Le puzzle

Hervé Guillemot

Description

Dans le pays, une vaste enquête est menée auprès de l’ensemble de la population en vue d’établir les Certificats de Conformité Communautaire . Pour les Autorités, il est indispensable de mesurer le degré d’adhésion de chaque citoyen aux règles collectives mais aussi celui de dangerosité ou de non-dangerosité pour la société. Ainsi chacun est-il interrogé sur sa vie, son enfance, son parcours… C'est le sondeur Bruno Scapa qui est en charge du dossier d'Horacio Cuisenère, cireur de chaussures, travailleur indépendant, très indépendant .... Au départ, le dialogue s'installe de manière formelle, mais au fil du temps, les échanges entre le fonctionnaire zélé -très zélé- et le citoyen solitaire au passé trouble -très trouble- deviennent de plus en plus complexes. Un véritable jeu du chat et de la souris : entre rapports de force, de pouvoir, d'influence, semi-vérités, mensonges, tentative de manipulation, évitements, contournements et fausse bonhomie, etc.. La rencontre entre les deux hommes prendra finalement une tournure surprenante et inattendue.

Informations

• Publié par: Les Éditions du Net
• Date de parution: 01 février 2016
• Nombre de lectures: 2
• EAN13: 9782312041636
• Langue: Français

Extrait

e puzzle
Hervé Guillemot
Le puzzle












LES ÉDITIONS DU NET 22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
La pièce « Le puzzle » a été créée
le 4 juillet 2015
au Théâtre AL ANDALUS , dans le cadre du Festival Off d'Avignon

Une production de la
Compagnie POMPES & MACADAM

Mise en scène : Adeline MAISONNEUVE

Régie : Alain CASCARINO

avec
Arnaud ALLAIN
dans le rôle de Bruno Scapa

Hervé GUILLEMOT
dans le rôle d' Horacio Cuisenère



© Les Éditions du Net, 2016 ISBN : 978-2-312-04163-6
Acte I

Début de matinée chez Horacio Cuisenère, cireur de chaussures de son état, la soixantaine. Pièce principale de son domicile, à la fois salon et atelier. Deux grandes étagères aux murs : l’une pleine de chaussures en tous genres, de chiffons et de brosses, l’autre de flacons, de fioles et de pots de produits, ainsi qu'un pantin désarticulé, très abîmé et manifestement rafistolé, de Pinocchio; des étagères chargées mais très bien rangées. Côté jardin, en avant-scène, un fauteuil de cuir très patiné et très confortable, Côté cour, plus en retrait, une haute chaise de cireur. Horacio Cuisenère, éclairé par une douche, cire avec application une chaussure, les mains gantées de gants extra-fins… En musique de fond, l’orchestre de Glenn Miller joue ses standards.La pièce débute quand intervient, en voix off, Bruno Scapa, enquêteur-sondeur, depuis un autre lieu, par ligne et haut-parleur…

