Fou d Éluard
74 pages
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Fou d'Éluard , livre ebook

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Description

Dans Fou d’Éluard, Geneviève Buono nous entraîne dans les profondeurs d’une période-clé du XXème siècle. Les personnages apparaissent au gré de son inspiration. Paul Éluard, Jacques Prévert, Salvador Dali, Picasso, Gauguin... s’invitent au bal des écrits.


L’histoire n’est pas en reste avec, dès les premières pages, les bouleversantes évocations de Maurice Audin et de Guernica. Plus loin dans le recueil apparaissent Mozart et Beethoven et, bien sûr, Victor Hugo.


Grave ou légère, la poésie de Geneviève Buono nous étonne, nous emporte, nous transperce.



Un recueil de poèmes aux accents graves ou légers évoquant tour à tour la figure de Maurice Audin, la tragédie de Guernica ainsi que diverses personnalités du monde des lettres et des arts du XIXe et du XXe siècle, parmi lesquels Eluard, Mozart, Beethoven, Hugo, Gauguin, Prévert ou encore Dali. Electre



Editions Tangerine nights

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 23 mars 2020
Nombre de lectures 1
EAN13 9791093275437
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0052€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Geneviève Buono
 
 
 
 
Fou d’Éluard
 
 
 
 
 
Collection Pourquoi pas la nuit
 
Editions Tangerine nights
46 Domaine du vert coteau
14800 Touques
 
Isbn : 979-10-93275-23-9
Ean : 9791093275239
Isbn numérique : 979-10-93275-43-7
Ean numérique : 9791093275437
 
 
 
J’écris mon oncle
 
 
       Au fil des jours, des semaines, la vraie vie s’en va. Je viens d’un autre temps, autre continent. Il me faut des forêts de chênes-lièges, des soleils, des montagnes, un brin de Kabylie. Des odeurs d’olive, de menthe, de cannelle, et des champs de coquelicots. Il me faut des cruches d’argile et des bijoux de vieil argent. Des yeux noirs, des cheveux frisés, des prénoms qui chantent. Des sentiers montant jusqu’à la fontaine et des chiens errants, la lune et les étoiles. Des terres arides où l’été brûle. Des horizons de plateaux dévastés, des déserts de pierres, des plaines immenses à l’oued en crue. Des petits renards des sables, un âne braillant dans le soir, et le cri du berger ramenant ses troupeaux.
       J’ai besoin de maisons de terre, de femmes nimbées de blanc, d’hommes coiffés d’un turban. Je veux ces livres griffés d’arabesques, ces musiques venues d’Égypte, ces voix de gorge, je veux le miel et la galette, l’amande douce. Des frères qui accompagnent du geste les paroles, qui parlent haut et chauffent d’amitié, des amis qui sont des frères. Des fillettes rieuses et sauvages, avec des petites sœurs plein les bras, les escaliers d’Alger et la joie de Ramadhan. Fatima mon amie, et des colliers de jasmin.        Et pour me conduire dans la ville, la main de mon oncle Maurice.
 
      
 
       J’ai beaucoup aimé mon oncle. J’étais sa première nièce et, lorsqu’il s’était penché sur mon berceau, j’avais balbutié un son, syllabe que chantent les nouveaux nés et, de ce jour, il avait décidé que, pour moi, il se nommerait désormais oncle Bu .
 
       J’ai connu des temps anciens, d’espoirs et de désespoir. Aux forêts interdites, au soleil endeuillé.
       Dans les yeux noirs des enfants se lisaient des larmes de crainte, et les femmes restaient cloîtrées au fond des maisons de terre.
       Maquis brûlé où verse le napalm et, dans les flammes, se tord la Kabylie. La vie était devenue grise. Grise comme la terre et la guerre, il faisait triste et froid, et le chant des ânes était morne et bête. Ramadhan ne rimait plus qu’avec combat.
       Alger, tes escaliers étaient veinés de sang.
       Mon oncle me lisait des contes, je lui confiais mes secrets : j’avais égaré ma gomme bleue, et puis je rêvais d’un plumier noir, comme avait la fille de la directrice. Il m’écoutait gravement, comme on écoute un adulte. Et quand il me regardait, il me regardait vraiment, et jamais il ne trichait.
       Mon oncle et ma tante brûlaient d’un éternel amour. Je les revois, main dans la main, dans cette allée du Jardin d’Essai.        Il s’arrête pour prendre sa taille et ils tournent, tournent enlacés. Moi je sais qu’un jour ils s’envoleront tous les deux.
      
