Un Endroit familier
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Un Endroit familier , livre ebook

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Description

On dirait des photos tombées d’un album de famille. Il y est question des deux Grandes Guerres, de la Résistance, des camps de la mort, mais aussi de survie, de foi, de poésie. Il y est question d’une fratrie nombreuse réunie autour d’un réveillon d’antan, et d’une histoire d’amour longue de trois quarts de siècle. Dans un texte vibrant, inspiré, Tristan Malavoy met les petits et les grands drames du passé en parallèle avec les siens, les nôtres.
De quoi est fait l’héritage que j’ai reçu, l’héritage humain, celui qui ne figure pas dans les testaments ? Et en quoi être l’héritier de celles et ceux qui m’ont précédé, au propre, fait-il de moi le dépositaire, au figuré, de ce qu’ils ont traversé ? En racontant cette arrière-grand-mère, cette grand-mère et ce grand-père, deux femmes et un homme dont les vies couvrent tout le vingtième siècle, c’est aussi moi que je raconte, forcément. À la recherche de l’autre, on est toujours un peu à la recherche de soi-même.

Sujets

Informations

Publié par
Date de parution 29 septembre 2022
Nombre de lectures 0
EAN13 9782764448298
Langue Français

Informations légales : prix de location à la page 0,0550€. Cette information est donnée uniquement à titre indicatif conformément à la législation en vigueur.

Extrait

Du même auteur
L’Œil de Jupiter , Les Éditions du Boréal, 2020.
L’école des vertiges , L’Hexagone/Audiogram, 2018.
Feux de position , Somme toute, 2017.
Le Nid de pierres , Les Éditions du Boréal, 2015.
Cassé-bleu , Triptyque, 2006.



Projet dirigé par Danielle Laurin, directrice littéraire

Conception graphique et mise en pages : Audrey Guardia
Révision linguistique : Elise Schvartz
En couverture : Gracieuseté de l’auteur
Conversion en ePub : Fedoua El Koudri

Citations pages 43 et 44 extraites du livre Des agents ordinaires d’Emmanuel Couanault (© éd. Locus Solus, 2016)

Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.


Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Titre : Un endroit familier / Tristan Malavoy.
Noms : Malavoy-Racine, Tristan, auteur.
Collections : Collection III.
Description : Mention de collection : III
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20220019541 | Canadiana (livre numérique) 2022001955X | ISBN 9782764448274 | ISBN 9782764448281 (PDF) | ISBN 9782764448298 (EPUB)
Classification : LCC PS8576.A5319 E53 2022 | CDD C843/.6—dc23

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2022
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2022

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2022.
quebec-amerique.com



À Émile et Marius


Quand tu voudras savoir la qualité de quelque chose, mets-la dans les mains du temps.
Sénèque


