Audimat N° 12
168 pages
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Description

Audimat éditions publie des textes critiques, sensibles et politiques, des contre-récits, de l'esthétique sauvage.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 01 janvier 2023
Nombre de lectures 0
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Extrait

Une revue éditée par LES SIESTES avec l’aide du CNL. Novemrbe 2019.

Sommaire

17
L’âge de platine du rap new-yorkais
Raphaël Da Cruz

55
La démocratie du Top 40
Eric Weisbard

105
Songs of Myself
Robin James

125
Sublime et ridicule
Cyrille Martinez

137
Précipités de lenteur
Matthieu Saladin

Édito

En mars dernier, le grand-petit-milieu du journalisme
culturel américain s’affolait en voyant la cha Old Town nson «
Roadu» d rappeur Lil Nas X, après avoir connu un premier
succès sur l’application vidéo TikTok, atteindre
simultanément les charts Hot 100, Hot Country Songs, et Hot
R&B / Hip-hop du magazine professionnel Billboard, avant
que celui-ci ne décide de le retirer du classement country.
Ses édit’e sson nrseut rapidement justifiés auprès du
magazine Rolling S!one, déclarant qu’« après examen approfondi,
il a été déterminé que “Old Town Road” de Lil Nas X ne
mérite pas actuellement l’inclusion dans les charts country
de Billboard. Quand il s’agit de déterminer les genres,
plusieurs facteurs sont étudiés, mais d’abord et
principalement la composition musicale. Bien que “Old Town Road”
inclue des références à la country et une imagerie
cowboy, il n’adopte pa suffissamment d’éléments de lasuqim ue
country pour se voir classé dans sa version actuelle. »

D’après Shuja Haisr,deiuq e’s t emparé de la question dans
[1]
un article pour le Believer, de nombreuses chansons
country ressemblent pourtant à Old Town Ro «ad », à la
fois parce que celles-ci n’hésitent pas à inclure des parties
rappées, mais aussi parce que la chanson de Lil Nas X incor
pore bien un aspect !wang, une idée esthétique qui se situe
quelque part entre la corde pincée à la s!eel gui!ar et une
référence plus vague à tout ce qui faitnul « e elfeg inco» try,
dans la manière de jouer des notes ou de faire sonner

[1] Shuja Haider, «The invention of Twang»,The Believer, 2019.
https://believermag.com/the-invention-of-twang/

7

Édito

les syllabes. Si bien que le retrait de la chanson du chart
country est apparu comme un bon vieux profilage racial,
révélant ainsi les logiques à partir desquelles les différents
charts se sont construits aux États-Unis, avec la séparation
entfolk » ere musique « t race music dans les années 1940.
L’ironie évidente est que la star country-pop Billy Ray Cyrus
s’est empressée d’enregistrer un featuring pour la chanson,
dans une inversion de la logique habituelle de « l’invité rap »,
parachevant le geste de provocation initial de la chanson.

Comme le remarque Joshua Clover dans Commune
[2]
Magazine« Old Town Ro , amé» d riterait qu’on lui
invent: le « e un nom de genre trollbilly ». D’après lui, l’in
térêt de « Old Town Road » est de montrer le caractère
social des catégories raciales, de manière à la fois
brutale et autoparodique, en montrant comment les genres
musicaux restent largement déterminés par ces catégories –
y compris quand l’on sait aujourd’hui que le public blanc
des banlieues américaines participe au succès du rap
américain pratiqué par des artistes qui revendiquent une
identité noire. En effet, dès ses premières paroles, la
chanson télescope équitation et ride en Porsche, ruralité et
urbanité, les clichés des classes laborieuses blanches et des
classes daib is se« euq neeuerngirnos sen coutry et hip-hop
se tiennent comme d’étranges égaux et pendant un instant il
n’y a aucun moyen de savoir lequel est lequel, même si cette
brève expérience sonore ne peut échapper à ses conditions

[2] JoshuaClover, « The high rise and the hollow »,Commune Magazine2019.
https://communemag.com/the-high-rise-and-the-hollow/

8

Édito

mat» – c’esirleel sét-à-dire à la décision du marché, par
l’intermédiaire des éditeurs de Billboard qui ont choisi de
« tra dn »erchans cett evèrb ealliacl de ecnasse.
S’il y a une leçon à retenir de la trajectoire d’un hit
comme « Old Town Road », c’est d’abord que les « formats » –
en particulier les formats radiophoniques, aux États-Unis,
mais aussi en France à travers des catégories ambiguës
comme « musiques urbaines » – sont toujours en équilibre
instable entre des critères esthétiques et démographiques,
qui, en ciblant des populations données, participent à
reproduire ou déformer les catégories sociales et
identitaires. D’une certaine manière, les charts prennent le relais
de la musique elle-même quand il s’agit de nous aider à
définir ce qui nous est plus ou moins proche ou lointain,
et en fonction de quoi cette proximité ou cette distance
devrait être établie. Et bien qu’un certain éclectisme musi
cal fasse aurjohud’p iuartsed irc eitûoon g « bs deèret » des
plus diplômés, cette fonction de classement et- d’exclu
sion se perpétue à travers les programmations des médias
dominants et minoritaires, comme à tra-vers nos juge
ments les plus ordinaires sur des genres musicaux entiers:
« J’écoute de tout, sauf… (du méta / ldu ra de lp /a musique
clal sesdq i/e ua country) ».

