La lecture à portée de main
106
pages
Français
Ebooks
2018
Écrit par
Cédric Le Calvé
Publié par
Bookless Editions
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2018
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Publié par
Date de parution
30 juin 2018
Nombre de lectures
0
EAN13
9782372225090
Langue
Français
Petit pont : Terme générique désignant un dribble ayant permis l'élimination rapide (et souvent un peu humiliante) d'un adversaire.
Romain Gauthier exerce un métier envié, celui de footballeur professionnel. Pourtant, quelque chose ne tourne plus rond dans cette existence réglée comme du papier à musique. Il l’a écrit noir sur blanc dans de petits carnets intimes qu’il dissimule à son entourage. Sa femme, son père, son agent, son président, tous s’inquiètent de cette soudaine mutation, c’est un investissement à long terme qui leur échappe. Et ils sont encore loin de la vérité, car Romain ne leur a pas tout révélé. On peut même dire qu’il a caché l’essentiel...
Ce roman de Cédric Le Calvé nous plonge dans le milieu footballistique, de l’autre côté de la main courante, au cœur de l’action. Il n’est pas nécessaire d’être spécialiste de ce sport ni de l’apprécier pour être passionné par ce roman qui mêle sport et vie quotidienne de ce professionnel du foot. Romain doit composer entre sa passion dont il a fait le métier et les exigences de son entourage. Une performance d’écriture réalisée par Cédric Le Calvé qui vous fera partager les états d’âme de son héros et découvrir les coulisses d’un club de foot français. Un regard qui n’est jamais dans le jugement et qui nous fera peut-être abandonner nos idées préconçues.
Publié par
Date de parution
30 juin 2018
Nombre de lectures
0
EAN13
9782372225090
Langue
Français
Cédric Le Calvé
Petit pont
Roman
© Cédric Le Calvé
Bookless-Editions
Tous droits réservés
Juin 2018
Isbn : 978237222 5090
Partie 1
1
Deux petits carnets noirs annoncent des modifications profondes de ma personnalité. Dans mon milieu, ce n’est pas souhaitable. Alors oui, j’ai un peu peur. Cela ne m’empêche pas de les relire attentivement ni de m’y atteler entre deux séances d’entraînement. C’est comme un rituel, mais comparé aux laçages aléatoires des chaussures que j’évoquerai plus tard, celui-là est d’un genre plus envahissant. On en sort pas complètement indemne. Cela s’insinue en vous par petites touches, forcément, ce qu’on retrouve là-dedans, c’est vous, par petites touches.
C’est bien là que ça se complique.
Après avoir achevé le premier carnet, j’ai hésité un peu à poursuivre dans cette voie. Je ne comprenais pas vraiment où tout cela allait me mener. Passer d’une description factuelle à des impressions furtives, relater un évènement plutôt qu’un autre, tout ceci semblait à la fois stérile et décousu. Mais à y regarder de plus près, j’ai fini par percevoir l’unité sous-jacente qui tapissait chacun de ces textes. Curieusement, c’est à moi qu’ils s’adressaient, enfin à une partie de moi, celle qui avait besoin de mots et de signes pour exister. Et sous des allures innocentes, parfois futiles, quelquefois teintés d’humour, ils me parlaient de vie, de direction et de choix. Alors, j’ai commencé la rédaction du second carnet, mon écriture s’est fluidifiée et ma pensée s’est aiguisée, elle a fini par révéler la tonalité de mon quotidien. Et ce n’était pas l’image que je m’en étais faite. Remarquez, tout cela, je pouvais quand même le deviner, il y avait plusieurs indices disséminés autour de nous. Mais c’est tout de même plus simple, quand on peut lire noir sur blanc, une de ces annonces se parer d’atouts thérapeutiques. La dernière datait de deux semaines, je l’avais appelée « Petit pont. ». Le titre m’était venu naturellement comme une réponse à l’impasse dont les contours se dessinaient jour après jour. Ces petits textes commençaient toujours par une date un lieu et une heure, comme s’il fallait figer le temps et l’espace.
J’avais donc écrit ceci.
24 mars, camp d’entraînement, 10 h 12
Petit pont
C’est Rémi, le titi parisien, qui s’était retrouvé coincé le long de la ligne de touche. Il avait déjà deux adversaires autour de lui et un troisième arrivait en renfort. Rémi était un peu particulier, il avait un art certain pour se compliquer la vie sur un terrain de football. Il fallait toujours qu’il tente des dribbles improbables, qu’il choisisse les options les plus audacieuses, au grand désespoir de ses entraîneurs et de ses partenaires qui trouvaient certaines de ses inspirations géniales, mais son jeu bien trop alambiqué pour suivre les lignes directrices de nos schémas tactiques. Une fois, il m’avait humilié à l’entraînement, il avait osé une feinte qui m’avait pris de court, je m’étais retrouvé à 4 mètres du ballon sans rien comprendre à ce qui venait d’arriver. Curieusement, je n’avais pas bougonné (mais c’était l’entraînement), j’avais même trouvé cela agréable, c’est toujours excitant d’observer la manifestation d’un talent.
Enfin bon, là, coincé le long de cette ligne blanche avec trois gars sur le râble, je ne voyais pas bien comment il allait pouvoir s’en sortir.
