément n’est pas présent dans la plupart des sculptures contemporaines qui pourtant usent du vide comme condition même de l’œuvre.
La recherche d’un équilibre des masses, cohérent avec soi-même mais aussi avec le paysage qui fut, par exemple, celle de Moore, passe par une implication du vide. L’œuvre monumentale se troue pour le passage du ciel et des arbres ou bien se scinde en plusieurs éléments massifs qui refont leur unité en contraignant le regard à tenir compte de la présence matérielle de ce vide.
Même l’homme qui marche de Giacometti convoque un espace immense et un vide infini.
Ces formes diverses de la sculpture ressortissent aux arts de la vue même si l’émotion artistique se traduit par des manifestations physiques, battements de cœur, vertige et parfois même, comme dans le caveau des Médicis, ce que l’on appelle la chair de poule qui traduit le plus précisément le sentiment particulier que l’on peut qualifier « d’espace plastique », un type d’émotion identique en peinture et sculpture.

Seuls certains artistes introduisent le passage du corps du visiteur comme « un élément ajouté en sculpture ». Non pas une addition décorative mais une extension réelle de la sculpture elle-même qui devient alors plus qu’un art de la vue, un art cénesthésique – par exemple chez Serra ou Newman – ou du toucher passif chez Sotto.

La sculpture nommée Clara-Clara de Richard Serra trace un parcours de 36 mètres entre deux parois faites d’épaisses lames de métal rouillé de 3,40 m de hauteur. Ces murailles se développent en courbes; et leurs dimensions sont si considérables que d’aucun point de vue l’on ne peut saisir leur forme dans sa totalité – sauf d’un hélicoptère mais alors la forme seulement et non la sculpture dans sa matérialité.
Ce qui apparaît ce sont deux parenthèses orientées au contraire de leur sens habituel – en quelque sorte dos à dos.
Vu de haut, le parcours entre les lames dessine vaguement un sablier et cette forme explique peut-être la force d’aspiration abyssale qui saisit le passant qui s’y engouffre.
Celui-ci est vite perdu. Le rétrécissement du chemin l’angoisse un peu. Les lames ont la couleur de leur rouille. À l’entrée, elles paraissaient perpendiculaires au sol, or, très vite, elles se révèlent penchées, parallèlement penchées, d’une bonne trentaine de centimètres, ce qui, en rendant sensible leur poids considérable, crée un impression de malaise et de menace, en même temps que l’étranglement du chemin ajoute au sentiment d’être pris au piège.
L’idée vient que si les parenthèses avaient été placées dans le bon sens, le visiteur se serait senti comme mis hors circuit par la méthode de l’époké husserlienne qui isole provisoirement un élément du monde pour l’étudier et le décrire, le réduire à ce qu’il est, hors des rapports fonctionnels qu’il entretient avec son milieu. Et le sentiment d’être l’objet d’une attention extrême l’aurait, au contraire de celui qu’il éprouve, rassuré et déchargé de sa solitude et de son angoisse.
Mais peut-être, à la réflexion, les parenthèses sont-elles orientées correctement, et ce qu’elles essaient de tenir entre leurs arcs dans un effort jamais tenté, ce n’est pas l’étroit corridor étranglé, mais l’espace du monde tout entier à l’exception de ce corridor de l’angoisse. Le visiteur, maintenant engagé dans le goulet, se sent non pas tiré hors du monde comme une réalité précieuse, mais abandonné comme un reste à jamais inassimilable à l’univers.
L’énergie créatrice de l’œuvre ne s’exprime plus dans une représentation. Celui qui traverse la sculpture la vit dans une immanence totale. Elle ne se montre pas, elle donne à vivre ses mouvements les plus complexes et les plus audacieux, ses dimensions, son poids. Elle ne s’accomplit vraiment que dans cette sphère d’immanence. Elle n’a pas d’extériorité vraiment saisissable. Le passant conscient soudain qu’il n’est que passant en ce monde, égaré, comme en la selva obscura de Dante, entre ces parois de couleur infernale, dans cette trajectoire gauchie, faussée, déjetée, à l’instar, pense-t-il, de sa vie elle-même, se retrouve comme dans ce Poème de la Création écrit il y a plusieurs millénaires en Mésopotamie « lorsque le ciel en haut n’était pas nommé et que la terre en bas n’avait pas de nom ».

Le parallèle avec les sculptures de Barnett Newman intitulées Zimzoum 1 et Zimzoum 2 se fait naturellement. Deux parois comme chez Serra, mais en accordéon et posées en des sortes de paravents à huit feuilles décalés. Les angles saillants de l’un correspondent aux angles rentrants de l’autre en sorte que le chemin que le passant emprunte a la forme d’un long zigzag régulier.
Le terme de Zimzoum, bien qu’employé aussi en raison de la forme répétée du Z, fait d’abord référence au concept kabbalistique du Tsimtsoum. Newman fut un passionné de la Kabbale qu’il étudia durant plusieurs années en compagnie de Rothko. Ce concept divin caractérise l’acte par lequel Dieu, en vue de ne pas faire obstacle à la liberté des hommes, contracte son essence et se retire du champ humain laissant derrière lui, néanmoins, une trace de sa présence, une odeur, on ne sait, ou une certaine qualité de silence ou ce à quoi peut atteindre une peinture, l’espace plastique ou bien, selon Newman, quelque forme organisée en l’occurrence un angle mystérieux que l’on retrouve presque toujours dans toute ramification végétale.
Aussi le visiteur, enivré, suit-il ce parcours d’homme ivre, de vin, de vie, d’espoir, d’art ou de foi, bien loin de l’état d’abandon qu’il connaît dans l’étranglement du sablier de Serra.
Est-ce lui ou Dieu qui, selon Newman, titube et danse?

Les « Pénétrables » de Jésus Raphaël Soto se présentent comme des volumes constitués de légères tiges assez peu rigides de plastique coloré ou transparent. De toutes façons, l’épaisseur souvent considérable de l’œuvre assure une opacité de moins en moins translucide des bords vers le centre.
L’ensemble occupe parfois la majeure partie d’une salle de musée du sol au plafond auquel les tiges sont fixées, parfois une vaste surface circulaire sur l’esplanade du MAM de la Ville de Paris ou dans le hall d’entrée du musée du Jeu de Paume. L’on peut penser à une œuvre d’« art construit » ou au groupe Zéro de Ueker. Pourtant contrairement à ces œuvres austères et théoriques, ici l’abord est ludique et plutôt subversif par rapport à ces conceptions rigides en lesquelles il compte bien introduire le chaos.
Celui qui se hasarde dans un de ces buissons de plastique d’un jaune criard, par exemple, s’amuse

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