Malgré ce caractère structurant des charts dans le milieu
musical et ses conséquences sur nos habitudes, leur his
toire reste assez peu connue. C’est pourquoi en attendant
des révélations sur le contexte français – et en tenant
compte du fait que le modèle américain a une certaine

9

Édito

influence sur ce qu’il se passe en Europe –, nous avons
choisi d’y consacrer une bonne partie de ce numéro, et
d’y traduire un texte de référence de l’universitaire
américain Eric Weisbard. Celui-ci part de l’une des principales
questions qui se pose lorsque l’on parle de charts, et qui
était brièvement traitée dans le livre de John Seabrook
sur les hits que nous avions coédité avec la Philharmonie
et La Découvertle: e hc sarts sont-ils une manière d’ouvrir
les sociétés sur la diversité de la musique, et partant, des
cultr useql e’eulassemble, ou bien ne produisentsli- enu’uq
« pseudo-différenciation » qui consiste finalement à servir la
même soupe d’une chaîne à l’autre ,malgré quelques rares
déclinai suoN ? snosapprendrons que pour Weisbard, la
réponse à cette question dépend de l’époque et, au sein
de chaque époque, du type de rapport qu’entretiennent
justement les genres musicaux et les formats. Il nous invite
à relire l’histoire des radios musicales à travers les mouve
ments successifs d’ouverture et de crispation qu’a connus
cet étrange outil qu’est le Top 40, par lequel les pays et
leurs cultures musicales ne cessent de se représenter leurs
identités comme leur rapport au changement.

S’il est possible aujourd’hui de s’intéresser de cette
manière achx uarts et de bénéficier d’un certain recul, c’est
peut-êtgèenrur eel euqr estnvns e moiahissant qu’il n’au p
l’être par le passé : après tout, ce sont surtout les
algorithmes de recommandations des services de streaming
qui aiguisent aujourd’hui les débats sur la diversification
ou l’uniformisation du goût, et sur la légitimité de tel ou

10

Édito

tel artiste à s’imposer. Mais comme nous le verrons grâce
à la philosophe Robin James, cette opposition est sans
doute moins nette qu’on ne le pense, car tout en faisant
évoluer les modes de catégorisation et de prescription de
la umisuqlpmer – eaçant les critères strictement
démographiques de musique par des taxinomies apparemment
plus fines etpersonn « a »l i–s éleess outils de
recommandats onncoitinuent en réalit’d éales ner écougiltnuseel ses
sur les autres.

Lorsque l’on prend les choses par ce côté, une bonne
partie des expériences et des scènes musicales auxquelles
nous nous sommes attachés dans cette revue peuvent
apparaître comme des événements inattendus, des
contournements ou des résistances, qui évitent le pouvoir
d’uniformisation des formats ou parviennent à l’aménager.
C’est encore le cas cett: qu’il s’e fois-ci agisse de la
capacité d’une poignée de producteurs hip-hop new-yorkais à
prendre, au tournant du millénaire, le contre-pied de leurs
légendaires aînés et d’imposer au sommet des charts des
signatures sonores étonnantes de sophistication, comme
nous le démontre Raphaël Da Cruz, ou d’une poignée
de jeunes mods réunis par leurs références ésotériques à
une certaine soul chinée dans le bas des classements et
les bacs de soldeurs, se créant un monde à part pour l’es
pace de quelques années seulement, comme le raconte
Cyrille Martinez dans une fiction inédite. Autre type de
contraste, Matthieu Saladin nous expose, à travers un
parcours riche de « précipités de lent », nsur ueecartographie

11

Édito

des stratégies, conscientes ou non, développées par les
musiciens pour échapper à l’accélération tous azimuts –
des rythmes de création comme des rythmes de vie.

Faire un pas de côté pour fuir l’uniformité, ralenti r
le temps pour se souvenir qu’on peut encore vivre la
musique, et le reste, autrement, en espérant ne pas s’en
tenir à l’esquive, mais construporp ser eri ses: secrofse’c t
en se calquant sur la façon dont la musique a déjà su
répondre aux règles industrielles et à l’accélération de
l’économie, que la revue que vous tenez entre les mains
continue de tracer son chemin.

Merci à Jean-François Caro e!Johan Badour.

12

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