Prendre la vie à pleines mains : Entretiens avec Émilie Lanez
90 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Prendre la vie à pleines mains : Entretiens avec Émilie Lanez , livre ebook

-

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus
90 pages
Français

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne
En savoir plus

Description

Pendant quarante ans, Aldo Naouri a soigné le corps en écoutant, au-delà de ses maux, des histoires de vie. Il les questionne, les dénoue. Il libère. Il raconte ici les moments clés de sa vie, ceux qui éclairent sa singulière clinique. Pourquoi le benjamin d’une fratrie soudée dans sa lutte contre l’adversité a-t-il consacré sa vie à étudier la force des histoires familiales ? Pourquoi l’enfant qui a grandi ballotté au cours de plusieurs migrations s’est-il penché, adulte, sur la vitalité des liens qui nous façonnent ? Quels ont été ses guides ? Quelles rencontres l’ont marqué ? En reconstituant son parcours intellectuel, il explicite son travail consacré à la famille, dont il dit avec constance qu’elle est la première – la seule ? – école du lien social. Il interroge l’éducation contemporaine et réfléchit à l’amour. Celui qui oblige parce qu’il nous construit. Aldo Naouri a notamment publié Les Filles et leurs Mères, Éduquer ses enfants, Les Pères et les Mères, L’enfant bien portant, ou encore, Adultères, qui ont tous connu un immense succès. 

Informations

Publié par
Date de parution 28 mars 2013
Nombre de lectures 0
EAN13 9782738177018
Langue Français
Poids de l'ouvrage 3 Mo

Informations légales : prix de location à la page 0,0500€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

© O DILE J ACOB , MARS 2013
15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
© L E P OINT D ÉVELOPPEMENT , MARS 2013
www.odilejacob.fr
ISBN 978-2-7381-7701-8
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
À Jeanne, mon épouse, souveraine, à jamais.
Le téléphone sonne fréquemment. Un monsieur de province qui demande une consultation. Plus tard, une dame, à propos d’une de ses amies. Un autre jour, ce sera une ancienne patiente préoccupée par l’un de ses petits-enfants dont l’otite récidive. La fois suivante, on lui demande d’animer une conférence. Le même après-midi, une autre, « pour aider les parents à éduquer leurs enfants ». Aldo Naouri écoute et répond sans se presser. Aux proches de malades, il donne des conseils et les coordonnées de praticiens en ville, leur précisant qu’il est à la retraite. Quant aux conférences, il demande qu’on lui adresse un mail parce qu’il doit consulter son agenda rempli.
Il revient vers le canapé noir et renoue la conversation à la virgule même où il l’a suspendue. Il manie le subjonctif avec naturel, sans se rendre compte qu’il est l’un des derniers à chanter aisément toute la gamme de la conjugaison française. Jamais, il ne trébuche sur une date ni ne corrige un détail. Sa mémoire impressionne. Il est un conteur doué, il joue de sa voix profonde et ménage crescendo son récit. Il chuchote, tonne, supplie, berce, s’exclame. Il mime les visages, noue ses doigts, plisse ses oreilles. Il éclate d’un rire énorme… On se redresse un peu du fond du canapé noir, encore sonné par l’histoire.
Aldo Naouri n’est pas un pédiatre comme les autres. Il est un médecin qui, pendant près de quarante ans, a soigné le corps en écoutant, au-delà de ses maux, des histoires de vies. Il les questionne, les dénoue. Il libère. Il ne juge pas.
Pourquoi lui avoir demandé ce livre d’entretiens ? Ne connaissons-nous pas tout du fameux auteur dont chaque livre bouscule les assurances tranquilles de ceux qui croient faire bien en éduquant tout doux ? Ne savons-nous pas déjà qu’il est celui qui rappelle, inlassable, les mérites fondamentaux de l’autorité et les vertus d’une éducation exigeante ? Si, certainement ! Néanmoins, il n’en reste pas moins intéressant de découvrir comment Aldo Naouri a construit son œuvre.
Pourquoi le benjamin d’une fratrie soudée dans sa lutte contre l’adversité a-t-il consacré sa vie à étudier la force des histoires familiales ? Pourquoi l’enfant qui a grandi ballotté au cours de plusieurs migrations s’est-il penché, adulte, sur la vitalité des liens qui nous façonnent ? Quels ont été ses guides ? Quelles rencontres l’ont marqué ? Pourquoi a-t-il choisi de faire une psychanalyse, de suivre des cours d’anthropologie ou de se former en linguistique alors qu’il avait pour métier de soigner les nourrissons ?
Il répond, nous confiant quelques pans de sa vie, ceux qui éclairent l’aventure de sa singulière clinique. L’enfant amoureux des livres, assoiffé d’apprendre pour échapper à l’ennui, cet ennemi quotidien. Le fils orphelin de père, benjamin d’une famille où la solidarité ne se trahit pas. Puis le jeune médecin parisien, né dans un pays lointain, élevé dans une langue rare et intraduisible, qui réalise combien le raisonnement scientifique, dont il a fait son rigoureux bagage, ne suffit pas pour soigner ses jeunes patients. Ses souvenirs ne sont jamais des anecdotes. En reconstituant son parcours intellectuel, Aldo Naouri explicite son travail consacré à la famille, dont il dit avec constance qu’elle est la première – la seule ? – école du lien social, lieu où pourra – ou ne pourra pas – se développer la maturité de l’humain. Riche de savoirs exigeants, il interroge l’éducation contemporaine, où la séduction l’emporte sur l’autorité, où l’enfant est prié de se réaliser plutôt que de s’intégrer.
Dans ce livre, le pédiatre donne à son enseignement sa dimension universelle, nous invitant à interroger à sa suite notre histoire. Il avertit des richesses qu’elle contient comme des failles sur lesquelles elle repose. Penseur de la famille, il réfléchit à l’amour. Celui qui oblige parce qu’il nous construit.
ÉMILIE LANEZ – Docteur Naouri, vous avez exercé la pédiatrie pendant près de quarante ans et vous insistez sur le fait que vous n’êtes rien d’autre qu’un pédiatre. Pourtant, tout au long des ouvrages que vous avez publiés, vous ne cessez de marteler que le corps est inscrit dans le langage, que le corps parle et que la maladie de l’enfant s’inscrit dans une histoire, qu’elle soit ou non saisissable.
Racontez-nous comment vous en êtes arrivé à poser une telle affirmation.
 
