Un dé trop loin , livre ebook
195
pages
Français
Ebooks
2023
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2023
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Publié par
Date de parution
02 mai 2023
EAN13
9782385330194
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Publié par
Date de parution
02 mai 2023
EAN13
9782385330194
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
COLLection noire & suspense
Graphiste : Valentine Flork/A&L Livres
Distribution : Immatériel
ISBN papier : 9782385330187
ISBN numérique : 9782385330194
1ère édition
Dépôt légal : mai 2023
Éditeur : Les éditions d’Avallon
342 rue du Boulidou
34980 Saint-Clément-de-Rivière
© 2023 Les éditions d’Avallon
Un Dé trop loin
Du même auteur
Le monde de Belmilor — 3. Amour , Éditions d’Avallon, 2022
Le monde de Belmilor — 2. Originalité , Éditions d’Avallon, 2021
Le monde de Belmilor — 1. Apparences , Éditions d’Avallon, 2020 (Paru initialement sous le titre : L’Eschylliade — Aux Apparences ne te fieras )
Je suis Innocent , Les Héroïques, Talents Hauts, 2020
L’Arc de la lune , Éditions du Chemin, 2011
Plus d’informations sur l’auteur : pf-kettler.fr
Pierre-François Kettler
Un Dé trop loin
ROMAN
À Galop’, Schlipp, Jacquot, Pierre, Odile, Supercuré, Claudo, Béatrice, Gérard, Isabelle, Claire et tous ceux que j’oublie.
À Saliha
Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.
Mallarmé
Prologue
Dans le couloir souterrain, aux murs tapissés de tuyaux de toutes tailles, l’homme avance avec précaution. Il a tout calculé. Sa cible est seule dans son bureau. Le petit voleur, comme d’habitude, est assis sur le trône, en train de lire. L’heure est propice. De sa main gantée de latex, l’homme assure sa prise sur le « couteau à viande » dérobé quelque temps auparavant. Les seules empreintes décelables seront celles du futur cadavre et de sa petite amie. L’homme étouffe un rire nerveux. Ne pas se laisser détourner de son objectif : la mort et sa danse jolie.
La porte du bureau est entrouverte. Les dieux du meurtre sont avec lui. Il écoute attentivement. Il sent monter l’adrénaline. Une respiration paisible lui fait écho. Il pousse doucement le vantail. L’intérieur du bureau se révèle progressivement : les tables vert-de-gris surmontées de leurs consoles d’ordinateur, la première, avec son siège ergonomique vide, la deuxième…
Il se rejette en arrière. Son gibier est sur ses gardes : il veille !
L’homme se concentre. Ne pas paniquer ! L’autre n’a fait aucun bruit. Il ne l’a peut-être pas vu. Attendre. Et agir dès que l’occasion sera propice. Ne frapper qu’une fois. Mais frapper à coup sûr. Pour que l’autre n’ait aucune chance.
L’homme se baisse et rampe sur le sol. Il se meut en silence. Comme le naja, il s’approche de sa proie. Les pieds de sa victime sont immobiles. Sa respiration est calme et régulière. Profonde.
Profonde ?
L’homme se redresse. La tête enfouie entre ses bras croisés, sa victime est endormie. Juste à côté d’elle, sa dernière invention, qui ressemble à un pèse-lettre. Elle a expliqué à l’assassin son utilité et son fonctionnement. L’occasion est trop belle.
Première Partie :
Affaires souterraines
1
7 juillet 1984
Jean s’arrête au sortir de la gueule du métro. Un éclat de soleil rebondit dans ses yeux. Il est heureux. La nuit a été bonne. Il s’étire sous la caresse des chauds rayons dorés et aspire l’air frais avec délectation. Il ferme les yeux. Quelques bruits de moteur espacent le silence.
— Avantage du samedi matin : pas trop de monde porte Maillot.
Ses pas claquent sur le trottoir. Le boulevard Gouvion Saint-Cyr, maréchal d’Empire, est mort et silencieux à cette heure. Dans la douce euphorie de ce matin de nuit blanche, il marche, tout au plaisir de ce jour bleu de soleil.
Il ne peut s’empêcher de sourire. La tête qu’a eue Xavier devant son dé sur « 1 » !
Ce dé avait le choix entre tous les nombres compris entre « 1 » et « 20 ». Il s’est arrêté sur « 1 », le pire des résultats. La partie a duré plus que prévu. Xavier voulait que Dworkin, son personnage d’assassin, change de niveau. Il devait tuer un maître de guilde.
Les copains étaient rentrés chez eux. Jean était resté avec Xavier.
Ce devait être une balade nocturne dans la ville de Lilliangish. Ça s’était terminé en ballade funèbre pour Dworkin-Xavier, éliminé par un piège magique.
Ce n’est jamais amusant de perdre. Au jeu de Donjon, perdre, c’est perdre son personnage, c’est mourir un peu.
Xavier avait fixé quelques instants le dé fatidique. Jean avait annoncé : « Ton personnage est désintégré. » Xavier avait alors saisi le dé entre deux doigts et l’avait avalé. D’un coup.
Ça l’avait soufflé, Jean, de voir Xavier bouffer son dé. Il le savait un peu zinzin, mais de là à engloutir le dé qui l’avait fait perdre, il y avait un monde. Ensuite, Xavier s’était levé, avait regardé Jean droit dans les yeux, « merci » avait-il lâché, puis il était sorti sans un mot de plus. Le monde du rêve, il y passait son temps, lui.
