Esthétique du détail
204 pages
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Description

La photographie a engendré une esthétique très novatrice – mais équivoque – du « détail », qui rompt de façon radicale avec l'esthétique classique de la peinture. Un détail photographique demeure irréductible à une partie ou à un élément inséparable de la totalité unifiée d'une image, car la photographie, en raison de la « techno-logique » qui la sous-tend, produit une autonomisation absolue du détail. Mais, à cause des processus technologiques qu'elle utilise, des formes imprévisibles et innombrables d'émergence du détail sont apparues. La capture et le traitement logiciel des images digitales ont même considérablement renforcé l'arbitrarité du détail, y compris – et en particulier – quand la photographie s'empare des « détails » propres à la peinture.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 25 mars 2016
Nombre de lectures 1
EAN13 9782342049923
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0045€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Esthétique du détail
Jean-Claude Chirollet
Connaissances & Savoirs

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.


Connaissances & Savoirs
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Esthétique du détail
 
 
 
Retrouvez l’auteur sur son site Internet :
http://www.jean-claude-chirollet.fr
 
 
 
 
Introduction. « Détail » : entre peinture et photographie
 
 
 
Un adage bien connu dit que « le diable est dans les détails », sous-entendant par cette formule que le phénomène que l’on considère spontanément comme un « simple » détail insignifiant, une broutille secondaire, possède en réalité (si l’on sait être suffisamment perspicace pour les déceler) des propriétés perturbatrices, des caractères disruptifs et digressifs susceptibles de remettre en question le sens et l’unité de l’ensemble dans lequel il est censé s’intégrer de manière homogène. Dans l’histoire de l’esthétique classique de la peinture (et, plus largement, des arts plastiques), la question concernant l’importance relative de la partie par rapport au tout, a toujours été jugée fondamentale, car du statut artistique du « détail » – c’est-à-dire de toute partie spécifique de l’œuvre possédant des qualités remarquables, mais rattachées à la loi d’organisation du tout – dépendent, dans ce contexte, aussi bien l’unité plastique que la signification esthétique et symbolique, reconnues à l’œuvre peinte dans son ensemble. Or, en raison de la puissance digressive possible du détail, autrement dit de sa capacité à rompre l’unité esthétique ou plastique de l’œuvre picturale entière, le détail peut devenir une véritable source de tension, de conflit entre l’intention de rassembler de manière unifiée tous les éléments graphiques d’une composition artistique, et le désir inverse d’attribuer une autonomie esthétique disruptive, un sens énigmatique ou perturbateur, à certains détails particuliers de cette œuvre.
Cependant, si parfois n’importe quel détail iconique peut apparaître, de manière imprévue, comme un élément d’image autonome, digne d’intérêt pour lui-même à cause de son aspect disruptif, incongru ou déstabilisant pour le regard, c’est avant tout parce qu’il résulte d’une sélection subjective de la part de l’observateur, aidé en cela par la photographie qui est devenue le très efficace artisan de la révélation du détail des œuvres peintes – et, plus généralement, de toute sorte de scène visuelle. La question récurrente en histoire de l’art, de nature esthético-philosophique, relative à la définition du « détail » quant à son rapport au tout, théoriquement indivis, de l’œuvre picturale, a été radicalement bouleversée par la technologie photographique, de telle sorte qu’entre peinture et photographie se sont noués des liens extrêmement étroits et même interactifs, qui ont entraîné une formulation inédite des problèmes concernant l’essence et la signification esthétique du détail pictural. C’est la démonstration éloquente du fait que lorsqu’un médium technologique, tel que la photographie argentique ou numérique, s’empare d’un médium traditionnel comme la peinture, et prend en quelque sorte la mainmise sur ce dernier, il est susceptible de transformer intégralement les problématiques esthétiques et philosophiques qui furent celles du médium originel pris pour objet.
L’opinion courante présumant, de manière hasardeuse, la futilité du détail, se voit littéralement balayée sous l’influence déterminante du médium photographique, dans la mesure où les critères d’évaluation subjectifs à l’égard du « détail » sont influencés, voire résolument orientés ou guidés par les moyens techniques de l’imagerie analogique ou numérique, depuis l’invention de la photographie. En particulier, la multiplication des procédés les plus pointus de traitement logiciel des images photographiques, jusqu’en leurs ultimes pixels – points d’image élémentaires –, renouvelle de fond en comble la traditionnelle problématique du rapport du détail et du tout, mettant l’esthétique classique du détail en porte-à-faux. Si le détail « fait toute la différence » (selon une autre expression courante), encore faut-il se rendre capable de le remarquer objectivement, et donc de « l’extraire » du contexte global où il est inscrit de manière latente ou peu remarquable. Une telle intention implique, en particulier, d’exploiter les ressources techniques de la photographie et de la digitalisation des données, dans le but de le mettre en évidence et de le valoriser, toutes méthodes qui possèdent pour effet de relativiser la distinction traditionnelle entre le détail iconique, jugé plus ou moins accessoire ou insignifiant, d’une part, et l’image d’ensemble définie comme un tout organique insécable, seul digne d’un véritable intérêt esthétique, d’autre part.
Pourtant, en dépit ou plutôt en raison même du raffinement technologique de la saisie photographique des images en très haute résolution optique, mais aussi grâce au traitement logiciel, extrêmement précis, des moindres détails iconiques qui adoptent le statut de pures données informationnelles, abstraites de tout contexte artistique, de nouvelles formes de décontextualisation et donc de généralisation esthétique du détail, ont vu le jour. Elles sont à la mesure de l’arbitrarité de la capture analytique du détail, car les algorithmes de codage digital des images, dès la prise de vue, font renaître le sens de la frivolité du microdétail, y compris lorsque la photographie s’empare sans restriction de la moindre parcelle des œuvres picturales, pour révéler les secrets qu’elles gardaient cachés jusqu’alors au regard nu. La photographie, depuis sa période argentique initiale jusqu’à l’époque actuelle du croisement de l’analogique et du numérique, a entraîné la peinture dans une saga mouvementée du détail, qui démontre un renversement du point de vue classique, tout autant qu’une forme inédite de généralisation esthétique du détail. À la fois survalorisé dans sa singularité absolue, insoupçonnée à l’œil nu, et multipliable à l’infini en tant qu’objet codé, le détail photographique atteste d’une forme de subjectivité créatrice inédite. Il incarne, dans son expression extrême, une esthétique de l’arbitraire du détail « absolu », en opposition à l’esthétique classique du détail pictural, considéré dans son rapport nécessaire à la loi d’organisation du tout de l’œuvre d’art.
 