ALDO NAOURI – J’ai en effet toujours soutenu ce que vous résumez si bien. Je professe que l’enfant est un chaînon des histoires qui lui échoient et qu’il a pour mission de transmettre à son tour. Dès qu’il vient au monde, il est une véritable éponge sensorielle. Si bien qu’il réagit de toutes sortes de manières, y compris par son corps, aux messages que l’une ou l’autre de ces histoires lui adressent.
Je ne suis cependant pas parvenu par hasard à cette conclusion, au demeurant totalement étrangère à la formation que j’ai reçue. Elle s’est imposée à moi alors que j’étais un tout jeune pédiatre. Et je vais vous raconter comment les choses se sont passées.
Lorsque j’ai ouvert mon cabinet, je me suis vite aperçu que ma formation hospitalo-universitaire n’allait pas m’être d’un grand secours. À l’hôpital, j’étais confronté à des cas graves, pour lesquels il me fallait mobiliser tout le savoir qui m’avait été transmis. En ville, ce n’était plus le cas. Les bobos que je recevais ne présentaient strictement aucun intérêt. Je m’ennuyais donc prodigieusement et, comme depuis toujours, je détestais ça. Au point d’en arriver parfois à me dire que je m’étais fourvoyé et qu’il me fallait peut-être prendre une autre direction. J’aimais beaucoup la médecine générale. Je l’ai exercée en faisant des remplacements pour gagner ma vie pendant mes études de spécialité. L’étendue de ses champs satisfaisait ma curiosité. J’ai renoncé à en faire mon métier, en raison principalement de l’insupportable paperasse qui encombrait son exercice – ce qui est toujours le cas. La pédiatrie, c’est ce qui s’en rapprochait le plus. Ce n’est pas une spécialité d’organe, c’est de la médecine générale pour enfants, avec la paperasse en moins. Les pathologies mortelles y sont par ailleurs rares. Ce qui pour moi n’était pas un mince avantage car j’avais déjà relevé que je supportais mal d’être appelé auprès d’un défunt pour délivrer un certificat de décès.
Outre donc ce prodigieux ennui, j’ai vite compris que moi qui croyais devoir, comme c’était le cas à l’hôpital, ne m’occuper que de l’enfant, je n’avais pratiquement pas affaire à lui tant il tenait une place secondaire dans la consultation. Ce n’est pas lui en effet qui monopolisait le devant de la scène, mais son parent, le plus souvent sa mère – cette distribution des rôles ne nous avait été enseignée d’aucune façon. Or c’est ce parent qui était le « client », c’est-à-dire, ne nous berçons pas d’illusions, celui qui choisissait de revenir ou pas. Il vaut mieux en prendre acte quand on crée un cabinet et qu’on entreprend de « se faire » une clientèle – ce qui est plus délicat qu’on ne l’imagine. D’autant que le recours au pédiatre n’était pas encore entré dans les mœurs. À l’époque, je n’étais que le second de l’arrondissement, qui en compte plus d’une soixantaine aujourd’hui.
J’avais à peine 28 ans. Je ne me rendais pas même compte que je n’étais qu’un gamin et voilà que je suis entré brutalement en collision avec quelque chose qui a été absolument déterminant pour toute la suite de ma carrière, sinon de ma vie. Ce cas fondamental, que je vais raconter une fois de plus ici 1 , a produit en moi une véritable mutation et a été à la base de toute ma réflexion ultérieure.
Un matin, je suis appelé par le père d’un bébé de 3 mois qui souffre de diarrhée. Ma clientèle est encore très maigre. Je ne vais pas bouder le revenu de la visite, même si le cas banal, à la portée de n’importe quel généraliste, ne peut me faire espérer me tailler une réputation et voir affluer les patients. Je me rends donc au domicile du patient, à trois cents mètres de mon cabinet. Je trouve un bébé qui va bien : sa langue n’est pas sèche et il n’a aucun signe de déshydratation. En guise d’ordonnance, je recommande aux parents de suspendre le lait et de le remplacer par de la soupe de carottes, dont j’écris la recette. Je détaille également la manière dont le lait devra être réintroduit, car je ne compte pas revoir cet enfant.
Or, le lendemain, le père me rappelle. Il me semble préoccupé, il me prie de revenir. Le bébé est dans le même état, toujours aussi peu inquiétant. Penaud, je me fais rassurant. Je conseille de continuer à suivre mes recommandations diététiques et je prescris une petite médication astringente. Le lendemain, voilà que le père me requiert une fois de plus. Même si ce « revenu » somme toute aussi bienvenu que facile avait de quoi me réjouir, je me pose des questions, mais des questions seulement techniques. Car le tableau clinique qui se présente à mes yeux est en tous points identique à celui de la veille. Le symptôme ne cesse pas, me dit-on, bien que j’aie fait ce qu’il fallait pour le traiter. J’ajoute donc un antiseptique intestinal, histoire de rassurer à peu

  • Univers Univers
  • Ebooks Ebooks
  • Livres audio Livres audio
  • Presse Presse
  • Podcasts Podcasts
  • BD BD
  • Documents Documents