Le matin du monde réel, autour de Jean, s’étire douillettement en ce samedi 7 juillet 1984. Il est même suffisamment réveillé pour que la boulangerie soit ouverte depuis déjà quelques heures. Acheter des croissants. Isabelle aime les croissants, donc, acheter des croissants. Hier soir, il lui avait promis qu’il rentrerait dans la nuit. Du coup, elle était venue squatter chez lui.
— J’ai envie d’un gros câlin en ce moment, lui avait-elle soufflé, au téléphone. Ne me déçois pas, avait-elle ajouté.
Isabelle tout entière dans ces quelques mots : une caresse et un coup de griffe !
Elle accepte mal ces nuits passées à jouer au Donjon. Il lui a expliqué les règles, le plaisir que les copains ont à jouer un personnage évoluant dans un univers médiéval où sorcelleries et épées se côtoient. Il prend son pied à diriger une partie, à décrire les lieux que traversent les personnages, à interpréter tous les monstres qu’ils rencontrent et, surtout, à inventer ce monde et son histoire.
C’est un rêve partagé, un film qu’ils se jouent, tous ensemble, un jeu où les actions sont codifiées, où la part de hasard est portée par les dés et jamais abolie. Comme dans la vie.
Sur les dés, il aurait pu écrire un roman tant l’attitude de chacun, à leur égard, tient du fétichisme ou de l’adoration. Fluorescents, transparents, multicolores ou monocolores, en plastique, en bois ou en métal, tous les polyèdres réguliers sont présents. Depuis le tétraèdre, petite puce pyramidale sautant de résultat en résultat, jusqu’au majestueux icosaèdre, énorme boule du destin roulant dans le plan primordial des joueurs. Ce dé, le dé à vingt faces, scelle le sort des personnages. Les autres affinent.
— J’y pige que dalle, avait-elle simplement conclu.
— Tu devrais jouer, c’est en jouant qu’on apprend.
Elle n’avait pas voulu apprendre.
— J’ai un article à écrire pour 01 Informatique ! Toi, tu t’éclates la nuit, moi, j’ai du boulot !
— On pourrait s’éclater tous les deux, si tu veux.
— Alors, rentre pas trop tard, ce soir. Je t’attendrai chez toi.
— Promis, ma douce.
Il a promis de ne pas rentrer trop tard. Il n’est pas si tard que ça. Dans leurs habitudes de réveil, pour un samedi matin, il est même encore tôt. Oui, bon, il n’est pas sûr qu’elle goûte cette plaisanterie.
Il ferme les yeux. Il va raconter à Isabelle l’histoire de Xavier et de son dé. Elle comprendra ainsi la passion qui anime les joueurs de Donjon. Ça la fera peut-être marrer.
Il est devant sa porte. Perdu dans ses rêves, il a tout fait automatiquement. Jean déteste ça.
Il tourne délicatement la clé, venue il ne sait comment dans sa main droite – il n’est pas gaucher, même si tous ses personnages le sont –, un très léger claquement grinçant, et il pousse doucement. Profitant de l’entrebâillement, il se glisse en souplesse le long de la penderie occupant la moitié du couloir d’entrée, et referme sans un bruit la porte derrière lui.
Allongée sur le matelas posé à même le sol, Isabelle inscrit sa douceur sous les draps couleur nuit. Elle n’est pas réveillée. Elle n’a pas bougé quand il est entré. Tant mieux.
Il met l’eau à chauffer sur l’une des deux plaques électriques situées de l’autre côté de l’évier. Il dispose croissants, confiture, miel, beurre et jolies tranches de baguette fraîche et dorée sur un plateau. Il la regarde : Isabelle est étendue dans les draps morfondus de sa beauté offerte. Il faudra qu’il lui dise ça. Ça lui plaira sûrement.
Il l’a rencontrée dans le métro. Il est monté dans la rame à Châtelet, direction Mairie des Lilas, une rose à la main. Il titubait légèrement. Il revenait d’une fête, il ne sait plus laquelle. Il s’est assis devant deux jeunes femmes qui se ressemblaient, des sœurs. Il a levé les yeux. Elles le regardaient toutes deux, la bouche moqueuse, les yeux brillants, les fossettes retroussées. Et là, il n’en a vu qu’une. Il l’a découverte, au sens propre : il a vu Isabelle nue. Toutes deux souriaient pareillement, s’amusaient de son côté planant et, pourtant, l’une lui était indifférente, lointaine, étrangère, quand l’autre lui était donnée, offerte. À peine assis, ils se sont parlé. Ils ont échangé des mots sans valeur autre que celle de leurs regards. En se quittant, ils se sont donné rendez-vous : la semaine d’après, statue de Danton, place de l’Odéon.
Chacun s’est dit que l’autre ne viendrait pas. Chacun est allé au rendez-vous. Avec la peur que l’autre ne vienne pas. Ils ont marché dans les allées du jardin du Luxembourg, montant des degrés, descendant des marches, suivant des allées, disant des mots et parlant sans paroles, s’effleurant de l’épaule ou de la hanche, jouissant lentement de la découverte émerveillée de l’autre.
Quand ils se sont quittés, il a voulu lui dire « au revoir ». Ses bras se sont tendus vers elle, ses mains ont délicatement saisi sa tête, son cou, pour l’attirer à lui. Il voulait l’embrasser sur la joue, tendrement. Elle a planté ses lèvres sur les siennes, s’y installant définitivement. Il a été surpris. C’était la première fois qu’une femme prenait l’initiative.