Les dunes grognaient
85 pages
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Les dunes grognaient , livre ebook

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Description


Juillet 1990 : durant des vacances d’été en famille dans la jolie ville de Bray-Dunes, cité côtière du Nord de la France, Aline, huit ans, perd son petit frère Dimitri, quatre ans, lors d’un jeu dans les dunes. Sa famille et elle se heurtent à un deuil douloureux aussi soudain que mystérieux. Personne ne comprend les circonstances du drame, pas même Aline, sidérée par les évènements.


Juillet 2010 : aidée de son ami d’enfance, Andy, Aline retourne pour la première fois à Bray-Dunes afin d’y trouver les réponses aux questions qui la hantent. Accompagnés du fantôme de Dimitri, les deux amis se lancent dans une quête surnaturelle sous le signe des ténèbres, au cœur des dunes grondantes où se taisent d’autres drames.



Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 28 mars 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782492240621
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0022€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Les Dunes
G ROGNAIE NT

Adeline Rogeaux
(The Driller Killer)    
© Adeline Rogeaux (The Driller Killer), 2022
© Éditions Octoquill, 2022
Pour la couverture
© Inda Ashes Art
Pour la correction
© SD Correction – Sara Defrance
Dépôt Légal : 2 ème trimestre 2023
Le présent ouvrage est protégé par le Code de la Propriété Intellectuelle. De ce fait, toute reproduction partielle ou totale est interdite sans l’accord de l’éditeur et de l’auteur.
À Bray-Dunes, ville qui berce encore et toujours mes vacances chaque année.
À mon amoureux, qui m’y emmène chaque année.
À vous, lecteur.
Prologue
1990
C’est sous un ciel noir et grondant qu’ils mirent en terre mon petit frère, un jour de juillet. Les éclairs flamboyants m’effrayaient, la pluie froide me trempait, je grelottais malgré la chaleur, et mes parents, agenouillés devant le trou sordide qui avalait goulûment la boîte de bois où mon frère dormait avec sérénité et depuis longtemps, s’en moquaient royalement. Il y avait du monde sous ce ciel monstrueux, ventru, avide de manger les petites personnes qu’on était tous alors. Et la boîte descendait, et les gens pleuraient, et moi, je tremblais.
Je n’ai pas pleuré.
Le curé semblait chantonner, remuant ses mains vers le ciel avec ferveur, avec vigueur, comme en transe, tandis que mes oncles, mes tantes et mes cousins gardaient les yeux vers la terre, tapotant parfois leur joue d’un mouchoir blanc immaculé, acheté pour la circonstance, l’air triste. Ma mère pleurait toujours. Mon père sanglotait dans un silence terrifiant. Et moi, avec mes petites nattes brunes, je regardais, j’observais : le noir de leurs vêtements, le curé qui paraissait en colère avec ses mots étrangers, les fleurs blanches disposées si soigneusement partout autour du trou dans le sol, les peluches, si abondantes… J’en étais jalouse de cet amoncellement de cadeaux, de jouets, j’aurais voulu être à sa place.
Je n’ai pas pleuré.
Une de mes tantes est venue vers moi, m’a pris la main avec douceur et m’a dit sur un ton doux, caressant :
« Aline, viens, c’est terminé. On rentre chez vous. »
Alors, je l’ai suivie, tenant sa paume moite et collante. J’aurais aimé la lâcher, mais c’était une adulte et je me devais d’être docile, obéissante et sage, surtout en cette journée ennuyeuse. On m’avait assez sermonnée ce matin-là, avant de partir : « Sois sage, ne dis rien, baisse les yeux et écoute les grands. » En passant devant la procession de tous ces gens en noir, je n’ai pas regardé mes parents, ils ne m’ont pas regardée non plus. Et nous sommes rentrés chez moi où tout le monde, ceux qui n’étaient pas venus au cimetière et ceux qui nous suivaient, parlait en chuchotant, allant d’une pièce à l’autre, attendant probablement l’arrivée de mes parents, tout en disposant sur les tables plats de petits-fours réchauffés et fleurs aux senteurs désagréables. Ils me regardaient avec un air étrange et j’avais l’impression qu’ils se demandaient comment ils allaient me manger.
