La vie des autres
203 pages
Français

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Description

Tout au long de leur carrière respective largement médiatisée, Sophie Calle et Annie Ernaux, artistes contemporaines, ont allégrement transgressé les frontières entre la vie privée et la vie publique. Devant ces transgressions, l’auteure de cet ouvrage s’attache aux questions suivantes : quelles libertés peut se permettre la femme artiste aujourd’hui ? Où, comment, et par qui se dessinent les limites éthiques de la création ? Dans une perspective résolument féministe, elle dégage de la réception des oeuvres de Calle et d’Ernaux les « crimes » dont la critique les accuse, notamment obscénité, impudeur, indécence. À la lumière des représentations souvent stéréotypées de la femme criminelle, elle cible aussi les manières subversives et innovatrices avec lesquelles les artistes ont déjoué les perceptions acceptées de la féminité pour s’assurer une liberté totale, devenant de ce fait des hors-la-loi. Cette étude fouillée, écrite dans une langue précise et ciselée, se nourrit du rapport fécond qui existe entre l’oeuvre d’art et son contexte, entre l’éthos de l’artiste et celui de l’art.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 mars 2016
Nombre de lectures 1
EAN13 9782760635340
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0600€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

LA VIE DES AUTRES
Sophie Calle et Annie Ernaux, artistes hors-la-loi
Ania Wroblewski
Les Presses de l’Université de Montréal
Mise en pages: Yolande Martel Epub: Folio infographie Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Wroblewski, Ania, 1985- La vie des autres: Sophie Calle et Annie Ernaux, artistes hors-la-loi (Espace littéraire) Présenté à l’origine par l’auteur comme thèse (de doctorat – Université de Montréal), 2013. Comprend des références bibliographiques. ISBN978-2-7606-3532-6 1. Écrivaines françaises – 20 e siècle. 2. Calle, Sophie – Critique et interprétation. 3. Ernaux, Annie, 1940- – Critique et interprétation. 4. Transgression dans l’art. 5. Transgression dans la littérature. I. Titre. II. Titre: Sophie Calle et Annie Ernaux, artistes hors-la-loi. III. Collection: Espace littéraire. PQ149.W76 2016 840.9’9287 C2015-942710-C Dépôt légal: 1 er trimestre 2016 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2016 www.pum.umontreal.ca ISBN (papier) 978-2-7606-3532-6 ISBN (ePub) 978-2-7606-3534-0 ISBN (PDF) 978-2-7606-3533-3 Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC).
À Steve
REMERCIEMENTS
Je tiens à exprimer ma gratitude à Catherine Mavrikakis pour son infaillible soutien, sa générosité sans fin et ses conseils avisés. J’aimerais remercier Vincent Lavoie et Benoît Melançon de leur confiance et de leurs lectures éclairées. Merci également à mes collègues et amies, Karin Schwerdtner, Eftihia Mihelakis, Maryse Larivière, Jen Kennedy et Kait Pinder pour nos collaborations précieuses, nos discussions fructueuses et nos débats animés. À ma famille, ma belle-famille, mes amis, je dis merci, thank you, dziękuję. Je ne saurais assez remercier mes très chers parents. Merci à mon père pour son humour et à ma mère, ma fidèle et astucieuse correctrice, d’avoir lu chaque page de cet ouvrage attentivement. Finalement, à Steve Lyons, mon critique le plus perspicace et mon défenseur le plus ardent, je dis: au plaisir de continuer à partager la vie, ensemble, entre l’art, le voyage et la littérature. Merci.
Je remercie également Annie Ernaux et Marc Marie, Vito Acconci Studio et les Éditions Allia de m’avoir gracieusement accordé la permission de reproduire quelques photos. Certaines parties de cet ouvrage ont été publiées ailleurs. Merci aux éditeurs de m’avoir permis de revenir à ces textes, à présent considérablement révisés:
«L’amour sur la scène publique. Sophie Calle, épistolière», Risques et regrets. Les dangers de l’écriture épistolaire , sous la direction de Karin Schwerdtner, Margot Irvine et Geneviève De Viveiros, Montréal, Éditions Nota bene, 2015, p. 209-229.
«Séduire pour mieux détruire. Un portrait de l’écrivaine en Don Juan», MuseMedusa , dossier 2 (2014), < musemedusa.com >.
«Rewriting the Feminine: Sophie Calle and Annie Ernaux Experience and Exploit the Absolute Crime», Experiment and Experience: Women’s Writing in French 2000-2010 , sous la direction de Gill Rye et Amaleena Damlé, Oxford, Peter Lang, coll. «Studies in Contemporary Women’s Writing»,vol. 1, 2013, p. 43-57.
Cet ouvrage a bénéficié de la contribution financière du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, de la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université de Montréal et du Département des littératures de langue française de l’Université de Montréal. Ils en sont tous remerciés.
INTRODUCTION
Sa mère est malade, elle doit se faire opérer. Elle a une boule dans le sein qui est peut-être cancéreuse. J’ai pensé que c’était de ma faute. Que c’était à cause du livre, que je l’avais tuée. Comme après la sortie de L’inceste quand mon père est mort.
Christine A ngot , Les petits , 2011
On oublie trop facilement ici le martyre qu’a dû vivre le criminel.
Marguerite D uras , L’amante anglaise , 1967
Toute œuvre d’art est un crime non perpétré.
Theodor A dorno , Minima Moralia, 1951
Le désordre. Pêle-mêle, dans le couloir reposent des vêtements – pantalons, escarpins, soutien-gorge en dentelle, chaussures de travail – jetés par terre comme à la hâte. À l’intérieur de la chambre, un pyjama foncé s’engouffre entre les deux lits simples défaits. On dirait un corps. Derrière le bureau, des feuilles s’éparpillent; du porte-crayons renversé se dispersent ici et là une dizaine de stylos. Tout autour du verre cassé dans la salle de bains s’étendent les bris de glace. On s’efforce de trouver des traces de sang. À côté d’un objet mystérieux enveloppé dans un sac en plastique noir est posé un petit marteau, objet qui aurait pu une fois servir d’arme. Dans la cuisine, un grand chaos: des chaussons et des torchons traînent sur le sol, le comptoir est plein, la poubelle déborde, et la bouteille d’eau de Javel, un blanchissant efficace, patiente près de l’évier. Le journal, ouvert à la page où est tracé à la main le plan de la maison, semble confirmer ce qu’on soupçonnait déjà: ces images documentent la scène d’un crime.
Sûrement s’agit-il d’un crime sexuel. On s’imagine tout de suite une attaque-surprise prenant au dépourvu une femme insouciante, assise à son bureau en train d’écrire ou s’affairant dans la cuisine. Le criminel l’avait-il traînée dans la chambre à coucher pour la violer dans l’intimité de son propre lit? La victime a probablement été déshabillée en cours de route. Il est possible qu’un scénario différent se soit joué dans ces lieux. Une soirée paisible et romantique a mal tourné pour des jeunes amants, l’un avait peut-être suscité la jalousie de l’autre en prononçant le nom d’une ancienne flamme ou en recevant un texto inopportun. Les photos chargées de sexe et de violence semblent attester cette sorte d’interprétation. D’elles se façonnent les images floues d’un dîner interrompu par la colère, des ébats transformés en une lutte mortelle. Il se peut aussi que les photos ici reproduites documentent les vestiges d’un moment de folie domestique entre époux. La furie était-elle venue comme un éclair semer un trouble que seule l’eau de Javel aurait pu nettoyer?