 
 
1. Le détail et l’accident. Le hasard programmé
 
 
 
Plusieurs siècles avant l’invention de la photographie (le daguerréotype 1 fut officiellement présenté en France devant l’Académie des sciences et celle des beaux-arts en 1839), la problématique du détail pictural dans son rapport à l’ensemble, au « tout » auquel il est censé participer (le tableau en son entier), fut le sujet privilégié d’abondantes discussions esthétiques, et plus largement philosophiques, qui jalonnèrent de manière souvent passionnée l’histoire de l’esthétique occidentale classique. La production des images photographiques au moyen de procédés techniques diversifiés (clichés positifs et négatifs sur métal, sur verre ou sur papier), au cours du dix-neuvième siècle, raviva et même amplifia considérablement le très ancien débat concernant la signification du détail en peinture, mais aussi désormais en photographie, dans la mesure où celle-ci inaugura de toutes nouvelles manières de concevoir le détail, en donnant corps et sens à cette notion par le jeu inédit des possibilités techniques illimitées de la photochimie et de l’optique conjuguées.
On sait l’extrême méfiance, voire l’hostilité de nombreux artistes ou critiques d’art du dix-neuvième siècle à l’égard de la photographie, qu’ils considéraient comme une simple mécanique de la reproduction des apparences, source à leurs yeux d’un anti-art trivial. Mais ils redoutaient par-dessus tout que, par une sorte de mimétisme, la photographie ne contamine l’art imaginatif et éminemment spirituel que constituait pour eux, exclusivement, la création picturale. Ils craignaient surtout qu’en définitive l’image photographique ne supplante et remplace peu à peu l’image peinte. Or, leurs arguments relevaient en grande partie d’une critique sans merci de la capacité propre à la photographie de capter et de mémoriser durablement, avec une extrême précision, une quantité innombrable de « détails » que la peinture – art créatif par excellence – se devait au contraire, selon leur point vue esthétique, d’ignorer ou d’oblitérer au profit exclusif de l’harmonie d’ensemble des couleurs, de la lumière et des rythmes graphiques de la composition globale du tableau. Le détail, surtout s’il était rendu graphiquement par l’artiste avec minutie et exactitude, était perçu par ces écrivains et ces artistes, à l’instar notamment de Charles Baudelaire, Eugène Delacroix et Paul Gauguin, comme une sorte de défaut rédhibitoire, voire de handicap esthétique majeur, susceptible de nuire à la bonne perception visuelle de l’ordonnance plastique de l’œuvre peinte et, en conséquence, à la compréhension intuitive de son sens. Car une compréhension pertinente de la peinture relève de la pure imagination, de l’interprétation subjective, mais en aucun cas du réalisme absolu, froid et plat, caractéristique de la précision exacerbée (qualifiée, à juste titre, de précision « mathématique » par les artistes et les photographes de cette époque) des innombrables détails figuratifs, saisis mécaniquement par l’objectif et la plaque photosensible de l’appareil photographique.
Parmi les artistes et écrivains célèbres de la seconde moitié du dix-neuvième siècle redoutant que le réalis

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