La Folle histoire des idées folles en psychiatrie
128 pages
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Description

Contradictions, errements, lubies, impasses, sadisations : la psychiatrie, en France et dans le monde, a une histoire qui peut faire peur quand on l’examine de près, car, comme toute discipline médicale, elle a eu du mal à naître. Au nom de quoi, par exemple, pendant la Grande Guerre, les Poilus recevaient-ils des décharges électriques pour retourner au front ? Comment les psychiatres allemands ont-ils justifié les expériences qu’ils menaient sur les fous pendant le nazisme ? Comment a-t-on pu penser un jour que la malaria pouvait guérir de la psychose ? Entourés par une dizaine d’experts – des psychiatres principalement mais aussi un hépatologue, un ethnologue et un épistémologue –, Boris Cyrulnik et Patrick Lemoine débattent sur le passé de cette discipline qui a peiné à exister, mais surtout proposent de se concentrer sur la seule question qui vaille pour demain : quelle confiance accorder à la psychiatrie ? Quels garde-fous mettre en place ? Et que serait une société sans psychiatrie ? Boris Cyrulnik est neuropsychiatre et directeur d’enseignement à l’université de Toulon. Il est l’auteur de très nombreux ouvrages qui ont tous été des best-sellers, parmi lesquels, tout récemment, Ivres paradis, bonheurs héroïques. Patrick Lemoine est psychiatre, professeur associé à l’université de Pékin. Il a publié près d’une trentaine d’ouvrages, parmi lesquels Le Mystère du placebo. Avec Philippe Brenot, Patrick Clervoy, Philippe Courtet, Saïda Douki Dedieu, Serge Erlinger, André Giordan, Jacques Hochmann, Hager Karray, Pierre Lamothe, François Lupu. 

Informations

Publié par
Date de parution 02 novembre 2016
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738158963
Langue Français
Poids de l'ouvrage 6 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,1000€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Sous la direction de Boris Cyrulnik Patrick Lemoine
La Folle Histoire des idées folles en psychiatrie
©  O DILE J ACOB, NOVEMBRE 2016 15, RUE S OUFFLOT, 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-5896-3
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3°a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Pourquoi tant d’idées folles en psychiatrie ?
par Boris Cyrulnik

