Le visible et l imprévisible
219 pages
Français

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Le visible et l'imprévisible , livre ebook

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Description

Reconstituer le procès de mise en oeuvre n'est pas faire de la génétique picturale mais établir l'oeuvre elle-même. Le critique n'a plus à porter un jugement arbitraire et souverain sur un tableau. Son rôle consiste à faire apparaître les problématiques auxquelles le peintre se confronte, à déjouer les configurations de sens fini et les approches totalisantes. Comment, demande-t-il, rejoindre la peinture au-delà du tableau? Il faut partir d'autre chose que ce que nous voyons. Il faut partir de ce que nous vivons. De ce que nous éprouvons devant certaines peintures. Des manifestations physiques de notre émotion.

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Informations

Publié par
Date de parution 01 mars 2006
Nombre de lectures 39
EAN13 9782336279503
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0800€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

www.librairieharmattan.com diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr
© L’Harmattan, 2006
9782296001237
EAN : 9782296001237
Sommaire
Page de Copyright Page de titre L’espace plastique
I II III IV - Quatre peintres de la couleur tensive
Pratiques
Mark Rothko - Une peinture d’Apocalypse Martin Barré Anna Mark - Une géométrie existentielle Max Wechsler Béatrice Casadesus Jacques Clauzel Dans la lumière noire de Jacques Clauzel Claude Chaussard Thierry Le Saëc Anne Slacik - Une esthétique sensitive Colette Deblé - La traversée des images Brion Gysin Joël Leick Albert Hirsch Jean Degottex
Entretiens
Peindre ce qui ne peut se voir L’atelier de Béatrice Casadesus Entretiens avec René Guiffrey - (extraits) Peindre sans savoir quoi Entretien avec Lars Fredrikson Les Chattigraphies de Jean Degottex
Notices Du même auteur
Le visible et l'imprévisible