Merde la mort
16 octobre 1988. Je suis devant le cercueil de ma grand-mère Alexina, qu’on fait lentement descendre en terre derrière l’église de Saint-Joachim-de-Montmorency. Le grincement léger des courroies s’interrompt, puis, le visage grave, chacun s’avance vers la fosse, y jette une poignée de terre. Après avoir jeté la sienne, mon père dit, comme s’il s’adressait au trou lui-même mais assez fort pour que je l’entende : « Merde la mort ! »
Les mots me font sursauter. Ils tranchent avec ce que mes parents nous ont dit à ma petite sœur et moi, d’une voix posée, durant les trois heures de route qui séparent notre maison de Saint-Denis-de-Brompton, en Estrie, de ce village serti entre le mont Sainte-Anne et le Saint-Laurent, aux portes de Charlevoix. « Elle est partie doucement, à quatre-vingt-treize ans, c’est ce qu’on pouvait lui souhaiter de mieux. » Voilà ce qu’on nous a répété sur un ton apaisé, serein.
Ce « merde la mort » venant de loin et chargé de quelque chose de sourd, d’une colère rentrée que je n’avais encore jamais observée chez mon père, je l’ai entendu résonner longtemps. Il avait beau trouver que la vie de sa mère avait été pleine et riche, il avait beau être en paix avec sa manière de partir, mon père acceptait mal cette coupure définitive, qui laissait sans doute en suspens beaucoup de questions, de non-dits, de malentendus peut-être. Je comprenais mal ce discours double, à l’époque. Je le comprends mieux maintenant, dans la quarantaine. Merde la mort qui avale les chemins, et du même coup les possibles de la relation avec ceux qui restent, l’occasion d’élucider, de dissiper les brouillards tenaces.
Les trois histoires qui suivent ont toutes pour source un « merde la mort ». Elles gravitent autour de trajectoires singulières et de ce qu’on en sait, mais aussi de tout ce qui est resté inachevé, des vides, des espoirs en creux, des choses que j’aurais aimé demander à temps.
On ne sait pas, ado, ou même jeune adulte, les questions qui vont nous habiter plus tard. Comment ma grand-mère paternelle a-t-elle vécu ce départ, cette disparition ? Où mon grand-père maternel a-t-il puisé le courage de tout risquer pour défendre un idéal ? Est-ce que, devant l’invasion de mon pays par une puissance étrangère, je trouverais cette force-là en moi ?
De quoi est fait l’héritage que j’ai reçu, l’héritage humain, celui qui ne figure pas dans les testaments ? Et en quoi être l’héritier de celles et ceux qui m’ont précédé, au propre, fait-il de moi le dépositaire, au figuré, de ce qu’ils ont traversé ?
En racontant cette arrière-grand-mère, cette grand-mère et ce grand-père, deux femmes et un homme dont les vies couvrent tout le vingtième siècle, c’est aussi moi que je raconte, forcément. À la recherche de l’autre, on est toujours un peu à la recherche de soi-même.
J’ai grandi auprès de personnalités fortes. Des êtres plus grands que nature, comme on dit, auxquels je pense aujourd’hui comme on pense à des personnages de roman. Il n’a pas toujours été évident de se construire auprès d’eux. Maintenant que j’y suis à peu près arrivé, les questions me reviennent, en même temps que l’espérance de savoir relier les points, dessiner à main levée les images manquantes.
La mort n’avale pas complètement les chemins, c’est ce que la littérature nous enseigne. Nos disparus sont encore là, à quelques encablures de mots, attendant qu’on leur prête une voix pour dire ce qui reste à dire. Peut-être sommes-nous plus responsables que nous ne le croyons du sommeil dans lequel ils glissent, et je ne parle pas que de la nécessité du souvenir. L’idée qu’on puisse se souvenir d’une vie est un fantasme, d’ailleurs, un anxiolytique. On se souviendra des faits d’armes principaux de très peu d’entre nous, essentiellement de celles et ceux qui tracent les frontières du monde visible, mais ce ne seront là que quelques traits factuels dans les dictionnaires. On ne se souviendra pas de nous. Ce dont je parle, c’est de résonnance, d’ouverture à la résonnance, et de ce qui vient après. Tendre l’oreille à nos morts, les laisser déposer en nous ce qui a fait le sel de leur vie, l’art qu’ils ont déployé à affronter les tempêtes et à accueillir les joies, c’est les laisser glisser dans un sommeil à la belle étoile, un néant plein, et c’est se donner à nous le pouvoir d’habiter pleinement l’espace du vivant, de le faire entièrement nôtre.
Ce dont je parle, c’est de l’écriture de l’histoire. L’autre histoire, celle avec un petit h. La mienne, fruit d’un dédale généalogique dont je suis le prolongement et qui, sans m’enfermer, me détermine. La nôtre, tissée à hauteur d’hommes et de femmes dont on comprend mieux aujourd’hui qu’autrefois que c’est sur elle que repose le monde. Celle dont parle l’écrivain Ivan Jablonka, selon qui les historiens devraient toujours travailler « avec un certain nombre de garde-fous », mais « de manière empathique, l’empathie étant une manière de se mettre à la place de 1 ».
Un endroit familier n’est pas un livre d’historien, c’est une série de portraits de gens aimés écrits par quelqu’un qui aime l’histoire, et qui est convaincu que l’empathie dont parle Jablonka est un outil efficace d’investigation du passé. Jablonka qui dit aussi : « Je pense que littérature et histoire peuvent se retrouver dans un texte qui recherche la vérité 2 . » C’est ce qui m’a guidé, le désir de mettre au jour quelques vérités qui éclairent mon histoire et par conséquent la nôtre. Odette, Alexina et André me semblaient avoir encore des choses à nous dire. En épluchant correspondances et témoignages divers, en menant des entretiens avec des membres de ma famille qui se souviennent, en lisant beaucoup sur le réseau de radio clandestine Johnny comme sur l’influence du clergé dans le Québec de la première moitié du vingtième siècle – recherches qui sont les garde-fous évoqués par Jablonka –, j’ai dessiné au mieux mes sujets.
Je parle aussi de ce que moi je transmets. C’est pour mes enfants d’abord que j’ai écrit ce livre, pour qu’ils partent d’un peu moins loin dans le décryptage de là d’où ils viennent, qui est une nuit mais une nuit moins opaque à partir du moment où on y jette la lumière des récits.
Il me semble que la mémoire du monde est surtout faite de ça, et si nos vies échappent à l’oubli, ce sera sans doute sous cette forme-là : en s’intégrant comme un fil à la grande trame de l’histoire. En lui donnant, avec des millions d’autres petites mains travaillant à une étoffe grande comme la Terre, son épaisseur et ses motifs.
TRISTAN MALAVOY


1. L’Histoire, la fiction, le Je , France Culture, 20 février 2013.

2. Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus , Seuil, 2012.


André
Ce qui donne un sens à la vie donne un sens à la mort.
Antoine de Saint-Exupéry
Finistère, janvier 1942. Sur un paysage gris et froid se découpent trois des joyaux de la marine allemande, amarrés à Brest depuis plusieurs mois : le Scharnhorst et le Gneisenau , des croiseurs de bataille arrivés là avec des avaries sévères, et surtout le Prinz Eugen , un croiseur lourd éventré le printemps précédent lors de combats avec des navires anglais au large de l’Islande. Les Alliés le savent, les puissants navires de guerre sont désormais réparés et pleinement opérationnels. L’un des enjeux militaires principaux, cet hiver-là sur la côte atlantique, est donc de les empêcher de quitter la rade profonde qui leur sert de refuge.
Le soir du 25, sur le flanc nord-ouest du Ménez Hom, de l’autre côté de la baie de Douarnenez, André regarde l’horizon avaler le soleil et guette les vrombissements qui ne devraient pas tarder à envahir la nuit bretonne. Il est fébrile. Si on a appris outre-Manche que les réparations des cuirassés nazis étaient complétées, c’est grâce à lui et ses complices du réseau Johnny, organisation de radio clandestine qui a intercepté des communications alleman

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