Rien n’est plus expliqué que la folie. De tout temps il en a été ainsi. Le mot « folie » désigne on ne sait quoi, un égarement de l’esprit peut-être ? Mais on ne sait pas où d’habitude se gare cet esprit, et on ne sait pas non plus de quel esprit il s’agit, celui du fou ou celui du psychiatre ? On a donc toujours clairement expliqué, avec une conviction quasi délirante, un phénomène étrange, incompréhensible, égaré et désigné par le mot « folie » qui définit on ne sait quoi.
Rien n’est plus soigné que la folie. Les nombreuses trépanations paléolithiques étaient techniquement parfaites : une petite cupule ronde avec un bourrelet osseux prouve que le trépané a vécu longtemps après cette opération 1 . Comme on en trouve beaucoup en Afrique du Nord, on peut penser qu’il s’agissait d’une mode thérapeutique qui consistait à fabriquer une fenêtre dans le crâne d’un homme habité par un mauvais esprit, à qui le thérapeute « chirurgien » permettait ainsi de s’échapper.
Dans l’Ancien Testament (qui dit toujours la vérité), on apprend que Nabuchodonosor, roi de Babylone, soudain se mit à quatre pattes pour aboyer et laper l’eau en compagnie des animaux. Ce comportement inhabituel chez un puissant roi fut aussitôt expliqué par Daniel, qui en fit la preuve d’une punition divine 2 . Le mot « divin », désignant une entité non représentable dont la puissance surhumaine pouvait rabaisser un puissant roi au rang de la bête, parvenait ainsi à expliquer un inquiétant phénomène. Un tel enchaînement de raisons donnait une sensation de cohérence à un phénomène incohérent. En offrant une compréhension divine de ce phénomène incompréhensible, tout le monde se sentait mieux, sauf peut-être Nabuchodonosor.
Quelle que soit la culture, les convulsions épileptiques faciles à percevoir mais difficiles à comprendre furent rapidement expliquées. L’homme est là, parlant paisiblement et partageant notre monde lorsque soudain, il s’arrête, égaré : il lève les yeux, pousse un cri rauque, tombe à terre, convulse, se mord la langue, urine sous lui, puis se détend, se relève, paraît confus quelques instants et reprend la conversation. Cet étrange scénario désoriente les témoins, qui ne se réorientent que lorsqu’on leur explique l’incompréhensible phénomène. En Inde, on appelle Grahi le démon qui s’empare de l’esprit du patient et le fait convulser. À Babylone et en Mésopotamie, on affirmait qu’un tel désordre était provoqué par l’œil du diable. On a trouvé un texte assyrien de 650 av. J.-C. qui décrivait une crise d’épilepsie et l’expliquait, bien sûr, par une possession démoniaque.
Quand Hippocrate (460-377 av. J.-C.) constate une crise d’épilepsie, il en attribue la cause au cerveau et non à une punition divine. Cette réaction naturaliste s’explique probablement par le développement de la médecine grecque pour qui le cerveau est un centre de commande sensorimotrice et non plus, comme chez les Égyptiens, un amas de boyaux destinés à refroidir le corps. Hippocrate, chirurgien, baignant dans un contexte culturel naturaliste, n’avait plus besoin de démons pour expliquer un phénomène convulsif. C’est ce schéma de raisonnement que je propose pour expliquer les idées folles en psychiatrie.
L’ignorance n’empêche pas d’expliquer. Au contraire même, l’ignorance provoque un tel état de confusion qu’on s’accroche à n’importe quelle explication afin de se sentir un peu moins embarrassé. C’est pourquoi, moins on a de connaissances, plus on a de certitudes. Il faut avoir beaucoup de connaissances et se sentir assez bien dans son âme pour oser envisager plusieurs hypothèses.
Un psychiatre percevant un phénomène étrange l’analyse et l’interprète selon sa propre personnalité et les valeurs que son contexte culturel a imprégnées en lui. Comme tout un chacun, il peut percevoir chez l’autre un comportement ou une expression de son monde mental qui lui fait penser que cet autre se construit un monde non adapté au réel. Le fou, c’est l’autre. Il donne à la représentation qu’il se fait du monde de l’autre un nom compliqué : « démence précoce », « schizophrénie », « possession », « péché », qui crée une impression de sémiologie clinique, alors qu’il s’agit en fait de l’interprétation que ce psychiatre attribue à l’idée qu’il se fait du monde de l’autre. Le psychiatre, en fait, parle de lui-même, de sa manière de voir le monde et de l’expliquer selon les modèles que lui fournit sa culture.
La sémiologie psychiatrique varie étonnamment selon le psychiatre, selon l’époque et selon la culture. Les déterminants hétérogènes du mot qui désigne la folie ne cessent de remanier les frontières entre le normal et le pathologique. Et pourtant l’autre souffre. Il peut souffrir d’un trouble normal provoqué par les inévitables épreuves de l’existence comme le deuil, la perte ou l’échec. Il peut souffrir d’un trouble de sa propre représentation du monde qui le fait entrer en conflit incessant avec les autres et avec le réel. Sans compter qu’une réaction anormale n’est pas forcément pathologique. Certains, parmi nous, font un malaise hypoglycémique quand ils ont 0,70 gramme de sucre par litre de sang, ce qui est normal et pathologique ; alors que d’autres travaillent et sourient quand ils ont 0,30 gramme de sucre par litre, ce qui est anormal et non pathologique. Au contraire même, cette anormalité est signe de santé, puisque leur organisme leur permet d’utiliser la moindre molécule de glucose. Définir une frontière entre le normal et le pathologique témoigne d’une incertitude philosophique.
Les déterminants culturels du mot qui désigne la folie sont encore plus incertains. Ceux qu’on appelle « psychopathes » parce qu’ils passent à l’acte comme un réflexe rapide, en court-circuitant la lenteur nécessaire à l’élaboration mentale, sont décorés en temps de guerre et emprisonnés en temps de paix. La rapidité du passage à l’acte est bénéfique en temps de guerre et maléfique en temps de paix.
À l’époque de l’Europe féodale, être seul, errant sur les routes, loin de son groupe familial et social, était considéré comme une preuve de folie. Il y avait tant d’hommes mal socialisés qui, pour ne pas mourir, attaquaient les « errants » qu’être seul sur la route était une preuve de non-adaptation au réel, une folie 3 .
Il en était de même pour les « filles célibataires » qui faisaient preuve de folie, en mettant au monde un enfant hors mariage. Les troubles comportementaux que manifestaient les bâtards, sombres, hargneux et batailleurs, étaient attribués au fait qu’ils étaient nés hors mariage (hors culture, comme les enfants nés d’inceste). Tout était vrai dans ce constat : ils étaient batailleurs (bâtards) et nés hors mariage. Celui qui aurait pensé que ces enfants étaient bagarreurs parce qu’ils étaient désocialisés, interdits d’école et d’Église et orientés vers les métiers de la guerre, aurait été étiqueté comme un transgresseur, hors de la doxa qui unissait les récitations de la majorité.
Je n’ai pas connu l’époque inquisitoriale où le cadavre des suicidés était fouetté après leur mort, tant leur transgression paraissait hors normes. On considérait que c’était un crime majeur que de supprimer une âme donnée par Dieu. Mais j’ai connu l’époque où les suicidés comateux étaient envoyés à l’hôpital psychiatrique parce que la doxa récitait qu’il fallait être fou pour se suicider. Il y a quelques décennies, l’avortement était considéré comme un crime majeur, alors qu’on punissait peu celui qui, sous l’emprise de la passion, avait tué l’amant de sa femme. La dépression et l’angoisse n’avaient aucun relief pathologique quand, dans les familles, tous les six mois, il y avait un deuil et quand on pensait sans cesse à la mort parce que la récolte avait été mauvaise ou qu’il avait plu sur la moisson : si le blé est mouillé, on sera sans pain, affamé tout l’hiver. Comment concevoir la dépression quand on pensait que la vie, le passage sur terre, était une vallée de larmes et que l’angoisse caractérisait la condition des humains ?
Aujourd’hui, ces souffrances prennent un relief pathologique, on pense qu’il est légitime de les soigner. Alors, on médicalise les concepts de dépression et d’angoisse. On les décrit avec des mots venus de la biologie, on les classe en catégories sémiologiques et, le plus logiquement du monde, on donne les médicaments adaptés à cette nouvelle représentation culturelle d’un phénomène naturel. Après tout, pourquoi ne médicaliserait-on que la pathologie ? L’accouchement est un phénomène naturel qui condamnait à mort un nombre très élevé de femmes et de bébés (50 % dans la première année jusqu’au XIX e  siècle). La médicalisation de l’accouchement a réduit à 1/1 000 le nombre de ces tragédies.
On comprend le monde à l’aide des images, des récits et des objets techniques que nous fournit le contexte. Notre vision du monde dépend de nos pensées bien plus que de nos yeux. C’est pourquoi les performances extraordinaires de la neuro-imagerie depuis une vingtaine d’années vont encore une fois modifier not

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