Scapa
Hum, hum… C’est bon, Monsieur Cuisenère, vous êtes bien installé ? Confortablement ? Je peux vous poser ma première question ?
Cuisenère
Je ne suis pas « bien installé » ; je suis à mon poste de travail quotidien, chez moi…
Scapa
Pardon, pardon… Je ne vous entends pas très bien…
Cuisenère
Je disais que je ne suis pas « bien installé » ; je suis juste chez moi, je travaille et je me prépare à une rude journée !
Scapa
Oui, oui !... Et j’ai bien compris que vous ne souhaitiez pas faire face à votre caméra d’intérieur, que ce n’est pas le moment et que nous nous verrons plus tard, etc.
Cuisenère
Ce n’est pas une question de souhait ni de confort, Monsieur…Monsieur ?… Je n'ai pas retenu votre patronyme…
Scapa
Scapa, Monsieur Scapa.
Cuisenère
Bon ! Eh bien, Monsieur Scapa, je suis tout à fait disposé à répondre à vos questions -même si je n’en saisis pas vraiment la finalité- mais je dois avancer dans mon travail… J’attends une importante commande dans les jours qui viennent !
Scapa
Ok, ok !... Nous ferons une exception pour vous !... En revanche, vous serait-il possible de baisser un peu, voire complètement, le volume de la musique : nous nous entendrons mieux et resterons bien concentrés tous les deux…
Cuisenère
Justement, moi, la musique me permet de me concentrer ! … (Se levant sans bonne grâce pour couper la musique) : Mais enfin, j’imagine que je n’ai pas le choix…
Scapa
Mais si, on a toujours le choix, Monsieur Cuisenère !...Merci… La preuve, votre métier… pas banal : vous êtes mon premier cireur de chaussures !
Cuisenère
Il n’y a pas de sot métier, Monsieur Scapa !
Scapa
C’est sûr !… Et j’avoue que « Profession : Cireur-Glaceur », ça en impose… A vous voir dans votre « atelier de lustrage », on comprend que l'on est loin du petit cireur avec sa boîte miteuse, assis sur son ridicule tabouret qui fait la manche au coin de la rue !
Cuisenère
Ah, les clichés ont la vie dure !… Mais pourtant, vous savez, il est lui aussi un vrai artisan, ce « mal-aimé » cireur des rues!
Scapa
Probablement parce que nous « mal-aimons » nos godillots et vieilles savates, ah ah ah !! Mais à propos, Monsieur Cuisenère, dans votre dossier, vous ne précisez pas si vous avez une spécialité ?
Cuisenère
Non, pas de spécialité ! A l’exception des sandales, j’accepte tout ce qui chausse -enfin, en cuir, bien entendu : du mocassin à la botte et à la cuissarde, en passant par l’escarpin, la derby, la bottine et tutti quanti !
Scapa
Pas la sandale, donc ?
Cuisenère
Oh non !... Avez- vous déjà essayé de cirer et lustrer toutes les lanières d'une sandale? Rien de plus exaspérant !... Et puis, vous savez à quoi elles me font penser?
Scapa
Quoi, les sandales?
Cuisenère
Non, les lanières !
Scapa
Heu…Non !
Cuisenère
A un martinet !... (Enervé) C’est un cauchemar ! Comme si un client venait me fouetter avec ses sandales !... Non, non, j’ai passé l’âge de ces bazars qui ne sont même pas des chaussures !... ( Se calmant ) : De même que j’ai passé l’âge de la rue, du centre commercial ou du hall de gare !… Moi, je cire « à domicile » !…à MON domicile !... Je ne me déplace plus depuis plusieurs années, et je ne m’en porte pas plus mal, je vous assure !
Scapa
Je veux bien vous croire, moi qui suis en permanence sur les routes, quand je ne suis pas derrière les écrans et caméras !
Cuisenère
A chacun son destin Monsieur Scapa!... Bon, mais enfin, vous n’avez pas établi cette ligne pour parler cirage de chaussures, hein ?… (Avec une pointe d’ironie) : Votre domaine à vous, c’est le sondage, en observateur attentif et avisé de la « nécessaire harmonie communautaire », si je m’en réfère à la présentation très officielle de votre mission, non ? Un engagement autrement plus noble et utile à la société que l’entretien des chaussures, n’est-ce-pas ?
Scapa
Je sens une subtile pointe d’ironie dans votre ton, mais vous l’avez dit, « à chacun son destin »…( Un court temps )...Bon, je crois que nous nous sommes suffisamment « ciré les pompes » mutuellement, Monsieur Cuisenère, non ?
Cuisenère
Excellent !!
Scapa
Merci !... Vous avez raison, il est grand temps d’avancer… Quant à la « finalité » de ma mission, il s’agit, vous le savez, du futur Certificat de Conformité Communautaire !... Et cela grâce à la plus vaste enquête jamais entreprise auprès de l’ensemble de la population de notre Communauté !
C uisenère
Ah, c’est donc bien cela !
Scapa
Oui ! Pas un individu de notre territoire n’y échappera !... A la fois sondage, recensement, catalogue des comportements, opinions, choix de vie de chacun d’entre nous et donc de tous !
Cuisenère
Quelle perspective exaltante !... (Feignant d'être impressionné) : Et certainement pour vous, qui en êtes l’un des acteurs, sur le terrain !… Je comprends votre enthousiasme !...
Scapa
N’est-ce pas ?... Commençons donc… Alors, votre premier souvenir d’enfance ?
Cuisenère
Mon premier souvenir d'enfance, c'est cela ?…
Scapa
Oui !
Cuisenère
Mon TOUT premier souvenir ?
Scapa
Oui, oui, ce que vous avez de plus ancien, enfoui dans de votre mémoire…
Cuisenère
Ce devait être… (Il suspend un instant son travail, et fait manifestement un effort de mémoire)... cinq ou six jours… non, peut-être un peu plus tôt, sept ou huit jours avant ma naissance…
Scapa
Ah tiens ? Singulier, cela !
Cuisenère
Oui !… Ma mère en fin de grossesse, ne montrait aucun signe d’impatience… Elle était très calme et très câline avec moi, elle me caressait abondamment à travers son ventre… (Dans un sourire) : Moi, le plus souvent, je lui répondais en tendant, une main ici, un pied là !... Et elle, elle essayait de m’attraper, enfin, vous voyez !…
Scapa
Oui, oui, je vois !…
Cuisenère
Vous savez, elle était jeune, même pas vingt ans, mais déjà très adulte dans sa « gestion » de moi!… Elle veillait sans cesse à ce qu’il y ait le moins de bruit possible autour de nous… Et puis, elle fredonnait des ballades, des berceuses… Oui, je m'en souviens d’autant mieux, que c’était une vraie catastrophe !… Entre nous, elle chantait comme un pied !
Scapa
Allons donc !
Cuisenère
Oui, oui !... Mais je vous rassure, je ne lui en ai jamais voulu ! … Je trouvais cela plutôt sympathique… (Un temps) ... Jusqu'à ce jour, où je l’ai