Je n’ai rien dit. J’ai pris un petit-four qui trônait au-dessus des autres sur la grande table de la salle à manger, puis je suis montée dans notre chambre, à Dimitri et moi. J’ai mangé le feuilleté sans goût en laissant tomber des petites miettes sur la moquette. Je m’en moquais totalement. J’ai commencé à fouiller dans le coffre à jouets de mon frère, profitant de son absence pour lui prendre ses robots et ses voitures que je pouvais enfin faire rouler sans qu’il ne pique une crise.
Je n’ai pas pleuré.
Les jours suivants ont été silencieux. Beaucoup trop silencieux. Je n’osais pas parler, rien demander, même quand le petit-déjeuner tardait, quand le dîner ne venait pas et quand le souper n’était que pain et fromage. J’avais faim. Faim dans le ventre et faim de vie.
Plus personne ne venait. Dimitri ne rentrait toujours pas. Avais-je fait quelque chose de mal ? Mes parents s’étaient-ils disputés ? Étaient-ils en colère contre moi ? J’appris alors que les morts, les enfants morts surtout, ça portait la poisse. Qu’ils détruisaient les familles. Qu’ils tuaient leurs parents, et que les gens préféraient s’éloigner. Qui pourrait les en blâmer ?
Avec le temps, les choses semblèrent rentrer dans l’ordre. Mes parents me faisaient des pizzas, me conduisaient à l’école, mais toujours en silence. Je ne me souviens pas qu’après l’enterrement de Dimitri ils m’aient souri une seule fois. Ils me regardaient d’un drôle d’air, comme si je n’étais pas là. Comme si j’étais de trop. Cela dépendait de la noirceur de leurs yeux.
C’était toujours le silence, mortel, profond, douloureux. Je pensais qu’après un moment, tout reviendrait à la normale. Que Dimitri rentrerait à la maison avec son tas de cadeaux, qu’il m’en donnerait quelques-uns pour la bonne blague qu’il nous avait jouée. J’avais huit ans quand les dunes l’ont mangé. Je ne comprenais rien.
Quelque temps plus tard, lors d’une dispute énorme entre mon père et ma mère où la vaisselle faisait du bruit en claquant sur les murs, j’ai entendu une phrase qui m’a retournée pour toujours.
« Tu n’aurais jamais dû les laisser jouer dans ces dunes de malheur ! Tu n’aurais jamais dû la laisser avec lui ! »
Les dunes grognantes, je m’en souvenais. La chaleur, le soleil, le sable qui nous rentrait dans les pantalons, nous griffant à chaque pas. Les mouettes, l’odeur de la mer, le rire des enfants, la musique du camion de glace qui roulait doucement sur la digue.
Les dunes grognantes dans lesquelles le ciel semblait toujours gris, dans lesquelles les sons semblaient lointains, dans lesquelles aussi mon frère est mort.
Il est mort… m’étais-je dit en repensant à cet après-midi-là, quand je l’ai lâché du regard une minute.
Quand on l’a retrouvé exsangue, quelques jours plus tard, sur le bord de l’eau. Je l’avais vu, accompagnée de mon père qui était resté debout, sur la plage, à regarder son fils allongé et gris, sur le sable rouge, et dans les algues mortes, dans ce silence hurlant. Il est mort. Et là, j’ai réalisé que plus jamais je n’entendrai son rire ni ne verrai ses yeux pétillants.
Il est mort. Et ce soir-là, celui où j’ai réalisé pleinement, entièrement et profondément ce fait indiscutable, il est revenu. Son visage est apparu près de moi, près de mon lit, et il s’est insinué dans mes rêves qu’il n’a plus jamais quittés.
Et j’ai pleuré.
