Petites proses éthyliques
68 pages
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Description

Petites proses éthyliques est le résultat d’une expérimentation gustative, théâtrale et littéraire. Entre 2021 et 2022, quinze auteur·trice·s ont reçu par la poste tantôt une bouteille de bière, tantôt de vin, ou alors un flacon de spiritueux. Leur impérieuse contrainte : déguster posément, se laisser inspirer par les saveurs, les acidités, les sapidités, les âpretés, se laisser envahir par les textures, les mémoires et les agencements insolites. A partir de cette première expérience, prendre la plume, conserver l’ineffable et le furtif, le remodeler et le distiller, et tels des alchimistes, passer de l’état liquide à l’éthérique, au monde des mots, des idées et des images. Ces textes ont ensuite été mis en voix par Vincent Held et en musique par le pianiste Lucas Buclin dans le cadre de trois soirées thématiques au Théâtre de l’Echandole à Yverdon-les-Bains.


Cet ouvrage recueille ainsi quinze textes sur des bières, des vins et des spiritueux d’artisans et d’artisanes. Si ces derniers ont leur ancrage en Suisse, les différents textes délivrent une clé subtile pour aller à la découverte du travail d’autres artisans que comptent les contrées d’ici ou de là-bas. Ce sont ainsi quinze univers issus de plumes confirmées qui se laissent à leur tour déguster, sans la même modération requise que pour des alcools. Entre découvertes sensorielles, récits d’initiations, récit noir ou d’une longue veillée au coin d’un feu, ces petites proses éthyliques pourraient bien agir comme des levures pour fermenter vos propres imaginaires et arts de la dégustation.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 07 avril 2023
Nombre de lectures 0
EAN13 9782940700356
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0067€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

PETITES PROSES ÉTHYLIQUES
COLLECTIF
Hélice Hélas Editeur bénéficie d’une prime à l’encouragement de l’Office fédéral de la culture pour les années 2021-2024, et d’un conventionnement avec l’Etat de Vaud et la ville de Vevey pour les années 2022-2024.
Création couverture : Mary&Jo Studio
Relecture : Béatrice Obergfell
© Les auteur·trice·s, 2023 pour le texte
© Manu Perrin, 2023 pour l’illustration
© Hélice Hélas Editeur, 2023
ISBN Numérique : 9782940700356
www.helicehelas.org



