207
pages
Français
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1998
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Publié par
Date de parution
01 mai 1998
Nombre de lectures
0
EAN13
9782738185051
Langue
Français
Publié par
Date de parution
01 mai 1998
Nombre de lectures
0
EAN13
9782738185051
Langue
Français
© O DILE J ACOB, MAI 1998
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-8505-1
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
www.centrenationaldulivre.fr
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
Préface
Autant prévenir d’emblée le lecteur, ce livre est subversif. Non pas parce qu’il traite d’homosexualité. Mais parce qu’il déstabilise, au sens fort du terme, un certain nombre de normes instituées autour de l’idée de couple, de famille et de l’art de « bien élever » les enfants.
En montrant qu’ils sont des parents comme les autres – ni meilleurs ni pires –, les couples homoparentaux, constitués d’individus de même sexe, posent des questions anthropologiques majeures qu’on lira tout naturellement à travers les déclinaisons des configurations familiales souples et variées qui constituent le corpus (au sens linguistique du terme) de ce livre.
Faisons tout d’abord un sort à une idée reçue, « cheval de bataille » des défenseurs de la famille classique : la famille nucléaire, biologique, serait la famille « normale », son noyau dur, historiquement ancré, en même temps que la condition nécessaire pour élever des enfants. On ne peut, ici, pour faire table rase de ce stéréotype, que renvoyer aux travaux des historiens, notamment à ceux de André Burguière, qui montrent, d’une part, que la famille nucléaire est récente en Occident (elle date d’un siècle à peine) et, que d’autre part, elle ne résume nullement le type de famille le plus important en Europe avant l’urbanisation et l’industrialisation 1 .
On verra à la lecture de ce livre qu’une des revendications principales des couples homoparentaux se situe dans le fait que l’homosexualité (c’est-à-dire, en un sens, l’impossibilité de procréer) ne devrait plus constituer désormais une « bonne raison » pour ne pas accéder à la parentalité. Comme l’écrivent dans Le Monde Éric Dubreuil et Maud Grand, « le temps est révolu où gays et lesbiennes faisaient leur deuil des enfants 2 ». Or, sans faire d’amalgame hâtif, on constate que toutes les sociétés se sont souciées de la demande de ceux de leurs membres qui « souffraient de stérilité » : « Mariages multiples, polyandrie ou polygynie, unions conclues au nom d’un mort ou pour le compte d’un(e) autre, adoption ou don d’enfants, toutes institutions qui, dans leur variété, répondaient au besoin de pallier l’absence de descendance d’un individu 3 . » On connaît aussi la thèse – qui a fait date – de l’historien américain John Boswell, selon laquelle, dès l’Antiquité, il a existé entre hommes, plus rarement entre femmes, des unions reconnues par la société, sanctionnées par des cérémonies et des contrats comparables à ceux du mariage 4 .
Autre idée reçue : l’inscription dans la filiation serait nécessairement liée à l’hétérosexualité du couple procréateur. Or, comme l’avait rappelé Françoise Héritier, consultée en 1985 sur les (éventuelles) nouvelles questions posées par les procréations médicalement assistées, « c’est l’union légitime, telle qu’elle est définie par telle ou telle société, qui fait la légitimité des enfants et crée ipso facto leur affiliation à un groupe 5 ». Tel est le principe fondamental d’intelligibilité de la filiation, quel que soit le sexe ou l’âge des parents ou même le fait qu’ils soient vivants ou morts au moment de la conception ! Ainsi, dans la France actuelle, les enfants nés avec participation de donneurs de gamètes, que les parents soient mariés ou concubins, sont considérés par la loi comme des enfants légitimes et acceptés comme tels par notre société. Société qui, à l’inverse, ne reconnaît pas, en France en tout cas, la légitimité des enfants conçus par une mère porteuse. Société qui accepte que des célibataires adoptent, mais pas les couples concubins. Société qui ne donne aucun statut légal à la mère génétique (celle qui donne l’ovocyte), mais confère le statut de mère à la seule mère utérine (sauf, dans le cas de l’adoption, où la seule mère est alors la mère légale !)…
Pour démêler les enjeux en présence et évaluer le devenir des familles homoparentales, il est essentiel de savoir quel fil tirer dans cet écheveau embrouillé… J’ai défendu ailleurs l’idée qu’il existe une éthique générale de la procréation 6 . L’éthique qui régit les familles homoparentales, comme celle de l’adoption ou celle qui devrait régir les procréations médicalement assistées, ne peut se comprendre que dans le cadre d’une éthique plus globale, fondée sur la justice dans les échanges humains. L’équilibre relationnel entre les différents protagonistes de ces histoires est à ce prix. C’est en ce sens que le « fil rouge » de l’éthique relationnelle me semble le plus heuristique à tirer, centré qu’il est sur la responsabilité vis-à-vis des générations à venir 7 .