Maurice Benhamou
L’espace plastique
I
Au-delà de l’approche perceptive et discursive d’un tableau, l’on peut s’intéresser à sa genèse, à sa généalogie, à d’autres points de vue. Aucun ne nous fera accéder directement à son espace plastique.
De même l’étude botanique d’un arbre n’a rien à voir avec le vent qui souffle dans la ramure.
Pourtant si nous voulons « voir » le vent, nous devons scruter avec la plus extrême attention les mouvements des branches et des feuilles car ce n’est que par eux qu’il se révèle.
Ce n’est peut-être pas la beauté d’un arbre secoué par la tempête qui nous touche mais l’informe du vent que l’arbre mieux que tout autre objet est apte à nous montrer.
C’est avec la même exaltation mêlée de crainte que nous allons à la rencontre du vent et que nous nous élançons vers cet espace non du tableau mais de la peinture elle-même qui nous fait signe à la frontière, toute proche, du visible.
Distinguée de l’espace pictural où s’élaborent les formes, quelle est la nature de l’espace plastique ? Le définir ? Nous n’en avons pas une connaissance, mais seulement une épreuve. Le regardeur qui aurait la volonté d’y accéder devrait d’abord lutter contre son propre regard.
Le regard tient les choses à distance, les repousse pour les reconnaître et les comprendre. Or notre rapport à cet espace plastique qui, lui, n’offre rien à lire ni même, dans un certain sens, rien à voir, est plutôt d’ordre fusionnel. L’on pourrait dire des chefs-d’œuvre ce qu’un mystique disait de Dieu : « La compréhension est une entrave. Il faut lui échapper. Gardez-vous de dire que vous avez compris ! La compréhension est de ne pas comprendre. » Peut-être notre lien le plus profond avec une œuvre est-il une sorte d’acte de foi.
Ainsi, l’exégèse bien menée d’un tableau n’est-elle pas celle qui prétend l’expliquer mais celle qui donnerait envie d’approcher la peinture. Or il est très difficile d’y parvenir. L’image fait obstacle et toute forme fait image. Figurative ou abstraite d’ailleurs (le carré blanc de Malevitch n’est évidemment pas une abstraction mais l’image d’une figure abstraite).
Comment dès lors rejoindre la peinture au-delà du tableau ?
Il faut partir d’autre chose que ce que nous y voyons. Il faut partir de ce que nous vivons. Du vertige que nous éprouvons devant certaines peintures. Des manifestations physiques de notre émotion.
Quand nous frissonnons, que nous ne savons plus où nous sommes, nous sommes au cœur de l’espace plastique. « Ni espace réel ni espace imaginaire, cet espace n’a pas d’équivalent repérable », disait le peintre Jean Degottex.
Le véritable but du peintre, et au fond le seul, est de parvenir à faire éprouver l’espace plastique de son tableau.
Mais quel est le rapport entre ce que nous lisons du tableau et ce que nous vivons de lui, autrement dit entre l’espace pictural et l’espace plastique ou, plus largement, entre la forme et l’informe en peinture ?
Il y a quelques années, une belle exposition au Centre Pompidou, intitulée « L’informe », présentait des tableaux de Dubuffet, Fautrier, Pollock et de bien d’autres qui pouvaient représenter une sorte d’antiformalisme. Mais n’y avait-il pas quelque impropriété à parler d’informe ? Ce n’est pas parce qu’une forme n’est pas géométrique ou maîtrisée d’une façon quelconque qu’elle est informe pour autant. Un nuage n’est pas informe, les mathématiques fractales en fournissent des modélisations.
Non pas que ces tableaux ne possèdent pas un informe. Mais ni plus ni moins que d’autres. L’informe véritable, Plotin le remarquait déjà, ne peut apparaître à peine de devenir forme. On ne peut l’approcher qu’en le piégeant. Il ne passe qu’en contrebande. Mais alors n’importe quelle forme se prête à ce jeu. Et peut-être une forme géométrique plus facilement qu’une forme dite informe.
L’informe est un chaos. Il constitue la présence inexprimable de l’œuvre. Non descriptible, non saisissable mais dont l’intensité peut nous faire défaillir.
L’une des conséquences de ce point de vue est qu’aucune peinture considérée dans son espace plastique n’est photographiable.
On entend fréquemment regretter que, dans telle peinture, des effets de matière, de texture ou des effets produits par la combinaison de différents médiums ne peuvent paraître à la reproduction, sous-entendant que d’autres aspects passent quand même. Nous disons que rien de l’espace plastique qui est l’âme du tableau n’y peut paraître. L’espace plastique est une alchimie où entrent tous les éléments d’un tableau y compris d’abord le format.
L’œuvre n’abandonne à la photographie que ce qui lui est inessentiel, c’est-à-dire ce qui peut passer d’un mode d’expression à un autre ou que, sans dommage pour son espace plastique, on peut lui retirer, comme, nous le verrons plus loin, le fera Cézanne regardant les Noces de Cana de Véronèse.
Dans le courant contemporain « minimaliste » qui cherche à offrir un accès presque direct à l’espace plastique avec le moins possible d’artifices picturaux, cela apparaît d’autant plus vrai. Et voir un carré blanc réel donné pour reproduire un Ryman, même à titre documentaire, me semble un contresens total.
Si l’on pouvait retirer à la Joconde son image inessentielle, celle qui, reproduite ad nauseam , est devenue le plus éculé des clichés culturels, que resterait-il ? Que serait le sans-image de la Joconde ?
Un sourire sans Joconde comme celui du chat de Lewis Carroll, le jeu des lumières et des ombres, très fortes ou plus douces et le nuage de sfumato dont la photo ne peut saisir le caractère impalpable : peut-être le sentiment de la beauté vivante et celui de la mort mêlés. Le regardeur qui serait capable d’accéder à ce sans-image de la Joconde (et cela ne serait éventuellement possible qu’en présence de l’œuvre elle-même non-voilée par la transparence d’un verre et dans des conditions telles qu’il puisse être seul avec elle loin de la foule des badauds) pourrait faire, de cette chose morte qu’est devenue la Joconde, je ne dis pas une chose vivante car ce serait un abus de langage, mais une non-chose ou plutôt quelque chose d’un autre ordre que celui des choses, hors de l’espace, hors du temps.
Autrement dit, il y a dans les chefs-d’œuvre quelque chose d’éphémère et d’immatériel qui contredit ce qu’ils ont d’immuable et de définitif. Encore faut-il pour y accéder que notre corps, nos sens, entrent en résonance avec le tableau lui-même ou plutôt avec le chaos de sa peinture. Or nous ne sommes pas toujours aptes à le recevoir. Un tableau n’est donc jamais une certitude.
C’est précisément à ce niveau que Proust sait approcher l’œuvre d’art.
Que Bergotte se soit attaché, dans le tableau le plus grand de Ver Meer à un minuscule détail, un petit pan de mur jaune, et même pas à la couleur de ce fragment, mais à la seule matière de la couleur, ne signifie pas du tout qu’il faille émietter l’œuvre pour y accéder ni même qu’il soit possible de le faire. Proust veut plutôt montrer la difficulté d’atteindre l’espace plastique qui le plus souvent ne fuse que par un interstice, un bord, en déjouant l’impérialisme de la figure. En lui-même, le petit pan n’a pas d’importance. Ce pouvait être n’importe quel site de l’œuvre et Bergotte pouvait découvrir que cette précieuse matière est celle du tableau tout entier et peut être celle de l’ensemble des tableaux de Ver Meer, qu’elle est en fait la vérité de cette peinture. Il connaît parfaitement la « Vue de Delft », il n’est revenu la voir que parce qu’il a lu un article qui mentionnait le détail de ce petit pan de mur jaune et qu’il a eu alors l’intuition de tenir une clef. Ce qu’il ne soupçonnait pas, c’est le risque que peut comporter parfois la rencontre avec le pur espace plastique ; Proust décrit parfaitement l’implication du corps dan

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