PRÉFACE
À L’IVRE OUVERT
Thierry Raboud

C’est très scientifiquement qu’il s’est mis à boire, puis à écrire. Chaque matin dès huit heures, jusqu’à 60 grammes d’alcool pur dilué dans de l’eau, avant de griffonner des lettres sous l’œil d’un appareil appelé Schriftwage, utilisé dans le laboratoire de son maître le fondateur de la psychiatrie moderne Emil Kraepelin. L’article qu’il fait paraître en 1901, Über die Beeinflussung der Schrift durch den Alkohol , est formel : la vitesse d’écriture diminue sous l’influence de l’alcool et la coordination des gestes perd en précision. Merci Martin Mayer, grâce à qui l’on mesure ce que la boisson fait à l’écriture.
Du verre au verbe c’est un antique compagnonnage, dont nous avons voulu célébrer et prolonger les gouleyants accords. Sans minimiser ni les vertus de l’abstinence, ni les ravages de la dipsomanie et les déboires du boire, il nous a semblé bon de marier les ferments locaux à l’occasion de quatre soirées organisées par L’Echandole d’Yverdon-les-Ba ins, pour y faire découvrir un distillat de l’excellence créative romande en matière de littérature, de bière, de vin et de spiritueux. Chaque autrice et auteur a reçu au courrier une dive bouteille, avec pour seule contrainte d’écrire sans décrire, de préférer la synesthésie à la note de dégustation. Leurs quinze petites proses éthyliques, comme autant de breuvages soigneusement sélectionnés que l’on retrouvera sans peine chez les meilleurs cavistes, ont ensuite été mises en bouche par le comédien Vincent Held et en harmonies par le pianiste Lucas Buclin, pour être restituées lors de spectacles dégustatifs avant de se trouver enfin éditées dans les pages qui vont suivre. Prétexte ? Oui, à rassembler, à faire lire et goûter.
Car il faut bien avouer que, sans alcool, la littérature n’eût pas été fête si folle. Certaines gorges trop pentues n’ont certes pas eu le temps de s’y essayer, préalablement brûlées d’ivresse au point d’inspirer à Pierre-Aimé Lair un incongru Essai sur les combustions humaines produites par un long abus des liqueurs spiritueuses , en l’an de grâce 1800. D’autres préféraient alors se contenter du vertige de la métaphore, à l’image de Victor Hugo « assoiffé du vin de l’infini », ou de cette emblématique vignette des Cahiers vaudois dessinée par Henry Bischoff, qui figure sous la devise « J’exprime » la grappe de l’inspiration serrée dans la main de l’artiste vendangeur. Pressurage, fermentation, décantation, distillation, imbibition puis ivresse composent autant d’allégories possibles de l’acte créateur, de son élan métaphysique ou mélancolique. Car la vie « que tu bois comme une eau-de-vie » est un verre bientôt vide, semble rappeler l’Apollinaire d’ Alcools .
En attendant, ce « monarque des liquides » célébré par le gourmet Brillat-Savarin permet d’enfoncer bien des portes dans la platitude du réel, au point que certains écrivains n’ont pas hésité à en faire méthode. « Le poète avait appris à boire, comme un littérateur soigneux s’exerce à faire des cahiers de notes. Il ne pouvait résister au désir de retrouver les visions merveilleuses ou effrayantes, les conceptions subtiles qu’il avait rencontrées dans une tempête précédente ; c’étaient de vieilles connaissances qui l’attiraient impérativement, et, pour renouer avec elles, il prenait le chemin le plus dangereux, mais le plus direct », écrivait au sujet de Poe son traducteur Baudelaire, lui-même assez coutumier des transports de la fée verte. Chessex, avant de se convertir à la sobriété, affirmait de même : « L’alcool me permettait de m’aventurer dans des lieux obscurs en moi, d’approcher des fantasmes, des gouffres, de développer une mémoire. Il me plongeait aussi dans un état d’attente que j’aimais beaucoup. » Une plongée trouble d’où certains, à l’instar de Deleuze, croient remonter en pêcheurs miraculeux : « Avant de trouver l’excellent il faut avoir bu longtemps. »
Au point que l’ivresse, véritable perfusion de la modernité littéraire, a été transformée en attribut indispensable, en élément constitutif de la génialité écrivante. « Parmi le s prêt-à-être écrivain du XX e siècle aux Etats-Unis, l’un des plus flagrants est sans doute celui de l’écrivain alcoolique », souligne Julia Kerninon dans Le chaos ne produit pas de chefs-d’œuvre . Vu que les écrivains qui boivent (Hemingway, Faulkner, Fitzgerald, Capote) sont excellents, il suffirait alors, pour le devenir, de boire pareillement… Un costume de soiffard qu’endossera volontiers Bukowski, dont le spectacle de poivrot chez Pivot est resté dans les annales télévisuelles. Alors que le siècle prenait lentement le parti de la tempérance face à l’ivrognerie, comme le suggère Alice Rivaz dans Sans alcool (1961), la consommation immodérée restait gage de créativité, de crédibilité presque.
