1644 : et autres nouvelles
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Description

Nous sommes en 1644, peu de temps après la mort de Louis XIII. Le corps d’une jeune fille atrocement mutilé est retrouvé dans un marais reculé du duché de Valois, à la veille d’un baptême exceptionnel par la qualité des personnages qui y assistent.
Est-ce un règlement de compte entre nobliaux de province ? Une séquelle des guerres de Religion ? Avec des collusions ou des complicités au sein même du village ? L’implication de la famille d’O est-elle la plus ancienne des histoires d’O ?
Quatre nouvelles complètent l’ouvrage : La Conviction du renégat, un essai sur l’au-delà et la dualité corps/esprit, suivi par Dur Alex, Synthex et Otisserie, trois brefs voyages en Absurdie !

Informations

Publié par
Date de parution 26 octobre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782312129006
Langue Français
Poids de l'ouvrage 1 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0150€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

1644
Pierre Boningre
1644
et autres nouvelles
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2022
ISBN : 978-2-312-12900-6
1644
I
Comme tous les jours, Pierre se rend au marais de Saint-Etienne. C’est dans cet endroit humide et stable qu’il fait tremper ses fagots d’osier. Il est d’humeur plutôt joyeuse ce vendredi d’octobre : le village adore ses paniers et son carnet de commandes est plein.
Si la saison des champignons touche à sa fin, les claies d’osier restent le moyen le plus sûr pour les conserver en hiver, tout comme pour les noix ou pour les pommes de terre, ces tubercules sud-américains dont la culture s’est répandue depuis quelques années dans les campagnes.
Le marais est à une dizaine de perches {1} de la Chaussée Brunehaut, l’ancienne voie romaine qui mène à Senlis, en passant par Roilaye et Pierrefonds. Pour sa part, Pierre préfère s’y rendre par le sentier forestier qui part de Chelles plus au nord, juste devant sa maison.
Une voie privée, en quelque sorte !
En arrivant sur le site, il remarque un bout de tissu grège accroché à une ronce, juste en face, du côté de la Chaussée. Il décide de faire le tour de la zone marécageuse, en faisant attention de ne pas glisser dans la vase. Il n’a pas envie d’y laisser un sabot, comme la dernière fois !
Le tissu de toile grossière semble avoir été déchiré volontairement et appartenir à une jupe de paysanne, comme en portent la plupart des filles. À quelques pas, les herbes folles sont bizarrement couchées. Il s’approche. Manifestement, il s’est passé quelque chose…
Rien à voir avec une lutte. Les traces sont alignées, comme un sillon menant à l’eau. En écartant les tiges d’un gunnera géant, il distingue une forme blanche à fleur de surface. Il enlève ses sabots, remonte son bas de pantalon au dessus du genou et s’avance prudemment.
C’est un pied de femme ! Sans réfléchir, Pierre agrippe la fine cheville et tire. Un corps apparaît dans toute sa nudité, qu’il remonte à moitié et à plat-ventre sur la terre ferme.
C’est la première fois qu’il voit un corps de femme. Il sait qu’elles sont généralement nues sous leur robe, mais il n’a jamais osé vérifier. Il n’a pas de sœur non plus. À vingt-six ans, il est toujours vierge.
Apparemment, il s’agit d’une femme jeune. Sous les taches de boue et les herbes collées, la peau paraît diaphane et ferme. Intacte aussi : les sangsues n’ont pas eu le temps de s’accrocher et les écrevisses de pincer. Il faut dire qu’elle est là depuis moins d’une journée.
Qui est-elle à propos ? La tête est restée immergée et il ne distingue pas la couleur des cheveux. Il s’escrime à la sortir complètement du marais. Son crâne est lisse. Elle a été rasée ! Il la retourne sur le dos et ne peut retenir un cri d’horreur.
Le visage est totalement tuméfié, comme si on l’avait écrasé sous une grosse pierre. Le nez est une flaque de sang coagulé s’étalant sur les yeux. Le menton est cassé et rentré dans la bouche. Les seins ont été sectionnés et le ventre n’est plus qu’une plaie béante, d’où s’étalent des viscères entremêlés.
Pierre est figé par l’horreur. Il se détourne un instant pour vomir et ne peut détacher les yeux de cet abominable spectacle. Comment est-ce possible ! Aucune bête sauvage ne massacre ainsi ! Quel monstre est capable de tels actes ?
Il met de longues minutes à se ressaisir. Que faire ? Retourner au village prévenir les autorités ? Remettre le corps à l’eau et se taire ? Il a laissé trop de traces de son passage… Il vaut mieux demander conseil à son voisin Jean.
– Jean, mon ami, il faut que tu m’aides !
Pierre raconte sa mésaventure, non sans émotion.
– As-tu touché au corps ?
– Oui, je l’ai sorti de l’eau !
– Allons-y !
Ils se rendent tous les deux sur le lieu du crime. Après s’être recueilli un instant devant la dépouille, Jean inspecte les moindres recoins de la scène à la recherche d’indices. Il n’en trouve aucun, à part ceux laissés par Pierre , impossibles à dissimuler.
– Mon pauvre ami, tu aurais du faire attention. Tu risques d’être mis en cause par l’enquête criminelle !
– Qui est censé faire cette enquête ?
La famille Haniot est l’une des plus anciennes de Chelles et Jean – qui a étudié le droit au collège Saint-Nicolas-aux-Clercs de Soissons – est peut-être le seul villageois pouvant décrire l’enchaînement des actions judiciaires potentielles et la nature des intervenants.
– Normalement, les affaires criminelles sont dévolues au bailli.
– Mais nous n’avons pas de bailli à Chelles !