Les théories possibles sur les gestes qui ont animé ces chambres vides sont presque illimitées car les clichés en question constituent l’index d’un phénomène qui imprègne toutes les facettes de l’imaginaire actuel – de la littérature à la télévision en passant par l’art contemporain et les médias –, à savoir le crime. Tirées des projets de Sophie Calle et d’Annie Ernaux, les créatrices françaises sur lesquelles porte cette étude (et non pas, comme on pourrait le croire, des archives d’un bureau de police), ces photos signalent l’avènement dans la littérature et l’art français d’une esthétique du crime qui est peu exploitée par les femmes (figures 0.1-0.4). Hors contexte, on ne peut pas différencier les photos de Calle et celles d’Ernaux; elles relatent ensemble un conte sordide de la passion et du meurtre. Remises dans les œuvres auxquelles elles appartiennent – L’hôtel (1984) de Sophie Calle et L’usage de la photo (2005) d’Annie Ernaux et Marc Marie –, les photos illustrent des scénarios qui touchent eux aussi au délit. Calle est l’auteure des images le plus directement liées au crime. Selon la mise en scène de son projet, elle les a acquises de façon illégale: l’artiste travestie en femme de ménage a photographié dans les chambres d’hôtel à sa charge le lit dans lequel disparaît l’esquisse d’un cadavre, le marteau à tuer, la salle de bain parsemée de pièces coupantes et le journal où est dessiné le schéma d’un crime à venir. Quant au second lit dévasté, au bureau ravagé, au couloir peuplé d’habits, et à la cuisine en désordre total, ce sont des lieux – photographiés comme des scènes de crime – où Ernaux et Marie ont apparemment fait l’amour. Qu’il le veuille ou non, face aux photos exposées par les deux créatrices, le lecteur-spectateur est transformé en voyeur et se trouve lui aussi, ne serait-ce que de façon symbolique, voire artistique, mené sur le chemin de la criminalité. Michel Porret, spécialiste des réformes judiciaires instaurées à la fin de l’Ancien Régime, corrobore cette hypothèse: «Sur les lieux du crime, l’auditeur devient parfois l’arpenteur du vice et des sévices 1 .»
En fait, il n’est pas fortuit de rapprocher l’art du crime. Telle est la nature humaine que ce dernier, le crime, constituera toujours une source abondante et inépuisable, pleine de sang et d’intrigues, dans laquelle puisera à volonté, le premier, l’art. En témoigne le fait divers, l’événement d’actualité qui réclame particulièrement fort d’être inscrit dans la fiction. Le fait divers fait non seulement «diversion», comme l’affirme Pierre Bourdieu dans Sur la télévision (1996), mais il représente aussi un point de départ propice à la création. Inversement, il arrive parfois que l’on dise inégalable la beauté d’un meurtre commis de façon spectaculaire, inattendue. C’est ce que satirise Thomas de Quincey dans son essai célèbre De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts (1854) et c’est le problème que Jean-Michel Rabaté pose dans son étude Étant donnés: 1° l’art, 2° le crime: la modernité comme scène de crime :
L’autonomie exigée par l’esthétique signifie que l’œuvre d’art devient sa propre fin et sa propre réalité. Quand le meurtre devient de l’art, il montre de manière hyperbolique que l’art est prêt à «tuer» toute réalité afin d’affirmer ses propres lois. L’œuvre d’art ainsi entendue devient une fois pour toutes réflexive. Sa signification liée au déploiement de procédures formelles, elle met entre parenthèses toutes les autres considérations et ne reconnaît la législation d’aucu

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