Grain de sable

Isabelle Janier

Description

Grain de sable à profusion et un seul suffirait pour faire dérailler la machine, l’ordre des choses. C’est celui qui se met dans les rouages et ça devient spectaculaire. C’est une rencontre, l’amour pour le meilleur et pour le pire, mais encore la maladie qui met dans tous les états avec le burlesque et la drôlerie attachés à la dureté et à l’âpreté des situations.
Un miroir tendu à la lisière de la vie et du théâtre.
Une femme en présence d’un homme.

Informations

• Publié par: Les Éditions du Net
• Date de parution: 02 février 2023
• Nombre de lectures: 0
• EAN13: 9782312131214
• Langue: Français

Extrait

Grain de sable
Isabelle Janier
Grain de sable
Théâtre
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
© Les Éditions du Net, 2022
ISBN : 978-2-312-13121-4
À Benoit
Avant-propos
Depuis sa sortie du Conservatoire National de Paris, alors qu’elle épouse une belle carrière de comédienne, une maladie invalidante commence opiniâtre à gagner du terrain. C’est le choc ! Insidieuse, envahissante.
Ne plus fouler la scène, ne plus jouer. Elle croit devoir s’y résoudre, jusqu’au jour où un ami, à qui elle doit beaucoup, la convainc du contraire en lui demandant de retourner sur scène, d’y aller, que c’est possible – elle veut y croire que c’est possible ! Ça va être déjouer tout ce qui aurait pu progressivement l’empêcher de le faire… – et raconter son histoire… et de l’écrire. C’était énorme !
Écrire, intrépide et fébrile, à travers une succession de flash, les épopées marquantes d’une saisissante avancée.
Et puis, vient le temps de l’apprentissage… Et alors même qu’elle est dans la découverte d’un texte « fait pour elle », elle se l’approprie avant de le jouer deux années de suite sur scène.
Une joie.
Grain de sable est créé à l’Atalante à Paris en 2005, dans une mise en scène de Gérald Chatelain, et repris au théâtre du Petit Hebertot en 2006.
Acte I
Une femme
En présence d’un homme
La femme : « Vraiment, tu es formidable ! Quel courage ! Je t’admire ! Tu es vraiment incroyable ! »
Qu’est-ce qu’ils ont ? Ils me disent ça comme une confidence.
Ça me dérange, ça me fait mal. Je ne sais pas bien dire pourquoi.
J’aime pas.
Et lui aussi, il me dit ça comme ça ! Mais qu’est-ce que j’ai ?! Comment peut-il me dire, lui aussi, que je suis formidable ? À propos de quoi ?
La première fois, oui !
J’ai onze ou douze ans.
Que des filles !
L’école…
Des religieuses.
Elles ont un projet pour la Vierge Marie.
Monter une pièce sur la Vierge Marie.
Le rôle principal c’est la Vierge Marie.
Alors comme rôle, il y a la Vierge Marie . Et puis des moines encapuchonnés. Des présences. Je veux le rôle. Je veux jouer la Vierge . Je ne dis rien, ça va venir. Ça y est, on n’est plus que deux ! Les sœurs hésitent maintenant entre moi et une petite boulotte. C’est pas vraiment mon amie ; je l’aime bien c’est tout. Elle lève le doigt. Elle a levé le doigt. J’ai rien vu. Elle a osé. C’est elle. La Vierge Marie c’est elle !
C’était tout simple. Seulement moi… Pour moi il était évident… On allait me reconnaître sous les traits de la Vierge Marie. Surtout pour des religieuses. Alors j’ai rien dit, j’ai laissé faire.
Je ne veux pas qu’on me plaigne.
Je ne veux pas qu’on me plaigne. Je suis comme tout le monde.
Je ne veux pas qu’on me plaigne.
À moi on me donne la cloche à sonner. Un moine qui sonne la cloche. C’est mon rôle. Et pour tout le reste de la classe, des moines aussi. Pour Joseph et le petit Jésus, je ne sais plus, j’ai oublié. Maintenant je me demande pourquoi tant de moines à Bethléem. Je ne me souviens pas des rois mages non plus. Non, ce qui me marque, ce sont les moines. Tous dans des capuchons immenses qui mangent les visages. C’est pas le cas de la Vierge Marie qui rayonne.
Et je suis dans ce hall lugubre.
On a qu’une envie c’est de pas rester là.
La pensée que je ne veux pas mourir.
Je suis mortelle.
Mon tout premier séjour en Angleterre. Un moine qui sonne la cloche. Is a bell, is a bell . Et ça ricane. Je n’ai pas fait beaucoup d’Anglais, mais je comprends. Is a bell. En français, est une cloche.
Moi Isabelle. Je suis une cloche. Très drôle !
Me résigner à vivre ? Qui a dit ça ?!
Peut-être, peindre.
La première fois, oui !
Peinture.
J’ai huit ans.
Aujourd’hui, peinture.
Une plage. C’est ça, je vais faire une plage ! Commencer par dessiner le sable. Chaque grain de sable les uns à côté des autres avec une patience infinie et des nuances très légères de jaune d’ocre de brun tous les jaunes tous les ocres tous les bruns du gris aussi très peu et du blanc.
C’est un projet colossal mais ça ne me fait pas peur. J’ai huit ans. J’ai tout le temps.
Après cinq ou six séances et quelques fins d’après-midi dans mon sable, je suis au milieu de la plage. Ça avance bien. « Il faut interrompre vos peintures. » C’est la maîtresse qui vient de dire ça ?! Elle est folle ! Faire autre chose, faire page blanche, les inspecteurs viennent voir le travail pour évaluer comment elle s’y prend avec nous. Elle est folle ! Elle a rien vu. Elle se rend pas compte de ce que je suis en train de faire ?! Je fais une plage avec des grains de sable, des millions de grains de sable, peut-être des milliards, alors c’est rien ?!
La feuille blanche maintenant.
Mais je veux pas partir moi. Je veux rester là. Continuer. Me baigner dans le bleu m’étendre sur le jaune continuer dans le jaune pour arriver au bleu faire des plongeons et plouf glisser dans l’eau y batailler m’y perdre.
Mais avant ça, faire la plage. Chaque grain de sable un par un sur le papier pour mériter la douceur de l’eau qui n’accroche nulle part. « Autre chose, je veux autre chose. Autre chose. » Je cède. Je quitte mes trois centimètres carré de sable, mon endroit, ma cachette, mon paradis.
Tu n’es pas d’accord. Tu n’es pas d’accord. Tu hésites. Ça ne fait rien. Viens. Je trouverai les moyens pour que tu plies, que tu cèdes, que tu sois d’accord. Viens. J’ai le temps. Ce temps qui est à moi maintenant, ce temps pour que tu cèdes.