– Non, mais nous sommes sous la double tutelle de l’abbé de Notre-Dame de Lieu-Restauré, et du seigneur de Cœuvres.
– À qui vaut-il mieux s’adresser ?
– En ce moment à Villers-Cotterêts, l’abbaye est paralysée par des revendications : les moines réclament une meilleure répartition des revenus, ce qui ne va pas être facile ! Il reste donc le seigneur…
– Tu as l’air d’hésiter !
– Il y a de quoi ! François-Annibal d’Estrées est certes seigneur de Cœuvres, mais il est aussi vicomte de Soissons et de Pierrefonds et chevalier des Ordres du Roi ! Autant dire qu’il a les pleins pouvoirs dans le coin !
– Et ?
– Et il tient en piètre estime nos petits notables locaux, je veux parler des familles de Charles d’O et de Victor d’Hesselin.
– Pourquoi ?
– Pour des questions de préséance : les d’Estrées sont une grande lignée de la noblesse à la fois de robe et d’épée, tandis que les deux autres sont de plus modeste extraction, mais pas moins arrogants !
– Attends un peu ! Les d’O ne sont-ils pas impliqués dans le baptême de demain ?
– Oui, c’est le baptême d’un garçon de Victor d’Hesselin, et Élisabeth d’O, la fille aînée de Charles, est la marraine.
– Est-ce à dire qu’ils seraient de mèche ?
– Ne va pas trop vite en besogne ! Ces deux familles se déchirent au contraire depuis des générations. Ils ont leurs partisans dans le village, ce qui fait que toute situation y est compliquée à dénouer.
– Ne pourrions-nous pas trouver un autre interlocuteur parmi ces grands personnages débarqués hier pour participer au baptême ?
– Je ne sais pas. Je n’ai pas assisté à l’arrivée des carrosses et le curé est resté très évasif quant à leur qualité lors de son sermon de dimanche dernier. Il n’a fait qu’attiser la curiosité.
– Je ne crois pas trop aux coïncidences. Ne penses-tu pas que les deux événements sont liés ?
– Tu veux dire le baptême et le crime ?
– Oui.
– Probablement…
Cette possibilité attise la curiosité de Jean. Il trouvera bien le moyen de récupérer des informations auprès de Martin, son aubergiste de frère, auquel Élisabeth a passé des commandes pour la fête.
Puisqu’il est clair aussi que l’enquête officielle sur le crime ne va pas commencer avant lundi prochain, il va lancer la sienne propre et se débrouiller pour se mêler aux domestiques assurant le service des repas.
On verra bien.
II
Sébastienne n’accorde aucun intérêt à ce baptême : hier soir, Antoine lui a annoncé qu’il n’y avait plus d’obstacle à son mariage. Le sujet de la dot a forcément été au cœur des discussions avec la famille de Nicolas Carré, mais pas seulement.
En effet, Sébastienne et Nicolas se sont rapprochés lors des dernières moissons. Ils se sont aimés aussi, et un enfant est attendu de cette union pour le début de l’année prochaine. Un souci d’honorabilité a sans doute contraint les négociations matrimoniales entre les deux parties.
Quel soulagement ! Sébastienne craignait que son état se voie à l’église, ou que, faute de mariage, son enfant soit déclaré illégitime, tache indélébile dans le registre paroissial. Sa situation va donc être conforme aux canons de l’église. D’autant que la famille Carré est très respectée à Chelles.
La sienne l’est moins. En compagnie de sa mère, elle est arrivée il y a à peine un an, après avoir fui en hâte la Champagne, devant la folie furieuse de la Ligue, qui venait de lyncher à mort son père, dont le seul tort était d’être huguenot.
Les guerres de Religion sont pourtant officiellement terminées après la conversion – le reniement ? – d’Henri de Navarre , mais il subsiste des territoires prêts à poursuivre la lutte, y compris à la faire bénir !
Ce n’est pas le cas ici. Pour la préparation du mariage, le curé n’a pas demandé de justificatif de foi catholique, comme l’usage aurait voulu. La simple mention du lieu d’où elles venaient lui a suffi : il a eu vent des dérapages réalisés là-bas, notamment la destruction par le feu des archives paroissiales. Et puis, les Carré donnent leur caution.
Sébastienne et sa mère se sont installées au hameau de Bérogne , non loin du moulin du ru Vandy , à moins d’une demi-lieue de Chelles . Elles sont accueillies par Antoine , un cultivateur qui a immédiatement proposé de devenir le tuteur de Sébastienne .
Sébastienne est une petite femme dynamique et enjouée, plutôt fine et jolie. Ses yeux bleus en amande soulignent un air espiègle qui lui va si bien. Des mèches blondes et souples bouclent sur son cou et de charmantes fossettes égaient ses joues douces et rosées.
Elle n’a pas tardé à devenir la coqueluche des garçons de Bérogne, en participant activement aux activités agricoles, démontrant une force insoupçonnée dans un corps si fluet. Cela la changeait du travail dans les vignes de son père.
Elle est encore mineure, mais les événements funestes qu’elle a subis l’ont dotée d’une résistance et d’un recul qui en imposent aux plus intrépides des prétendants. C’est elle qui détermine ses priorités et ses choix. Et elle a choisi Nicolas !
Elle l’aperçoit pour la première fois à son arrivée, en se joignant aux semailles du champ Au -dessus des Bois . Les labours sont achevés en avance cette année-là. Le temps est clément et il faut en profiter.
La grâce avec laquelle elle maintient sur son ventre le panier d’osier doublé de toile, y plonge la main pour saisir une poignée de graines et surtout les jette à la volée dans le sillon, fascine Nicolas. Il en reste figé sur place, oubliant son travail et suscitant les railleries

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