Ils furent ainsi nombreux, chez nous, à diluer pareillement leur encre. Que l’on songe seulement au poète oublié Richard-Edouard Bernard, grand buveur devant l’éternel, au Chappaz chantre des cépages romands, au scribe des bistrots Georges Haldas, sans oublier les bachiques librettistes des Fêtes des Vignerons (parmi lesquels François Debluë fait figure d’insoumis pour habiter Lavaux et ne point goûter qu’à de rares chasselas d’exception). Cingria, dont les photos d’époque rappellent qu’il aimait le piano pour jouer dessus mais aussi décuver dessous, l’avait d’ai leurs affirmé sans ambages dans sa Défense du litre (qui, on s’en doute, ne traite point d’eau minérale) : « Si un litre de bon ordinaire, qui est la dose d’un homme normal, est un luxe, on ne sait plus où l’on va. »
Mais laissons là ce cortège de créateurs assoiffés, dont la pudeur nous force à taire les plus immodérés représentants, pour faire défiler quelques-unes de leurs créatures. Les doubles autobiographiques, question de posture là aussi, sont volontiers imbibés des mêmes travers, que l’on songe aux innombrables chopes de bière-cognac rotées par Chessex dans Jonas ou aux noyades créatives du peintre déchéant mis en scène par Ludwig Hohl en son Etrange tournant . Tout comme l’« écrivain buvant » a pu, dans certains contextes culturels, tenir du pléonasme, le héros soûlographe relève également du topos. Dans son Dictionnaire des clichés littéraires , Hervé Laroche consacre d’ailleurs une notice au verbe siroter : « Manière décontractée de boire, lorsque savourer serait excessif. Il sirotait son scotch — toujours un vintage — perdu dans ses pensées.  » Et parmi ces grands siroteurs devant l’éternel romanesque, on ne peut manquer de convoquer le commissaire Maigret, capable de boire pour 84.20 € en une seule journée de travail, comme l’a calculé Clémentine Mélois dans Dehors, la tempête , ce qui porterait son taux d’alcoolémie à 2,85 milligrammes en fin de service. Heureusement, personne ne l’a jamais lu prendre le volant.
La boisson, enfin, trempe l’arrière-fond de nombreuses histoires, sert de décor à des récits qu’elle permet, en catalyseur social, de faire émerger. Sans remonter à Ramuz, fils d’un grossiste en vins qui regardait volontiers l’horizon au travers d’un verre — « et c’est tout le pays qu’on voit, tout le pays qu’on boit ensuite » — on se fera pilier Au Sevilla Bar avec Alex Capus, on s’installera à la table du bistrot avec Arno Camenisch dans Ustrinkata ou avec Walter Rosselli dans Les Saisons du Mélèze , où il fait bon philosopher au comptoir du monde en s’abreuvant de tous les possibles : « Il me reste encore à distiller les ongles des pieds, puis j’aurai tout fait. »
Si la vitesse d’écriture diminue sous influence d’éthanol, comme prouvé au siècle passé, le paysage littéraire tend ainsi à s’ouvrir à son contact. Les quinze nouvelles de cet ouvrage millésimé le disent assez ; elles ne parlent pas d’alcool, ou si peu. Elles parlent avec l’alcool, autour de lui et de ce qu’il rend possible en grisant, avec modération, notre indéfectible raison. A lire jusqu’à plus soif ces représentants du meilleur de la littérature suisse contemporaine que sont Thomas Flahaut, Claire May, Marie-Christine Horn, Jean-Pierre Rochat, Cédric Pignat, Alexandre Grandjean, Corinne Desarzens, Valérie Gilliard, Lolvé Tillmanns, Frédéric Jaccaud, André Ourednik, Florian Eglin, Marie -Jeanne Urech, Raluca Antonescu et Maxime Maillard, choisis pour les saveurs renouvelées qu’ils offrent à ces lettres romandes parfois trop barriquées, on voit quelles perspectives insoupçonnées, tendres ou cocasses, tristes, joyeuses ou utopiques, creuse la fermentation dans les imaginaires. Restons donc à l’ivre ouvert. « Et je boirai encore s’il me plaît l’univers », chantait Apollinaire. Santé !
Bière

Archéologie du club imaginaire
Thomas Flahaut

Accords
Nova, Bière blanche, 5.6%
Brasserie Mountain View, Villars-Burquin (Vaud)



«  We’ve lived in bars and danced on the tables
Hotels, trains and ships that sail.  »

Cat Power
Un ami est venu pour m’aider à écrire ce texte puisque j’étais incapable de l’écrire seul. L’ami, appelons-le Tony. Disons que Tony m’a souvent aidé. Tony a essuyé mes larmes et ma haine souvent, en silence, en ami, ses rires ont nourri les miens. Il ne m’a jamais dit que je me lamentais trop, que j’étais ridicule. Il m’aidait quand je n’étais pas vieux et j’imagine qu’il m’aidera encore quand je serai plus vieux que maintenant. « Maintenant », c’est trente ans et c’est vieux, tout de

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