 
       En peu de temps, il leur vint trois enfants.
       Mais déjà, il se faisait tard.
       Dans ses yeux qui pétillaient, son cœur était grand offert au genre humain, qu’il aimait, qu’il voulait libre.Homme et tolérant, son sourire avait de la colombe.
       Il haïssait les guerres, mais il haïssait aussi l’oppression coloniale.
       Il respirait l’intelligence sereine. A vingt-cinq ans, déjà enseignant à l’Université, bientôt docteur...
       Bientôt docteur !
       Je me souviens, ce large front, ces yeux rieurs sur la photo à la une de l’ Express, où la censure avait balayé de blanc toutes les écritures.
       Je me souviens, j’avais huit ans.
 
       S’il est puéril de répondre aux questions d’un enfant. Puéril de vouvoyer les femmes de ménage et les laveurs de carreaux, même lorsqu’ils sont algériens. Puéril d’aimer la vie et les baisers, aimer les gens et les choses simples, les plaisirs que l’instant donne, les couleurs et les fruits, les sourires des femmes. Si cela relève de l’enfance, tout l’amour du monde. Ces bras tendus, ces mains ouvertes, la promesse d’aller jusqu’au bout.
       Si la plus haute marche du silence relève de l’enfance alors, oui, il était un enfant.
      
      
 
       D’autres m’ont dit l’Algérie ? De la faculté d’Alger à la plage, il n’y avait qu’un pas. La vie était si belle et si facile, le Milk Bar, l’équitation à Cap Matifou, les petites Arabes, les vespas... 
       C’est étrange, il existait donc deux Algérie ?        Est-ce possible qu’ils n’aient rien vu, rien su, rien entendu ?        Où étaient dirigés leurs regards, lorsqu’on assassinait un peuple en pleine rue ?
       Étaient-ils devenus sourds quand, des caves de la villa Susini, partaient les plaintes des suppliciés ? Et leurs mains, dans quel sang les avaient-ils trempées ?
 
       Ma tante ne se résigna jamais à sa disparition. Je la revois, bien des années plus tard, dans cette guerre qui s’éternisait : « Quand Papa reviendra, vous aurez une petite sœur, nous l’appellerons Malika... »
       Elle garda toujours l’espoir. Elle attendit une lettre, un billet glissé quelque part, un signe. La thèse officielle de l’évasion était tout-à-fait invraisemblable, néanmoins elle attendait.
       De mon côté, j’attendais aussi.
 
       Il avait des mains magiques, il en tirait des équations. Il pouvait dire toutes les planètes, il connaissait le nom des nébuleuses. Il calculait les trajectoires des astres, et avec lui, la nuit d’été clignotait de centaines d’étoiles.
      
 
       Oncle Maurice, raconte-moi la physique. Explique-moi la mécanique céleste, la théorie des quantas, et la relativité, que l’on dit si belle. Dis-moi le système de Maxwell, dont certains prétendent qu’il renferme toutes lois du mouvement. Les axiomes, les théorèmes, tous ces principes dont les noms m’ont tant fait rêver.        Euclide et Pythagore, Thalès, Archimède et tous les autres. Nicolas Bourbaki, Omar Khayyâm, Sophia Kovalevskaïa, ces êtres qui, comme toi, si l’on t’en avait laissé le temps, ont donné à la science un souffle merveilleux…        Montre-moi les polynômes, les fonctions et les logarithmes, dessine le cercle d’Euler comme tu me l’avais promis, et le nombre d’or et les exponentielles. Tu m’expliqueras les inconnues, ce mot terrible qui m’a tant bouleversé.
       Et s’il te plaît, lis-moi un nouveau conte, avec ta main dans mes cheveux.
 
       Comme la censure, le temps efface mes souvenirs, comme il dépose ses poussières sur tous les instants de la vie. Mais...

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