Enfin si, moi, j’avais bien une solution. J’aurais frappé fort dans le ballon en espérant qu’il percute une des jambes voisines. Avec ce geste utile, j’aurais sans doute obtenu une touche, un gain très honorable vu les circonstances. Mais il était spécial ce Rémi, pas du tout adapté au haut niveau d’ailleurs, mais spécial c’est sûr, en tout cas pas le genre à abandonner la balle à l’adversaire ou à viser une simple remise en jeu. Je crois que pour lui, la pratique du football prenait véritablement sens dans ce type de configuration délicate, ces combats perdus d’avance, le reste l’intéressait beaucoup moins. Je me suis dit, il va peut-être jouer la faute, s’écrouler au contact d’un genou adverse ou mimer le déséquilibre, après tout ce sont des gestes qui appartiennent aussi au panel d’un joueur offensif. Personne ne lui en aurait voulu de ruser de la sorte, parce que là clairement, il n’y avait rien d’autre à faire. Il se trouvait à l’arrêt, encerclé dans un espace réduit, délimité par une ligne blanche et trois corps musculeux qui ne demandaient qu’à s’éprouver à son contact. Objectivement, il n’avait aucune chance de s’en sortir.
Un peu comme moi aujourd’hui. Mes adversaires sont un peu plus amicaux, leur chair est plus tendre, ils se permettent même des gestes d’affection, une forme de connivence qu’ils ont développée au fil des ans, mais je connais leur art de l’encerclement. Dans le fond, ils sont bien plus pressants et déterminés, et gagner une touche ne m’apportera rien, un petit sursis dérisoire, alors qu’il me faudrait une véritable bouffée d’oxygène. Je ne sais pas exactement combien ils sont à me cibler de la sorte. Je dirai au moins deux, peut-être trois. J’ai l’impression qu’ils se relaient, qu’ils s’accordent dans leur entreprise de récupération.
Pour en revenir à Rémi, il a trouvé la solution. Ne me demandez pas comment il a fait. Je sais juste que l’espace crucial qui lui faisait défaut, il l’a inventé entre les jambes du molosse qui était venu l’agresser, il a fait passer le ballon entre ces deux guibolles surpuissantes, avec une grâce et une facilité qui n’appartenaient qu’à lui. Et tandis que les deux couillons se percutaient et gênaient l’intervention du troisième défenseur, Rémi s’est détaché de la ligne, sans même chercher à accélérer.
C’est un geste comme celui-là dont j’aurai besoin aujourd’hui.
D’une manière générale, tous ces textes rédigés en première intention restaient bienveillants, amers et piquants parfois, mais globalement bienveillants, comme l’histoire de ce « Petit pont ». On restait sous le joug de la vérité sans pousser trop loin les portes de l’intimité, j’avançais à pas feutrés. Tout cela ne semblait pas si grave, c’est en tout cas ce que j’ai pu croire un temps. Comme si la vie vous laissait le choix. Mais c’est faux. L’envie, la peur, la culpabilité finissent par vous mettre en porte à faux. Elles vous conduisent, à travers ces petites proses affables, vers des chemins escarpés où les précipices sont visibles et où l’on sent la terre meuble sous ses pas hésitants.
Mes carnets noirs sont rangés au fond du placard, Clémentine n’est pas prête de les trouver. Elle n’y comprendrait pas grand-chose. Sur certaines pages, je parle parfois d’elle, un peu de nous aussi, mais toujours à demi-mot. Longtemps, je suis resté sur des stéréotypes de couple en difficulté, vous savez les choses qu’on dit souvent quand on entre dans la septième année. J’ai rédigé des phrases sur l’usure des corps, la perte d’identité, les caractères qui évoluent, le ventre qui ne s’arrondit pas, des éléments qu’on peut combattre avec un peu d’amour et d’attention. Et puis un jour, une phrase a jailli qui a bouleversé ma perception des choses.
C’est daté du 25 février, cela fait plus d’un an. D’une main un peu tremblante, j’avais écrit :
« Je n’ai pas envie de tromper ma femme, mais si je le faisais, je crois qu’elle s’en remettrait. »
Sur le coup, je n’avais pas bien compris. Certes, la notion de fidélité est un élément important au sein du couple, mais ce n’était pas à proprement parler une menace qui planait au-dessus de nos têtes. Pour tout dire, l’état des lieux que j’avais dressé à la hâte était même plutôt rassurant. Je n’éprouvais aucune envie de tromper ma femme, même s’il existait ici et là quelques tentations, il me suffisait de ne pas y donner suite, comme je l’avais fait depuis le début de notre relation. J’y parvenais sans trop d’efforts, la sexualité épanouie et assumée de Clémentine me suffisait amplement, même si dans ce domaine aussi, les choses avaient évolué. J’ai longtemps retourné cette phrase dans ma tête avant d’identifier ce qui m’effrayait vraiment dans cet agencement de mots. C’est évidemment la dernière assertion qui me plongeait dans l’embarras. Ma femme pourrait donc « se remettre » de mon infidélité. Pour bien faire les choses, j’ai pris un dictionnaire et j’ai cherché une définition précise