Pourquoi est-il si compliqué de respecter les intérêts de tous les protagonistes dans les histoires de procréation à plusieurs ? Si, dans son ensemble, la société résiste, freine, bloque devant la réalité des paternités et des maternités additionnelles, sans doute est-ce faute d’avoir tenté d’élaborer ces nouveaux liens de parenté, souvent dédoublés, qui se fabriquent pourtant sous nos yeux « à la faveur » des transformations sociales (des « nouvelles naissances » aux « nouvelles unions »). Les méthodes alternatives de formation d’une famille existent pourtant, et depuis longtemps déjà. Ce livre apporte une pierre de plus à cet édifice. On sait, au demeurant, que les familles recomposées (ou, terme qui me semble plus adéquat, « multicomposées »), y compris, donc, les familles homoparentales, font partie du paysage sociologique français depuis plusieurs décennies.
Un détour par les controverses éthiques sur ces questions chez les Anglo-Saxons s’avère utile pour notre propos. Les débats sur la définition de la maternité, en particulier, fournissent une version moderne et réactualisée du Jugement de Salomon : à qui devrait, en toute équité, appartenir un enfant quand deux mères se le disputent ? Quel est l’élément le plus pertinent sur le plan moral ? Est-ce la contribution génétique ou la contribution gestationnelle de la maternité qui pèse le plus lourd, si on se place du côté de l’enfant ? George Annas, philosophe américain du droit, estime que l’intérêt de l’enfant est d’avoir pour mère la femme qui l’a porté et a accouché de lui ; la mère la plus importante (primary mother) est donc, selon lui, la mère gestationnelle. Pour d’autres, en revanche, l’intérêt de l’enfant est d’avoir pour mère celle à laquelle il est lié par un héritage génétique (notion qui dépasse d’ailleurs la génétique proprement dite et renvoie davantage à l’inscription dans une lignée, dans une généalogie). La qualité de ces discussions tient en grande partie au fait qu’elles distinguent bien les outils conceptuels employés ; il n’est, par exemple, jamais question a priori de « vraie mère » ou de « vrai père ». La notion de couple ou de famille n’est jamais considérée dans une acception univoque et indiscutable. On ne prend pas les « bons sentiments » pour des idées, comme on le fait trop souvent en France ; et les questions éthiques sont bien distinguées des questions psychologiques. Bref, il existe un authentique questionnement d’éthique de la reproduction.
Dans le domaine de la famille, tout est affaire de choix de société, comme l’écrit Ruth Macklin, professeur de bioéthique à l’Albert Einstein College of Medecine du Bronx (New York) : « Il n’existe pas de réponse simple à la question de savoir comment les moyens artificiels de reproduction affectent notre compréhension de la famille. Étant donné qu’il n’existe pas de concept unique, univoque de “famille”, c’est seulement une décision morale et sociale qui déterminera à quels “éléments” de la notion de famille on donnera priorité 8 . »
Peu d’études ont été menées sur les familles artificielles (dans le domaine de l’insémination artificielle par donneur – IAD – notamment où, cependant, les enfants les plus grands ont déjà eux-mêmes procréé). Il est essentiel, à mon avis, de ne pas répéter, avec les familles homoparentales, l’erreur qui a été faite avec ces familles IAD : attendre vingt-cinq ans avant d’entreprendre des recherches, laisser « perdre de vue » ces familles, selon l’expression des épidémiologistes. Or, il est évident que l’on ne comprendra pas grand-chose à ces histoires si on n’écoute pas d’abord ce qu’en disent les protagonistes ! Le destin des enfants nés ainsi n’est, en effet, pas simplement à analyser à travers une histoire factuelle (être né dans un contexte de coparentalité), mais dans ce qu’ils auront fait de cette histoire, de leur histoire. C’est ce premier sillon, préalable à toute recherche ultérieure, que cet ouvrage tente de creuser.
Et c’est dans le cadre général d’évolution de la famille qu’il convient, à mon sens, de comprendre (d’imaginer parfois) les familles qui existent et vont se créer dans les différentes histoires des couples homoparentaux. Si l’on voulait faire une liste – sans doute non exhaustive – des enfants de ces « nouvelles familles », on trouverait, bien sûr, outre les enfants des différentes familles homosexuelles ( via ou non les techniques de procréations assistées), les enfants adoptés, mais aussi les enfants vivant dans des familles reconstituées après rupture de la première union des parents, enfin les enfants nés par IAD, par FIV (avec