Et les ténèbres vibrent dans le sable.
Et le noir engloutit le monde.
Et les larmes baignent la vie.
Chapitre 1
Juillet 2010
J’avais l’impression que toutes les années passées défilaient devant moi sur cette route grise et ondulante, monotone et sans saveur. Mon cerveau en bouillie, anesthésié de vie, grésillait tandis que j’entendais déjà les vagues et sentais les embruns mortuaires et salés. J’étais en vrac. J’étais morte. Et j’étais sur le chemin du néant, me dirigeant inéluctablement vers la fin. Vers les réponses. Vers le chapitre final d’une vie d’horreur qui n’avait que trop bien commencé, ne laissant entre les paragraphes que quelques phrases mornes, ternes et sans autre vie que celle d’un cœur qui battait à l’unisson avec celui d’un cœur mort. Qui ne laissait entre ces cœurs qu’une voix, une voix qui m’était si familière et si mauvaise, si réelle et si sincère. Tout ce que je retenais, c’était ce cœur mort qui me suivait, qui ne battait pas aux côtés du mien.
Celui de Dimitri.
Entre deux, entre lui et moi, là, en 2010, à l’instant où j’arrivais près de Bray-Dunes, il n’y avait eu que des années semblables, des jours d’école, des jours de peine, des jours de pleurs, des rêves noirs et, parfois, quelques rayons de soleil. Parfois aussi des jours sans elle, la voix d’ailleurs, sans eux, mes parents, sans lui, Dimitri. De rares jours normaux.
Jamais je n’ai eu d’avenir, jamais je n’ai eu de passé.
Parce que rien ne pouvait surpasser le souvenir de la mort. Rien.
Rien.
Les kilomètres glissaient. Brûlants. Longs. Moroses. Encore et encore. Le bruit infernal de l’autoroute s’infiltrait dans ma voiture. C’était un mois de juillet étouffant que je ne pouvais supporter qu’avec peine, la respiration courte, les mains accrochées, presque collées même, sur le volant. Mes nattes brunes collaient sur mon dos juste couvert d’un débardeur. Il faisait gris et si chaud. Je ne me rendais pas compte du temps qui passait, ne pensant qu’à la rencontre que je ferais au bout du chemin. Je me regardai vite fait dans le rétroviseur, la sueur coulait sur mes taches de rousseur, rendant ma peau grasse, et j’avais horreur de ça. J’avais quitté Lille une heure plus tôt, ce qui n’était rien finalement, mais sous cette accablante chaleur et les rayons qui perçaient sournoisement les nuages gris, cela me semblait durer depuis des jours. Mon état de fatigue, moral surtout, devait y être pour beaucoup.
Mon ami Andy m’attendait là-bas. À Bray-Dunes. La ville où mon frère est resté.
Son âme.
Même si sa tombe était et demeurait à Lille, dans un cimetière à peine entretenu, tout juste honoré d’une visite annuelle par des parents désœuvrés et amorphes, j’ai toujours su que lui était resté là-bas, dans les dunes. J’ai toujours su aussi que je devais y retourner, pour comprendre, me souvenir. C’est comme si j’avais été appelée du lointain. Et c’était le moment. J’avais écouté la petite voix, cette fois. Enfin.
Je ne me rappelais que des grognements. Et du sang sur le sable chaud, dans les vagues marron. Je me souvenais à peine de la moue triste sur son petit visage avant qu’il ne disparaisse. Elle s’effaçait peu à peu, inexorablement, oubliée dans les abîmes de mon esprit. À l’abandon. Je devais être sûre de la petite Aline, celle qui pleurait encore le soir en voyant le visage de son frère devant son lit, dans le noir. Celle qui entendait encore les bruits animaliers. Celle qu’on ne croyait pas, qu’on n’avait jamais crue et qu’on ne croirait jamais. Je devais guérir la petite Aline. Lui offrir un beau reste de vie. Elle devait pouvoir vivre en paix. Elle devait savoir ce qu’il s’était passé pour pouvoir avancer et respirer, po

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